L’interdiction de négocier les prestations de retraite dans les lois du travail est-elle inconstitutionnelle?

  • 26 avril 2019
  • Sonia Massicotte

Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCA-SACC-CSN) c. Procureure générale du Canada, 2018 QCCS 2539

Le 6 juin 2018, monsieur le juge Davis, de la Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec, a rendu une dĂ©cision concernant la possibilitĂ© de nĂ©gocier les modalitĂ©s des prestations de retraite dans le cadre du rĂ©gime applicable Ă  la fonction publique du Canada. Le Syndicat des agents correctionnels du Canada souhaitait nĂ©gocier certains aspects de ses rĂ©gimes de retraite malgrĂ© l’interdiction de ce genre d’activitĂ© que semblait dresser la lĂ©gislation.

C’est l’article 113 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fĂ©dĂ©ral (LRTPF) qui prescrit, dans les termes suivants, le processus de nĂ©gociation pour ce secteur.

La convention collective qui rĂ©git une unitĂ© de nĂ©gociation qui n’est pas dĂ©finie Ă  l’article 238.14 ne peut pas avoir pour effet direct ou indirect de modifier, de supprimer ou d’Ă©tablir :

  1. une condition d’emploi de manière que cela nĂ©cessiterait l’adoption ou la modification d’une loi fĂ©dĂ©rale, exception faite des lois affectant les crĂ©dits nĂ©cessaires Ă  son application;
  2. une condition d’emploi qui a Ă©tĂ© ou pourrait ĂŞtre Ă©tablie sous le rĂ©gime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la Loi sur la pension de la fonction publique ou la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.

Le syndicat appuie sa contestation sur l’argument selon lequel cet article est inconstitutionnel et entrave la libertĂ© d’association de ses membres, argument auquel s’oppose la Procureure gĂ©nĂ©rale du Canada. Sauf lorsqu’une exemption est prĂ©vue, le Conseil du TrĂ©sor du Canada est l’employeur des fonctionnaires et ses pouvoirs sont inscrits dans la Loi sur la gestion des finances publiques.

Il va sans dire que dans le contexte canadien, le droit Ă  la nĂ©gociation collective n’est pas un droit absolu et la lĂ©gislation doit entraver considĂ©rablement ce droit pour qu’un tribunal reconnaisse cette violation. La preuve produite par le syndicat vise Ă  Ă©tablir la haute importance de la nĂ©gociation des prestations de retraite pour le syndicat et ses membres, et le fait qu’ils ont demandĂ© de nĂ©gocier leurs prestations depuis 2002.

En ce qui concerne les prestations de retraite, la LRTPF prĂ©voit la crĂ©ation d’un comitĂ© consultatif et la Cour reconnaĂ®t que la consultation effectuĂ©e sous les auspices de ce comitĂ© a dĂ©bouchĂ© sur un certain nombre de modifications des rĂ©gimes de retraite au fil des ans, plus prĂ©cisĂ©ment celui qui vise les agents correctionnels. Toutefois, elle n’a pas pu conclure que ces consultations ou modifications sont le fruit d’un processus de nĂ©gociation collective Ă©tant donnĂ© que lesdites consultations Ă©taient entièrement ad hoc et ne dĂ©coulaient que de la dĂ©cision de l’employeur de les organiser. Il n’existe aucune garantie que ces consultations se poursuivront lors des prochaines sĂ©ries de nĂ©gociations. Qui plus est, le processus existant ne pouvait pas permettre aux membres du syndicat de nĂ©gocier certaines conditions de travail très importantes Ă  leurs yeux et, ce qui importe davantage, aucun mĂ©canisme de ce genre n’a Ă©tĂ© Ă©tabli pour prĂ©voir un mĂ©canisme de règlement des diffĂ©rends en dernier ressort et sans appel (ni aucun processus de mĂ©diation). Selon la Cour, une procĂ©dure de griefs qui prĂ©voit un règlement final d’un litige portant sur les conditions de travail est un Ă©lĂ©ment essentiel d’une entente dĂ©coulant d’une nĂ©gociation collective et, par consĂ©quent, du processus mĂŞme de nĂ©gociation collective. La Cour a par consĂ©quent conclu que l’interdiction de nĂ©gociation sur les questions connexes aux prestations de retraite entrave la libertĂ© d’association garantie aux membres du syndicat par la Charte canadienne des droits et libertĂ©s.

La Cour a ensuite effectuĂ© une analyse de l’article 1 de la Charte. Elle a conclu que l’argument du gouvernement selon lequel l’uniformitĂ© des rĂ©gimes de retraite des fonctionnaires relève de l’intĂ©rĂŞt national n’avait pas Ă©tĂ© prouvĂ© et que l’atteinte n’Ă©tait pas minimale. La rĂ©alitĂ© de l’uniformitĂ© des dispositions des rĂ©gimes de retraite se rĂ©duit comme une peau de chagrin au fil des ans et si des nĂ©gociations Ă©taient autorisĂ©es, leur portĂ©e ne serait toujours pas absolue.

La Cour a Ă©galement conclu que l’alinĂ©a b) de l’article 113 de la LRTPF va au-delĂ  de la stricte nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger les Ă©lĂ©ments dont le gouvernement estime qu’ils ne devraient pas ĂŞtre nĂ©gociables et que le gouvernement n’a pas Ă©tabli que l’interdiction est justifiĂ©e aux termes de l’article 1 de la Charte. La Cour a ordonnĂ© que la mise en Ĺ“uvre de la dĂ©cision soit suspendue pendant une pĂ©riode de 12 mois Ă  partir du 6 juin 2018.

Sonia Massicotte est juriste-conseil dans le cabinet PBI Actuarial Consultants Ltd.