L’exclusion du cannabis médicinal d’un régime de prestations est jugée contraire à la Loi sur les droits de la personne

  • 22 août 2017
  • Cynthia Lazar

Dans l’arrêt Skinner c. Board of Trustees of the Canadian Elevator Industry Welfare Trust Fund, 2017 CanLII 3240, la Commission d’enquête sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse (Nova Scotia Human Rights Board of Inquiry – la Commission d’enquête) devait décider si, en refusant d’accorder à M. Skinner la couverture pour du cannabis médicinal, le Conseil des fiduciaires du fonds de prévoyance pour les avantages sociaux des employés avait violé les droits de celui-ci en vertu de la Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse (LDPNE).

Gordon Skinner était un mécanicien d’ascenseur qui a été victime d’un accident automobile alors qu’il était au travail. À la suite de cet accident, M. Skinner a commencé à souffrir de douleurs chroniques ainsi que de troubles dépressifs et de troubles d’anxiété. Pendant presque deux ans, il a essayé de traiter ces douleurs et troubles avec des médicaments traditionnels, qui se sont avérés inefficaces. M. Skinner a ensuite obtenu une prescription et une licence pour du cannabis médicinal, qu’il a commencé à utiliser. Le cannabis lui a procuré un soulagement beaucoup plus important que les médicaments traditionnels.

Au départ, la marijuana médicinale de M. Skinner était couverte par l’assureur automobile de l’employeur. Toutefois, lorsque M. Skinner a atteint la limite maximale de la couverture, celle-ci a été supprimée. Alors que la demande de prestations qu’il avait présentée à la Commission des accidents du travail avait été refusée et était en appel, M. Skinner a cherché à obtenir une couverture en s’adressant au Conseil des fiduciaires qui administre le Régime d’avantages sociaux et de retraite de l’Industrie canadienne des constructeurs d’ascenseurs. Ce régime offre aux employés et anciens employés du secteur syndiqué de l’industrie canadienne des ascenseurs des prestations de soins de santé et d’autres avantages sociaux connexes.

Les fiduciaires ont rejeté la demande de M. Skinner à trois occasions, et pour les deux mêmes raisons :

  1. le cannabis médicinal n’avait pas été approuvé par Santé Canada, et un numéro d’identification de médicament (DIN) ne lui avait pas été attribué; il n’était donc pas un « médicament approuvé » selon les termes du régime; et
  2. comme les blessures subies par M. Skinner avaient été causées par un accident du travail, les frais médicaux connexes auraient dû être couverts par un régime d’assurance-maladie provincial. Ces frais étaient donc exclus de la couverture offerte par le régime.

M. Skinner a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, faisant valoir qu’il avait été victime de discrimination dans la prestation de services, et ce, en raison de ses incapacités physiques et mentales.

La Commission d’enquête a relevé que, selon la LDPNE, l’exemption pour d’authentiques régimes d’avantages sociaux ne s’applique qu’à des distinctions fondées sur l’âge, ce qui n’était pas pertinent en l’espèce. Afin de décider s’il s’agissait, de prime abord, d’un cas de discrimination, la Commission d’enquête a appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Battlefords and District Co-operative Ltd. c. GibbsNote de bas de page1, a) en établissant quel était l’objet visé par le régime et b) en dressant une comparaison avec les avantages sociaux accordés à d’autres employés pour le même objet.

La Commission d’enquête a conclu que l’objet visé par le régime était [traduction] « d’offrir des avantages sociaux aux bénéficiaires, mais de le faire de façon efficace, économique et viable à long terme ». Alors que l’objet ne consistait pas à [traduction] « tout couvrir », le régime devait cependant maximiser les prestations disponibles sans compromettre sa viabilité financière. La Commission d’enquête a relevé que le régime couvrait d’autres demandes particulières de médicaments médicalement nécessaires prescrits par des médecins à d’autres bénéficiaires. Les fiduciaires étaient habilités à accéder à la demande de M. Skinner, mais ne l’avaient pas fait. La Commission d’enquête a conclu que le refus des fiduciaires de faire droit à la demande de couverture de M. Skinner constituait, à première vue, un cas de discrimination, bien qu’indirecte et involontaire.

Il incombait dès lors aux fiduciaires de justifier leur décision, ce qu’ils n’avaient pas fait, selon la conclusion de la Commission d’enquête. La Commission a relevé :

  1. qu’il n’y avait pas de preuve que la couverture de cannabis médicinal aurait constitué une contrainte excessive pour le régime, qu’une hausse des cotisations aurait été nécessaire, ou que la viabilité financière du régime aurait été menacée si la couverture avait été approuvée;
  2. que la preuve a démontré que, dans le cas de M. Skinner, la marijuana était médicalement nécessaire et lui était bénéfique.

Pour ce qui est de la première raison invoquée par les fiduciaires afin de justifier leur rejet de la demande de M. Skinner, la Commission d’enquête s’est référée à l’arrêt Hamilton (City) c. Hamilton Professional Fire Fighters' Association (Robillard)Note de bas de page2. Dans cette affaire, l’Association des pompiers professionnels de la ville de Hamilton contestait un refus de couverture pour une prescription de marijuana médicinale. En l’espèce, la convention collective prévoyait expressément que, pour faire l’objet d’un remboursement, tout médicament devait être doté d’un DIN. Le droit à la couverture n’existait pas aux termes de la convention collective puisque la marijuana n’a pas de DIN. Dans l’affaire Skinner, cette exclusion explicite ne figurait pas dans le libellé du régime.

La Commission d’enquête a aussi examiné l’arrêt University of Western Ontario c. University of Western Ontario Faculty AssociationNote de bas de page3, qui portait sur une réclamation déposée lors du refus de la couverture d’un médicament (qui n’était pas de la marijuana) qui faisait l’objet d’une prescription mais n’était pas doté d’un DIN. L’arbitre a relevé que le régime d’avantages sociaux concerné couvrait autant les médicaments que les [traduction] « agents médicamenteux » et que, même si la substance en question ne pouvait être considérée comme étant un « médicament » en l’absence d’un DIN, elle était un « agent médicamenteux » et donc admissible au remboursement. Ce libellé était semblable à celui du régime dans l’affaire Skinner, qui couvrait des [traduction] « médicaments et agents médicamenteux médicalement nécessaires », que l’on ne peut se procurer qu’avec une prescription. La Commission d’enquête a conclu que le régime ne limitait pas la couverture à celle de médicaments « médicalement nécessaires ». Quoi qu’il en soit, la Commission d’enquête a jugé que le cannabis médicinal était médicalement nécessaire dans le cas de M. Skinner.

Quant à la deuxième raison invoquée par les fiduciaires afin de justifier leur rejet de la demande de M. Skinner, la Commission d’enquête a estimé que les fiduciaires ne pouvaient se fonder sur la possibilité de couverture par la voie d’un régime d’indemnisation des accidents du travail. Il n’y avait aucune preuve qu’une telle couverture serait fournie. Même si elle l’avait été, elle n’aurait fait que réduire le montant qui aurait dû être couvert par le régime et n’aurait pas modifié les obligations des fiduciaires en matière de non-discrimination.

La Commission d’enquête a ordonné aux fiduciaires de commencer à fournir à M. Skinner la couverture pour le cannabis médicinal jusqu’à concurrence du plein montant de sa prescription la plus récente. Elle a également ordonné que la couverture se poursuive jusqu’à ce que la question d’une réparation définitive soit décidée.

Conclusions

L’application, à un régime d’avantages sociaux, de lois en matière de droits de la personne, dépend des lois concernées ainsi que des stipulations du régime en question. L’arrêt Skinner laisse entendre que, lorsque l’interdiction de discrimination s’applique à un régime d’avantages sociaux :

  1. afin que la couverture de substances qui n’ont pas été approuvées par Santé Canada puisse être exclue, l’exclusion devrait être expressément énoncée dans le libellé du régime ainsi que dans toute convention collective pertinente (dans la mesure où des données se rapportant à la couverture sont comprises dans une telle convention);
  2. les motifs de refus de prestations devraient être justifiables et s’inscrire dans la suite logique de l’objet du régime en question, et il faudrait présenter une preuve convaincante des raisons financières et médicales du refus et des raisons de tout traitement différentiel réservé à la substance concernée en comparaison avec le traitement réservé à d’autres médicaments prescrits auxquels aucun DIN n’a été attribué.

Note – La décision de la Commission d’enquête a été portée en appel devant la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse.

Cynthia Lazar est avocate salariée chez Taylor McCaffrey LLP