Besoin-de-retrouver-l’équilibre

  • 04 octobre 2022

Chère Advy,

Je suis un juriste exerçant en droit de la famille au sein d’un petit cabinet. Avec tout ce qui entoure ce qui ressemble Ă  une pandĂ©mie qui ne finira jamais, nous ne manquons pas de clients, ce qui est très bien du point de vue commercial, mais qui s’avère extrĂŞmement dĂ©primant, compte tenu des traumatismes que vivent mes clients tous les jours. En temps normal, j’ai toujours bien fait pour me dissocier de ces choses, mais j’Ă©prouve beaucoup de difficultĂ© Ă  le faire dernièrement. Je me rĂ©veille au milieu de la nuit, assailli de conversations de la journĂ©e qui me tournent dans la tĂŞte. Je commence Ă  me sentir un peu comme un zombie quand je suis au bureau. Mes confrères et consĹ“urs ne semblent pas Ă©prouver le mĂŞme problème, bien qu’ils soient confrontĂ©s au mĂŞme type de clients et qu’ils aient la mĂŞme charge de travail que moi. Je ne suis pas sĂ»r de la façon de rĂ©gler ce problème et je ne peux certainement pas discuter de mes dossiers avec qui que ce soit Ă  l’extĂ©rieur du bureau. Je crains que cela affecte ma carrière d’une manière nĂ©gative si j’en fais part Ă  mes collègues.

Sincères salutations,
Besoin-de-retrouver-l’Ă©quilibre


Cher Besoin-de-retrouver-l’Ă©quilibre,

J’ai la conviction que le pire conseil que vous avez reçu jusqu’Ă  prĂ©sent est une variante de « n’y pensez tout simplement pas ». Toute tentative de cesser de penser au travail ou aux traumatismes que vos clients partagent avec vous est autodestructrice. En fait, de façon gĂ©nĂ©rale, se fier Ă  ce que nous appelons la « volontĂ© » est tout simplement inutile pour rĂ©soudre ce genre de problème, en plus d’ĂŞtre contre-productif. DostoĂŻevsky disait dans Notes d’hiver sur impressions d’Ă©tĂ© :

« Essayez de vous poser cette tâche : ne pas penser Ă  un ours polaire, et vous verrez que la chose maudite vous viendra Ă  l’esprit chaque minute. »

Ă€ l’instar de cet ours polaire, toutes les conversations que vous avez eues plus tĂ´t dans la journĂ©e avec des clients auxquelles vous tentez de ne pas penser vous viendront en tĂŞte.

Ces ours polaires incommodants peuvent être séparés en deux sous-espèces :

  1. Ceux utiles
  2. Ceux inutiles

Avant d’approfondir notre discussion sur les ours polaires incommodants, ne vous blâmez pas parce que vos collègues semblent ne pas avoir ce problème. Soit ils ne vous disent pas qu’ils vivent la mĂŞme chose, soit ils ont dĂ©jĂ  consciemment ou inconsciemment intĂ©grĂ© certaines des stratĂ©gies que je vais vous expliquer ici. L’heure du bien-ĂŞtre de l’ABC a dĂ©jĂ  consacrĂ© un Ă©pisode entier Ă  la question que vous soulevez. Le visionnement de cette vidĂ©o pourrait Ă  tout le moins vous aider Ă  vous rappeler que vous n’ĂŞtes pas le seul Ă  traverser cette Ă©preuve.

1. Intrusions utiles, mais agaçantes

L’une des raisons pour lesquelles les conversations tournent dans votre tĂŞte Ă  un moment mal choisi est qu’il y a peut-ĂŞtre quelque chose au sujet de ces pensĂ©es que vous voulez garder dans votre mĂ©moire active par crainte de les oublier. En ruminant une conversation que vous avez eue plus tĂ´t dans la journĂ©e, vous avez peut-ĂŞtre vu certains Ă©lĂ©ments que vous souhaitez revoir Ă  votre retour au travail. Si c’est le cas, utilisez un journal ou un bloc-notes, ou encore une note vocale sur votre tĂ©lĂ©phone, pour consigner cette pensĂ©e. Vous ĂŞtes peut-ĂŞtre consciemment ou inconsciemment rĂ©ticent Ă  laisser la pensĂ©e quitter votre mĂ©moire active et vous faites la seule chose qui fonctionne pour vous assurer qu’elle y reste : la rĂ©pĂ©tition.

Il est important de prendre l’habitude de consulter ces notes lorsque vous ĂŞtes au bureau. Si vous ne vous faites pas confiance pour revoir la note au travail, votre mĂ©moire active ne laissera pas partir cette pensĂ©e. Vous constaterez souvent qu’une fois que vous n’avez plus peur de perdre cette idĂ©e, la conversation peut sortir beaucoup plus facilement de votre mĂ©moire active.

Vous pouvez aussi utiliser votre calendrier pour mieux gĂ©rer ce genre de pensĂ©es. Il peut ĂŞtre très utile de ruminer un problème au moment opportun. Donnez-vous rendez-vous pour « vous prĂ©occuper du problème X » pendant votre journĂ©e de travail. Cela vous permettra non seulement d’exploiter la force de ce que vous sentez Ă  des fins positives, mais vous en retirerez Ă©galement des effets secondaires bĂ©nĂ©fiques. Dire Ă  votre inconscient de ne pas penser Ă  l’ours polaire ne fonctionne pas. Cependant, vos chances de succès sont beaucoup plus Ă©levĂ©es si vous pouvez convaincre votre inconscient de « penser Ă  l’ours polaire mardi Ă  10 h 30 ». Nous avons tendance Ă  considĂ©rer le « souci » ou la « rumination » comme des choses simplement mauvaises. Ce n’est pas le cas. Ces modèles de pensĂ©e peuvent ĂŞtre extrĂŞmement utiles s’ils se manifestent Ă  des moments qui ne vous nuisent pas ou d’une façon qui ne vous nuit pas. Ils ne deviennent un problème que lorsqu’ils se mĂŞlent Ă  d’autres activitĂ©s essentielles, comme dormir ou profiter de la vie.

Un bon livre Ă  lire sur la gestion de ce genre de pensĂ©es utiles, quoiqu’agaçantes, est L’esprit organisĂ©, de Daniel Levitin.

2. Pensées inutiles

Bien sĂ»r, certaines ou peut-ĂŞtre mĂŞme la plupart de ces ruminations ne sont possiblement rien de plus que votre journĂ©e de travail en mode rĂ©pĂ©tition. Cette sous-espèce n’a aucune des qualitĂ©s rĂ©demptrices des pensĂ©es utiles et sert seulement Ă  vous garder Ă©veillĂ© pendant la nuit et Ă  vous faire sentir comme un zombie le matin.

Pensez Ă  ce que vous faites entre le moment oĂą vous quittez le travail et le moment oĂą vous arrivez Ă  la maison. Quelles habitudes pourriez-vous intĂ©grer Ă  ce moment-lĂ  pour mieux sĂ©parer l’Ă©tat d’esprit que vous avez Ă  la maison de celui que vous avez au travail? Pourriez-vous faire un peu d’exercice en revenant Ă  la maison Ă  pied ou en vĂ©lo, ou peut-ĂŞtre en arrĂŞtant Ă  un centre de conditionnement? Pourriez-vous dĂ©signer un repère sur votre itinĂ©raire de retour oĂą vous laissez vos soucis professionnels jusqu’au lendemain? Pouvez-vous Ă©couter de la musique dans votre voiture, dans le mĂ©tro ou dans l’autobus qui vous aiderait Ă  modifier vos pensĂ©es? Trouvez une chose ou une combinaison de choses qui mettent votre corps et votre esprit dans un Ă©tat qui diffère de celui que vous avez au travail.

Portez attention Ă  votre corps. Nous avons tendance Ă  penser que notre esprit est distinct de notre corps. La rĂ©alitĂ© est que votre cerveau est intimement liĂ© Ă  tout ce qui se passe sous votre cou. Selon un neurologue, le cerveau est rĂ©solument liĂ© au corps. Votre corps peut l’alimenter avec des signaux qui indiquent notamment le stress, la faim ou un besoin urgent de dormir. Votre cerveau convertit ces signaux en pensĂ©es au sujet de quelque chose de concret, car c’est ce qu’il fait tout le temps. Dans votre cas, vos rĂ©flexions portent sur ce qui se passe au travail. Cependant, si vous n’aviez pas de travail auquel penser et que vous Ă©tiez quand mĂŞme chroniquement privĂ© de sommeil et que vous vous alimentiez mal, vous auriez des pensĂ©es anxieuses sur un autre sujet. Toute tentative de comprendre votre dĂ©tresse en vous concentrant uniquement sur les pensĂ©es elles-mĂŞmes est un peu comme essayer d’apprĂ©cier Miles Davis en lisant une partition de musique. Les notes sur la page sont une reprĂ©sentation de ce qui se passe, mais il vous manque quelque chose d’essentiel.

Buvez de l’eau, reposez-vous, Ă©vitez les Ă©crans d’ordinateur ou d’appareils intelligents le soir, laissez tomber la cafĂ©ine après midi, Ă©vitez l’alcool avant d’aller au lit, faites de l’exercice, mangez des aliments sains et nutritifs, et tissez des liens sociaux avec d’autres personnes. Vous avez possiblement l’impression que ces choses n’ont aucun lien avec votre problème, mais si vous prenez soin de vos besoins de santĂ© sous-jacents, vous serez en meilleure position pour gĂ©rer ces pensĂ©es anxieuses. Portez une attention particulière Ă  vos besoins corporels au moment de votre transition entre le travail et le repos, et dĂ©veloppez des habitudes ou des modèles spĂ©cifiques de comportement qui vous permettent de prendre soin de vous sans vraiment avoir Ă  y penser.

En construisant une sorte de rituel pour vous dissocier de vos pensĂ©es professionnelles, vous serez en mesure de mieux sĂ©parer votre vie professionnelle de votre vie personnelle. Appelons ça l’« hygiène du retour Ă  la maison ». Est-ce que cette hygiène vous semblera artificielle ou mĂŞme Ă©trange au dĂ©but? Sans l’ombre d’un doute. Cependant, si vous persistez, vous finirez par l’adopter sans mĂŞme avoir Ă  y penser après quelques semaines.

Un conseiller qualifiĂ© pourrait vous aider Ă  mettre au point ces rituels de transition d’une manière qui convient Ă  vos besoins spĂ©cifiques. Il pourrait Ă©galement vous aider Ă  composer avec la dĂ©tresse que les traumatismes de vos clients vous font ressentir. Utilisez l’aide que vous pouvez obtenir par le biais du programme d’aide aux juristes de votre province ou de votre territoire.

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