Dîner du président de la FOPJC

  • 16 octobre 2019

Merci de votre aimable prĂ©sentation. Je suis ravie d’ĂŞtre ici et de m’adresser Ă  vous au nom des quelque 36 000 membres de l’Association du Barreau canadien.

Puisque nous sommes ici ce soir, il me semble appropriĂ© de prononcer un discours sur les communications. Signal Hill est l’endroit oĂą Guglielmo Marconi a reçu la première transmission sans fil transatlantique en 1901. Cet Ă©vĂ©nement a ouvert la voie Ă  plus d’un siècle d’avancĂ©es technologiques Ă©poustouflantes. Le vingtième siècle a commencĂ© avec des traits et des points, et s’est terminĂ© avec des bits et des octets. Nous avons maintenant la vaste majoritĂ© des connaissances de l’humanitĂ© dans notre poche, pour autant que nous ayons accès Ă  un rĂ©seau et que nos piles tiennent le coup.

Pourtant, Ă  la base, la communication n’a pas changĂ©. Il s’agit d’un aspect fondamental de tout ce que nous faisons en tant qu’ĂŞtre humain. Il nous suffit d’observer des peintures datant d’il y a des milliers d’annĂ©es sur les parois des grottes de Lascaux, en France, et dans d’autres endroits de partout au monde, pour comprendre les histoires qu’elle raconte et les Ă©motions qu’elles transmettent, auxquelles nous nous identifions. Nous pouvons visiter des endroits comme Hampton Court au Royaume-Uni, et imaginer la cour des Tudors, pleine de vie, tout en cernant les Ă©motions qu’Anne Boleyn a dĂ» ressentir lorsqu’elle a Ă©tĂ© accusĂ©e Ă  tort d’adultère avant d’ĂŞtre condamnĂ©e Ă  mort.

Plus nous nous éloignons des interactions individuelles directes avec les gens, plus les possibilités de malentendus augmentent.

C’est pourquoi nous valorisons les occasions comme celle-ci, qui nous permet de nous rassembler, d’apprendre Ă  se connaĂ®tre et de partager des opinions et des idĂ©es d’intĂ©rĂŞt commun. Nous avons la chance de parler, mais avant tout, de tendre l’oreille aux autres. Et c’est en Ă©tant Ă  l’Ă©coute des autres groupes, voire en prĂŞtant une oreille de plus en plus attentive, que nous apprenons Ă  mieux nous comprendre l’un l’autre.

La communication – en face Ă  face, mais aussi dans les mĂ©dias sociaux, par le biais de vidĂ©oconfĂ©rences, d’appels tĂ©lĂ©phoniques et de tĂ©lĂ©confĂ©rences – est l’une des pierres angulaires de mon mandat Ă  la prĂ©sidence, qui touche un Ă©ventail de plates-formes.

J’essaierai d’amener des gens Ă  Ă©changer les uns avec les autres, mĂŞme s’ils ne se comprennent pas encore tout Ă  fait. Moi-mĂŞme, je reprĂ©sente quatre groupes qui, traditionnellement, ont eu Ă  lutter pour trouver leur place dans la profession juridique. Je suis une jeune avocate. Je suis une conseillère juridique d’entreprise. Je suis une personne de couleur et je suis une femme. En tant que prĂ©sidente de l’ABC, j’espère pouvoir faire office de pont entre les centres traditionnels de pouvoir de la profession et ces groupes, qui sont aussi essentiels pour assurer l’avenir de l’association.

L’an passĂ©, dans le cadre de sa nouvelle chaĂ®ne de balados, l’ABC Ă  lancer une sĂ©rie s’intitulant « Conversations with the President » (Entretiens avec la prĂ©sidence). Dans les balados auxquels je participerai, j’espère combler le fossĂ© gĂ©nĂ©rationnel. Les gens qui obtiennent leur diplĂ´me de la facultĂ© de droit cette annĂ©e accèderont Ă  un environnement professionnel très diffĂ©rent de ceux qui l’ont obtenu il y a 20 ans ou tout juste après la rĂ©cession de 2008. Il existe des malentendus aux deux extrĂ©mitĂ©s de ce fossĂ© en ce qui a trait aux attentes et aux dĂ©sirs de l’autre. Je souhaite aborder ces diffĂ©rences afin de trouver un terrain d’entente qui, je sais, existe entre les membres plus âgĂ©s et plus jeunes du barreau. Il s’agit d’une conversation Ă  laquelle la FOPJC, en tant qu’organisme de rĂ©glementation de la profession, devrait s’intĂ©resser vivement. Les jeunes juristes ont des attentes diffĂ©rentes par rapport Ă  l’emploi, des attentes qui pourraient changer la façon dont fonctionnent, survivent et prospèrent les cabinets de juristes. Ces pressions pourraient Ă©galement nous amener Ă  examiner les programmes de formation et d’agrĂ©ment des nouveaux juristes. Nous devons Ă©galement nous demander si nos mĂ©thodes actuelles profitent aussi bien Ă  la profession qu’au public.

En qualitĂ© de conseillère d’entreprise, je fais partie d’un groupe qui a connu la plus forte croissance au sein de la profession en gĂ©nĂ©ral, et de l’ABC en particulier. Pourtant, le secteur privĂ© semble s’approprier plus que sa juste part du marchĂ©.

ĂŠtre une femme de couleur m’apporte une perspective diffĂ©rente sur la profession de juriste d’entreprise. Nous ne possĂ©dons pas beaucoup de donnĂ©es sur la constitution de la profession juridique au Canada. Ce que nous avons appris de façon empirique, en raison d’Ă©tudes locales et isolĂ©es qui ont Ă©tĂ© menĂ©es, c’est que les femmes et les gens issus de groupes Ă  la recherche d’Ă©quitĂ© font moins d’argent que les hommes et qu’ils ont tendance Ă  abandonner la pratique privĂ©e ou Ă  ne jamais y accĂ©der dès le dĂ©but. Plusieurs de ces personnes choisissent plutĂ´t de faire carrière dans le secteur public ou au sein d’entreprises, sans vraiment faire un choix. Ces mĂŞmes Ă©tudes et donnĂ©es empiriques dĂ©montrent qu’elles le font pour diffĂ©rentes raisons, la conciliation travail-vie Ă©tant l’une d’elles. La culture traditionnelle hyper masculine de plusieurs cabinets, qui donnent la prĂ©fĂ©rence aux hommes blancs hĂ©tĂ©rosexuels, en est une autre, ce qui renforce cette pratique.

Depuis longtemps, le manque de statistiques relatives Ă  la composition de la profession juridique canadienne et aux mutations et motivations des juristes du pays freine toute tentative d’apporter des changements au sein de notre profession. Faute de donnĂ©es complètes, il est impossible de savoir si votre situation en est une qui est relativement mauvaise, relativement bonne ou relativement moyenne.

Plus tĂ´t cette annĂ©e, les sections des jeunes juristes ainsi que des Ă©tudiants et Ă©tudiantes en droit de l’ABC ont Ă©crit Ă  la FOPJC afin de lui demander d’assumer un rĂ´le de leadership auprès des barreaux pour qu’ils Ă©tablissent un cadre national pour la profession. L’initiative faisait suite Ă  un sondage du Barreau de l’Ontario dans lequel un cinquième des rĂ©pondants disait ĂŞtre victime de harcèlement et de discrimination pendant leur stage. Il s’agit d’un problème mondial qui Ă©tait au cĹ“ur de la confĂ©rence annuelle de l’Association internationale du barreau tenue Ă  SĂ©oul. Dans une Ă©tude semblable publiĂ©e rĂ©cemment par la Law Society of Alberta, conjointement avec les barreaux du Manitoba et de la Saskatchewan, cette rĂ©alitĂ© s’applique au tiers des rĂ©pondants.

L’ABC demande Ă  tous les barreaux de mener des sondages de cette nature dans l’ensemble du pays afin de surveiller et d’amĂ©liorer l’expĂ©rience que vivent les stagiaires. Un sondage pancanadien nous permettrait de compiler d’importants renseignements dĂ©mographiques et de crĂ©er un ensemble de donnĂ©es comparatives utiles. La fĂ©dĂ©ration doit s’occuper de cette tâche ou, Ă  tout le moins, faciliter sa mise en Ĺ“uvre en crĂ©ant un questionnaire normalisĂ© qui recueille des renseignements sur l’âge, l’identitĂ© de genre, l’orientation sexuelle et l’ethnicitĂ© des rĂ©pondants, tout comme l’endroit et le type de milieu oĂą ils font leur stage, le salaire qu’ils gagnent, la facultĂ© de droit qu’ils frĂ©quentent, ainsi que le montant et le type de dette qu’ils contractent.

Ces questions peuvent nous aider – l’association, les organismes de rĂ©glementation, les Ă©ducateurs juridiques et la profession juridique dans son ensemble – Ă  cerner les lacunes du système, les points faibles Ă  amĂ©liorer, les torts Ă  corriger, les domaines oĂą les choses fonctionnent bien et qui devraient avoir du soutien. Ces renseignements pourraient nous aider Ă  Ă©tablir un point de comparaison, non seulement au sein de chaque province et territoire, mais Ă  l’Ă©chelle du pays.

Lorsqu’il est question de communication, nous ne devrions jamais nous contenter du statu quo. Nous ne devrions jamais tenir pour acquis que ce qui fonctionne pour la majoritĂ© fonctionne pour tout le monde. L’Association du Barreau canadien, en tant que porte-parole de la profession, ainsi que les barreaux du pays, qui agissent pour le compte du public, ont l’obligation de s’adresser Ă  tout le monde, d’amĂ©liorer le système de justice et de le rendre moins partial, aussi bien Ă  l’interne qu’Ă  l’externe.

C’est dans cette optique que l’ABC travaille sur plusieurs initiatives qui Ă©manent des recommandations qu’a formulĂ©es son groupe de travail sur la vĂ©ritĂ© et la rĂ©conciliation plus tĂ´t cette annĂ©e. Nous avons rĂ©cemment lancĂ© un site Web qui expose les efforts de reprĂ©sentation de l’association, et fournit des outils, des ressources et des sĂ©ances de formation Ă  l’intention des juristes Ĺ“uvrant avec des clients autochtones. Le site contient de l’information dont l’objectif est d’aider les juristes Ă  comprendre les rĂ©percussions et l’hĂ©ritage des pensionnats et du système colonial sur les peuples autochtones.

En plus de regorger d’information, le site Web affiche de magnifiques Ĺ“uvres d’art rĂ©alisĂ©es par des artistes autochtones. Je vous invite Ă  y jeter un Ĺ“il au cba.org – le site est vraiment de toute beautĂ©!

Nous bâtissons sur le succès qu’a connu le camp de formation en leadership pour les juristes racialisĂ©s, tenu Ă  Toronto au mois de mai. En dĂ©cembre, nous tiendrons le tout premier Sommet du leadership des juristes chevronnĂ©s racialisĂ©s, c’est-Ă -dire les juristes qui ont Ă©tĂ© admis au barreau il y a dix ans ou plus.

L’un des groupes en quĂŞte d’Ă©quitĂ© dont nous parlons moins que les autres et celui des personnes Ă©conomiquement marginalisĂ©es, un facteur important de la crise d’accès Ă  la justice sur lequel l’association et les organismes de rĂ©glementation devraient se pencher. En cette pĂ©riode Ă©lectorale, nous avons menĂ© une campagne s’intitulant #AideJuridique #ÇaCompte, dont l’objectif Ă©tait d’attirer l’attention sur le besoin d’un fonds d’aide juridique stable et durable pour les gens qui ne sont qu’Ă  une affaire juridique de vivre une catastrophe personnelle. Cela comprend les travailleurs pauvres, des gens qui travaillent Ă  temps plein, mais qui peinent Ă  joindre les deux bouts.

Quelques facteurs socio-Ă©conomiques sont Ă©galement Ă  la base d’une certaine homogĂ©nĂ©itĂ© dans la profession. La formation juridique n’est pas Ă  la portĂ©e des gens qui ne peuvent se permettre de payer les droits de scolaritĂ© Ă©levĂ©s ou de contracter une dette accablante – il s’agit de juristes de première gĂ©nĂ©ration, ds familles monoparentales, etc. Les diplĂ´mĂ©s sont contraints de rechercher du travail dans de grands centres oĂą la rĂ©munĂ©ration est meilleure, laissant les rĂ©sidents des petites villes et des rĂ©gions rurales sans accès Ă  une reprĂ©sentation juridique.

Au printemps dernier, nous avons adressĂ© une lettre au ministère fĂ©dĂ©ral de l’Emploi lui demandant d’Ă©tendre le programme d’exonĂ©ration de remboursement des prĂŞts d’Ă©tudes auquel peuvent prĂ©tendre les professionnels de la santĂ© pour y inclure les juristes qui sont prĂŞts Ă  exercer dans des communautĂ©s rurales et Ă©loignĂ©es.

La communication doit ĂŞtre inclusive pour ĂŞtre efficace. En 2016, le Barreau de l’Ontario Ă  tenter de rĂ©gler le problème de discrimination systĂ©mique dans la profession juridique en exigeant des juristes qu’ils adoptent et respectent un Ă©noncĂ© de principes prĂ´nant l’Ă©galitĂ© et la diversitĂ©. Cette rĂ©glementation a Ă©tĂ© bien accueillie par certaines personnes, mais a Ă©tĂ© tournĂ©e en dĂ©rision par d’autres, qui la considĂ©rait comme un discours affectĂ©. Ces derniers l’ont emportĂ© et l’Ă©noncĂ© de principes a Ă©tĂ© rejetĂ© cette annĂ©e Ă  la faveur de la reconnaissance d’une obligation professionnelle de respecter la lĂ©gislation sur les droits de la personne.

Sur une note personnelle, je dois avouer que, en tant que membre du Barreau de l’Ontario et membre d’un groupe que l’Ă©noncĂ© de principes original tentait de joindre, je trouve tristes le dĂ©bat et la solution de compromis, qui annule les gains importants acquis en matière de diversitĂ© et d’inclusion. J’espère qu’il y aura rĂ©ellement une Ă©galitĂ© des chances pour tout un chacun Ă  l’avenir.

Il y a un peu plus d’un siècle, Marconi Ă©tait assis dans un hĂ´pital abandonnĂ© ici mĂŞme, observant son antenne suspendue Ă  un cerf-volant, attendant une transmission transatlantique en provenance de Cornwall. Au cours du dernier mois, je me suis rendue en CorĂ©e et au Royaume-Uni, et j’ai pu communiquer avec des gens Ă  la maison, le dĂ©calage horaire constituant le seul obstacle. Les technologies de la communication ont beaucoup Ă©voluĂ©. Toutefois, nous devons nous rappeler que, indĂ©pendamment de l’outil que nous utilisons, la communication en soi est la clĂ© pour faire avancer les choses, pour crĂ©er des changements. Nous devons ouvrir les canaux Ă  diffĂ©rents groupes, Ă©couter ce qu’ils ont Ă  dire et veiller en retour Ă  ce qu’ils nous comprennent. Il s’agit de la seule façon de respecter nos obligations envers le public et envers la profession.

Merci encore de m’avoir invitĂ©e Ă  m’adresser Ă  vous ce soir. Profitez bien du reste de la soirĂ©e.