G. des Soucis

  • 07 mai 2021

Chère Advy,

Je travaille au sein du mĂŞme cabinet depuis que j’y ai fait mon stage. C’est un excellent endroit oĂą travailler et j’aime vraiment mes collègues. Cependant, l’un des associĂ©s m’inquiète un peu. C’est un homme plus âgĂ©, l’associĂ© ayant le plus d’anciennetĂ© du cabinet, mais j’ai l’impression qu’il commence Ă  perdre de son acuitĂ© mentale. Ce n’est pas Ă©vident, et je ne pense pas que cela mette des clients en danger… pour l’instant. Comment savoir s’il vieillit simplement ou si c’est le dĂ©but de quelque chose de plus grave? Je tiens Ă  faire preuve de dĂ©licatesse et de discrĂ©tion, mais je ressens une certaine responsabilitĂ© en tant qu’ami, associĂ© et membre du cabinet.

Sincères salutations,
G. des Soucis


Monsieur des Soucis,

La première question Ă  vous poser est la suivante : comment aimeriez-vous qu’un ami et collègue aborde cette question avec vous si les rĂ´les Ă©taient inversĂ©s? Avant toute chose, vous aimeriez probablement qu’ils vous posent des questions. Votre collègue mĂ©rite de savoir ce que vous pensez honnĂŞtement qui ne va pas. Ayez cette discussion, mĂŞme si une partie de vous prĂ©fĂ©rerait l’Ă©viter.

Voici cinq conseils Ă  vous rappeler lorsque vous serez prĂŞt pour cette conversation.

1. Préparez-vous à une mauvaise réaction.

Quelle que soit la manière dont vous abordez le sujet, ne soyez pas surpris si votre collègue se montre Ă©vasif ou contre-attaque. Ou les deux. Donnez-lui une occasion de mettre soudainement fin Ă  la conversation et d’y revenir plus tard. Si vous pouvez avoir cette discussion pendant une promenade ou dans un espace neutre du bureau, tant mieux. Rappelez-vous que s’il le prend mal au dĂ©but, ce n’est pas votre faute et ce n’est pas non plus une trahison, indĂ©pendamment de ce qu’il pourrait dire ou ce qu’il pourrait nier. Vous ĂŞtes son alliĂ©, mais il est naturel qu’il ne voie pas les choses comme vous au premier abord.

2. Ne vous attendez pas à résoudre le problème en une seule conversation.

C’est un complĂ©ment de ce que je vous ai dit dans le point prĂ©cĂ©dent, mais ne soyez pas trop ambitieux pour la première tentative de rĂ©gler ce problème. Si la rĂ©action initiale de votre collègue est nĂ©gative, cela ne signifie pas que le problème est impossible Ă  rĂ©soudre. Restez Ă  sa disposition et apportez-lui votre soutien, puis attendez qu’il perçoive votre inquiĂ©tude au lieu de ressentir une menace. Il faudra peut-ĂŞtre un certain temps. PrĂ©voyez une mauvaise rĂ©action, mais gardez la porte ouverte sans tenir compte de ses premiers commentaires, qui seront probablement bourrus, Ă©vasifs ou futiles.

3. Dans la mesure du possible, abordez votre collègue en personne.

Qu’est-ce qui augmente les chances que votre associĂ© vous Ă©coute au lieu de rĂ©agir Ă  une menace qui n’existe pas? Bien qu’il soit difficile d’avoir des conversations en personne ces jours-ci, essayez de le faire. Lorsque vous transmettez un message, votre corps, le ton de votre voix et tout ce que vous dites avant d’aborder le sujet, et après de l’avoir abordĂ©, pèsent dans sa transmission. Si ces puissants outils de communication vous permettent de transmettre un message exempt de menace oĂą vous montrez Ă  votre collègue que vous avez Ă  cĹ“ur son intĂ©rĂŞt et que vous comptez sur lui Ă  long terme, les chances qu’il ne s’offusque pas sont bien meilleures. Les vidĂ©oconfĂ©rences sur Zoom et les appels tĂ©lĂ©phoniques attĂ©nuent gĂ©nĂ©ralement la richesse de notre langage corporel dans une conversation difficile.

4. Soyez ouvert Ă  d’autres idĂ©es qu’un dĂ©part Ă  la retraite et Ă©coutez le point de vue de votre collègue.

Que vous parveniez Ă  lui faire comprendre que vous n’essayez pas de vous dĂ©barrasser de lui ou que vous ayez Ă  attendre qu’il accepte avec un peu plus de calme ce que vous tentez de lui dire, assurez-vous de vous exprimer clairement et avec sincĂ©ritĂ©.

En tant que sociĂ©tĂ©, nous exagĂ©rons la mesure dans laquelle les gens « tombent » dans la vieillesse. Les personnes âgĂ©es ont souvent une plus grande intelligence Ă©motionnelle que les gens plus jeunes. L’acuitĂ© cognitive peut en effet baisser avec le temps, mais il est probablement plus exact de dire que nos capacitĂ©s se transforment plutĂ´t qu’elles diminuent. Votre collègue a plus Ă  offrir que les vestiges des compĂ©tences qu’il possĂ©dait jadis. MĂŞme si sa capacitĂ© Ă  analyser des questions juridiques ou Ă  se souvenir des critères tirĂ©s de l’affaire R. c. Collins n’est plus ce qu’elle Ă©tait, sa capacitĂ© Ă  relier des concepts disparates et Ă  trouver des solutions originales Ă  des problèmes juridiques est probablement supĂ©rieure aujourd’hui, et non infĂ©rieure. Notre approche culturelle au vieillissement se reflète dans le mot que vous avez choisi d’utiliser : « perdre ». Ce qui pourrait ressembler Ă  une perte de facultĂ©s est peut-ĂŞtre tout simplement la preuve d’une vision diffĂ©rente, et non d’une rĂ©flexion erronĂ©e. Votre collègue ne sera peut-ĂŞtre pas en mesure de s’occuper des tâches qu’il accomplissait dans sa jeunesse, mais il a Ă©galement dĂ©veloppĂ© des compĂ©tences qu’il ne possĂ©dait pas avant. Certains psychologues organisationnels font rĂ©fĂ©rence Ă  deux types d’intelligence : l’intelligence fluide et l’intelligence cristallisĂ©e. L’intelligence fluide — ce que nous avons tendance Ă  voir comme l’acuitĂ© mentale — diminue Ă  partir de la mi-vie. L’intelligence cristallisĂ©e c’est la capacitĂ© de comparer des situations actuelles Ă  des situations vĂ©cues par le passĂ©, et de trouver des solutions en s’appuyant sur ces comparaisons. Ce type d’intelligence se dĂ©veloppe tout au long de la vie.

Investissez-vous totalement dans la conversation. Ne faites pas ce que nous, juristes, aimons faire, c’est-Ă -dire Ă©couter la rĂ©ponse en attendant de pouvoir tirer la conclusion Ă  laquelle vous ĂŞtes dĂ©jĂ  arrivĂ©. PlutĂ´t que lui confier des tâches de moindre importance Ă  l’avenir, recherchez sincèrement avec votre collègue le rĂ´le idĂ©al qu’il pourrait dorĂ©navant jouer au sein du cabinet. Il pourrait peut-ĂŞtre avoir besoin d’aide pour respecter des dĂ©lais de procĂ©dure ou trouver des renseignements sur des causes. Ou encore, il a peut-ĂŞtre besoin d’un congĂ©. Une foule d’autres choses qui pourraient le servir. Les meilleures solutions se prĂ©senteront probablement si vous l’Ă©coutez vraiment. Vous ĂŞtes nĂ© avec deux oreilles et une bouche. Prenez cela comme un signe que vous devriez Ă©couter deux fois plus que vous ne devriez parler.

5. Envisagez la possibilité que vous ne soyez pas la personne la mieux placée pour lui parler.

Y a-t-il une autre personne du cabinet qui est particulièrement proche de votre collègue? Si ce que vous avez observĂ© a le potentiel de mettre tĂ´t ou tard des clients en danger, cette question concerne aussi les autres associĂ©s. Sans parler dans le dos de votre collègue, discutez-en avec vos associĂ©s. Ils ont peut-ĂŞtre remarquĂ© des problèmes semblables ou ils ne sont peut-ĂŞtre pas d’accord avec vous. Ils peuvent aussi savoir qui serait la meilleure personne pour aborder le problème avec votre collègue et lui faire rĂ©ellement comprendre ce qui est en jeu.

Votre Programme d’aide aux juristes local pourrait vous aiguiller vers des gens qui ont de l’expĂ©rience avec ce genre de conversation. Appelez-les et voyez s’ils peuvent vous aider ou, Ă  tout le moins, vous orienter Ă  travers les diffĂ©rentes Ă©tapes du processus.

Cet appel Ă  votre PAJ a un avantage secondaire : lorsque la conversation ira mal (et c’est ce qui arrivera), vous aurez peut-ĂŞtre besoin d’aide. Il n’y a rien de mieux qu’un tiers empathique pour vous aider Ă  composer avec votre propre rĂ©action Ă©motionnelle Ă  ce qui se passe. Le fait de prendre des dispositions Ă  l’avance peut vous aider Ă  rester concentrĂ© sur le travail difficile de la conservation qui vous attend.

Prenez bien soin de vous.
- Advy