Chère Advy,
Je suis stagiaire et je me demande déjà si le droit est fait pour moi. S’agit-il simplement d’une partie du processus ou d’un signal d’alarme? Je ne peux pas imaginer apporter des changements si tardifs dans mon parcours, compte tenu du temps et de l’argent que j’ai investi dans ma carrière.
Sincèrement,
Me-suis-je-trompé?
Bonjour Me-suis-je-trompé,
Est-ce que vos études en droit et votre stage riment avec du gaspillage de temps et d’argent? Non.
Ce que je suis sur le point de vous dire, c’est qu’il est vraiment difficile de se souvenir chaque jour de tout ce qu’on ne sait pas et de la quantité d’aide nécessaire lorsqu’on rencontre des difficultés. C’est vrai, mais j’ai pensé que je devrais peut-être suivre mes propres conseils et admettre que je ne suis pas la meilleure personne pour répondre à votre question. Heureusement pour moi, cette meilleure personne était prête à m’aider!
J’ai parlé à Sara Forte. Elle pratique le droit dans la région de Vancouver chez Forte Workplace Law. Son cabinet a des bureaux en Colombie-Britannique et en Alberta. Pour en venir au fait, Me Forte et son cabinet gèrent un grand site Web appelé Not Your Average Law Job. Il s’agit d’une excellente ressource pour explorer ce qu’ils appellent la « variété sauvage et merveilleuse » du travail qu’on peut faire avec son diplôme en droit et son admission au barreau si on atteint ce point. Dès que j’ai consulté le site, j’ai su que Me Forte pourrait m’être d’une grande aide pour répondre à votre question et elle a eu l’amabilité de s’entretenir avec moi. D’ailleurs, pour en savoir plus sur l’élaboration de votre carrière en droit, vous pouvez également lire un article publié récemment par l’ABC.
Me Forte et moi avons discuté de votre message. Elle m’a dit : « Le stage et les premiers pas dans le monde du droit sont toujours un processus par lequel vous découvrez tout ce que vous ne savez pas. » Elle a admis qu’en tant que jeune étudiante en droit et juriste, elle croyait souvent tout savoir. Découvrir qu’elle ne savait pas toujours tout a été humiliant pour elle. « Je me sentais stupide en permanence », dit-elle. Ce n’est que lors d’un entretien avec un collègue qu’elle a découvert qu’elle n’était pas seule dans son camp et qu’elle a commencé à croire qu’elle avait peut-être sa place dans la profession. En repensant à la frustration qui vient avec l’apprentissage de la profession juridique, elle sympathise avec ce que vous traversez : « Ne pas “tout” savoir est décevant, mais ça ne devrait pas l’être tout le temps ».
Au fait, ce que Me Forte décrit est quelque chose qu’on appelle le syndrome de l’imposteur. Si ce que vous traversez ressemble en partie à ce qu’elle dit avoir vécu, il pourrait vous être utile de lire une chronique passée.
Me Forte laisse entrevoir de l’espoir. « Apprendre à être juriste est difficile, m’a-t-elle dit, mais les choses iront en s’améliorant ». « Oui, a-t-elle ajouté, parfois, il faut quelques tentatives pour trouver le bon endroit où faire carrière ». Cela ne signifie pas que vous avez échoué. En réponse à votre question à savoir s’il s’agit simplement d’une partie du processus ou d’un signal d’alarme, cela fait certainement partie du processus. De la même manière que Me Forte l’a constaté en parlant à un ami, vous réaliserez probablement que tout le monde a déjà vécu un ou des épisodes où il avait aussi l’impression d’être « stupide en permanence ». Il pourrait s’agir d’une sonnette d’alarme, mais seulement dans le sens où cela signifie que vous devez vous donner l’occasion d’être plus heureux.
L’un des points clés soulevés par Me Sara en lisant votre message est le mentorat. Trouvez quelqu’un, et peut-être un groupe de personnes, qui peut vous donner un regard extérieur sur ce que vous vivez. De nombreux ordres processionnaux, à l’instar de plusieurs divisions provinciales de l’Association du Barreau canadien, ont des programmes officiels de mentorat. Me Forte souligne que certaines des meilleures expériences de mentorat qu’elle a vécues ont été le résultat de conversations informelles, souvent ponctuelles, avec d’autres membres de la profession. Que ce soit par l’intermédiaire d’un programme officiel ou simplement d’une prise de contact avec quelqu’un qui, selon vous, pourrait vous aider, le mentorat sous une forme ou une autre est très utile, surtout lorsque votre mentor vient de l’extérieur de l’organisation pour laquelle vous travaillez. Ce regard extérieur peut s’avérer bénéfique pour évaluer si les difficultés que vous rencontrez sont suffisantes pour envisager de quitter définitivement votre profession, ou s’il s’agit plutôt de raisons de modifier votre façon de travailler et de gagner votre vie.
Échangez avec d’autres personnes. Découvrez ce qu’elles ont vécu. Découvrez vous-même la quantité de chemins différents qui existent pour connaître du succès, au-delà du parcours que vous vous êtes possiblement convaincu de considérer comme la seule voie à prendre. Comprenez à quel point il est normal d’avoir l’impression que tout votre parcours jusqu’à aujourd’hui a été une erreur. Pour répondre à cette petite voix dans votre tête qui vous dit de ne pas déranger des juristes occupés avec tes questions stupides, rappelez-vous que vous leur demandez de parler d’eux-mêmes. Je généralise peut-être un peu, mais vous n’abusez pas vraiment du temps des juristes si vous leur demandez de parler d’eux-mêmes. Dans une certaine mesure, c’est l’une des choses que nous préférons faire!
Ce qui complique en partie cette initiative pour vous est que vous regrettez d’avoir fait des études préparatoires au droit, d’être allé à la faculté de droit, d’avoir terminé un stage et d’avoir été admis au barreau, sans parler de toutes les autres petites étapes en cours de chemin, pour avoir aujourd’hui l’impression que tout cela était une perte de temps. C’est douloureux.
Le regret est une émotion puissante, mais c’est aussi quelque chose que nous avons collectivement décidé qu’il était honteux de ressentir. En fait, nous sommes nombreux à prétendre ne pas éprouver de regret du tout. Quelqu’un peut devenir si consumé par le regret que cela nuit à sa qualité de vie. Cependant, le problème n’est pas le regret en soi, mais la façon dont nous réagissons aux pensées de ce qui aurait pu exister.
Je vous recommande un très bon livre de Daniel Pink, qui s’intitule The Power of Regret: How Looking Backward Moves Us Forward (uniquement en anglais) et j’emprunte ici une partie de ce qu’il écrit. Ce que vous vivez actuellement est un exploit incroyable d’imagination. Vous évaluez votre situation actuelle, mais vous imaginez aussi ce qu’une autre version de vous aurait pu faire, dans le cas présent, comme choix de carrière. Cela nécessite à la fois de repenser à un moment où vous avez pris une décision, à un carrefour de votre cheminement, puis de créer une histoire parallèle à partir de ce moment. Arrêtez-vous une minute et accordez-vous un peu de crédit pour cet incroyable acte de créativité.
Utilisez cette capacité pour imaginer une autre réalité à la vie que vous avez maintenant. Réfléchissez à ce que vous trouvez attrayant de cette autre réalité. Le site Web de Me Forte, Not Your Average Law Job, peut probablement vous inspirer pour savoir comment les choses pourraient être différentes pour vous, mais imaginez aussi des scénarios où vous ne pratiquez pas le droit. Regardez maintenant ce que vous n’aimez pas de votre situation actuelle. Pendant que vous y êtes, vous devriez aussi réfléchir aux aspects de votre vie actuelle que vous aimez. Il est fort probable que, même si vous êtes malheureux dans votre situation actuelle, il y a quelque chose que vous appréciez. Dressez une liste des côtés positifs de votre vie actuelle et de cette autre vie que vous imaginez.
Une invitation à la prudence : l’expression « l’herbe est toujours plus verte chez le voisin » se fonde sur une certaine réalité. Lorsque nous imaginons une autre version de la réalité, nous ne pensons généralement pas à ses aspects moins plaisants. Quand vous avez envisagé d’aller à la faculté de droit, il y a de fortes chances qu’il y avait plusieurs aspects banals de la pratique du droit que vous n’avez pas pris en considération dans l’image que vous vous êtes faite de la pratique du droit. Je soupçonne qu’une bonne partie de ce qui fait votre insatisfaction par rapport à l’endroit où vous vous trouvez est la dissonance entre la façon dont vous imaginiez les choses et la réalité. Gardez à l’esprit que, lorsque vous imaginez une autre version de votre vie où vous empruntez une avenue différente et où vous n’allez pas à la faculté de droit, votre perception de ces autres versions est teintée par l’ignorance de ce qu’est la réalité quotidienne de cette ou ces autres vies.
Maintenant, prenez la liste des choses que vous aimez de la carrière et de la vie de l’autre version de vous-même et posez-vous la question suivante : que puis-je changer en ce moment dans ma vraie vie qui me rapprocherait de la version 2.0 que j’ai imaginée de moi-même?
Loin d’être une émotion dont vous pouvez avoir honte, votre regret vous fournit des informations utiles. Il vous révèle les améliorations que vous voulez apporter dans votre vie actuelle. Je vous donne un exemple. Si l’une des choses de votre vie imaginée est que vous arrivez à travailler avec une équipe qui vous soutient plutôt que d’être isolé et cloisonné dans votre situation actuelle, cela vous indique que le travail d’équipe positif est une valeur importante et une partie de ce qui constitue une carrière satisfaisante pour vous. Il est presque certain que vous avez plus de capacité que vous ne le pensez à plier, à façonner et à modeler la façon dont vous effectuez votre travail actuel (ou tout autre travail qu’il serait réaliste pour vous de dénicher) pour vous sentir plus heureux et plus épanoui. Prenez note de ce que vous pourriez vraiment faire dans votre propre réalité de tous les jours pour améliorer votre vie.
Je vous propose simplement une digression, loin du judicieux conseil de Sara Forte, mais c’est pour une raison. Cet exercice peut vous aider à voir votre carrière sous un nouveau jour. Est-ce qu’il est possible que vous en veniez à la conclusion que vous devez quitter totalement le monde du droit? Bien sûr. Pourriez-vous conclure que vous voulez rester dans la profession juridique, mais trouver un autre cabinet ou une autre entreprise où travailler? Tout à fait. Pourriez-vous décider que votre emploi actuel vous convient pour autant que vous apportiez des changements afin que, comme le dit Me Forte, votre carrière ne soit pas décevante tout le temps? Oui.
Vous trouvez peut-être tout cela assez ardu. C’est effectivement le cas.
Rappelez-vous la deuxième partie du conseil de Me Forte : vous n’avez pas à faire cavalier seul. En plus des occasions de mentorat qu’elle mentionne, rappelez-vous que le Programme d’aide aux juristes de votre région a des conseillers et probablement des bénévoles de soutien par les pairs qui peuvent vous aider. Le moment est idéal pour les contacter, avant que votre situation de travail ne vous mène à un épuisement professionnel complet. Cette aide est confidentielle et gratuite. Vous pourriez envisager d’y avoir recours.
L’un des avantages de se sentir « stupide en permanence » est que cela vous permet de rester suffisamment humble pour demander de l’aide quand vous en avez besoin. C’est ainsi que nous, humains, apprenons. Je n’ai aucun regret d’avoir appelé Me Forte pour obtenir de l’aide et j’éprouve beaucoup de reconnaissance pour ses observations pertinentes. J’espère qu’elles vous ont aussi aidé!
Prenez bien soin de vous.
Advy