Protection d’employés dénonciateurs à l’ère de la COVID-19

  • 25 mai 2021
  • Jennifer Del Riccio

Les employés qui prennent conscience d’actes illégaux ou abusifs de leur employeur peuvent choisir de signaler tout acte répréhensible à un tiers, ce qu’on appelle communément une « dénonciation ». Cependant, les employés qui lancent l’alerte s’exposent à de graves conséquences sur le plan professionnel, notamment à des représailles sous la forme de stigmatisation, de harcèlement, de mesures disciplinaires et de congédiement.

La dénonciation est au cœur de nombreuses discussions sur les milieux de travail pendant la pandémie de COVID-19, certains employés « déclenchant l’alerte » sur le non-respect de leur employeur de lois sur la santé et la sécurité au travail ainsi que des protocoles liés à la pandémie. Luis Gabriel Flores Flores, un travailleur agricole migrant d’une ferme du comté de Norfolk, en Ontario, a été congédié après avoir parlé aux médias des logements bondés et non sécuritaires de l’exploitation agricole où près de 200 travailleurs ont contracté la COVID-19, le virus ayant entraîné la mort de l’un d’eux. À quelles protections juridiques les employés dénonciateurs ont-ils recours? Quelle est l’efficacité de ces protections pour prévenir des représailles de l’employeur?

La protection du dénonciateur varie d’une province à l’autre et diffère en fonction de l’acte répréhensible dénoncé. Les travailleurs qui font part de leurs préoccupations en ce qui concerne la sécurité au travail, comme M. Flores, sont généralement protégés contre les représailles par les lois de santé et sécurité ou, de façon plus globale, par le droit du travail et de l’emploi du territoire de compétence où ils se trouvent. Toutefois, lorsque l’acte à la source de la préoccupation ne se rapporte pas à la santé et la sécurité au travail, une mosaïque de lois fédérales et provinciales offre une protection contre les représailles aux employés dénonciateurs.

Les employés lanceurs d’alerte du secteur public fédéral sont protégés contre les représailles par la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (LPFDAR). La loi définit les représailles comme suit :

« L’une ou l’autre des mesures ci-après prises à l’encontre d’un fonctionnaire pour le motif qu’il a fait une divulgation protégée ou pour le motif qu’il a collaboré de bonne foi à une enquête menée sur une divulgation ou commencée au titre de l’article 33 :

  1. toute sanction disciplinaire;
  2. la rétrogradation du fonctionnaire;
  3. son licenciement et, s’agissant d’un membre de la Gendarmerie royale du Canada, son renvoi ou congédiement;
  4. toute mesure portant atteinte à son emploi ou à ses conditions de travail;
  5. toute menace à cet égard. »

Deux des principales dispositions de la LPFDAR offrent des protections aux lanceurs d’alerte. L’article 19 mentionne simplement : « Il est interdit d’exercer des représailles contre un fonctionnaire, ou d’en ordonner l’exercice ». L’article 42.1(1) prévoit aussi une protection contre les représailles ciblant les employés qui divulguent des actes répréhensibles commis dans le secteur public, mais qui ne sont pas eux-mêmes des fonctionnaires.

En vertu de l’article 21.7(1) de la LPFDAR, les recours des employés dénonciateurs qui ont subi des représailles incluent la réintégration, le salaire rétroactif, l’annulation de toute sanction disciplinaire prise à leur endroit, le remboursement des dépenses et des pertes financières qui découlent directement des représailles, et une indemnisation jusqu’à concurrence de 10 000 dollars « pour les souffrances et douleurs découlant des représailles dont il a été victime ».

Les représailles contre les travailleurs du secteur public provincial sont interdites par une loi semblable à la LPFDAR dans chaque province et territoire, à l’exception des Territoires du Nord-Ouest (la loi de l’Île-du-Prince-Édouard a été adoptée en 2017, mais n’est pas encore entrée en vigueur), et le contenu de ces lois reflète généralement celui de la loi fédérale. Une différence essentielle est que, contrairement à la LPFDAR, les lois provinciales sur la protection des dénonciateurs n’offrent généralement pas de protection aux personnes divulguant un acte répréhensible d’un employeur du secteur public qui ne travaille pas dans ce secteur.

Divers bureaux et tribunaux sont chargés d’enquêter et d’entendre les plaintes sur les représailles à l’endroit d’employés dénonciateurs du secteur public. A fédéral, le commissaire à l’intégrité du secteur public fait enquête sur les plaintes de représailles de dénonciateurs. S’il a des raisons de croire que des représailles peuvent avoir eu lieu, il transmet la plainte au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles pour une audience et une décision. Néanmoins, l’issue la plus courante des enquêtes du commissaire est la conciliation. En effet, depuis 2011, seuls huit cas se sont rendus devant le tribunal.

Une autre loi qui offre une protection à tous les employés canadiens contre les représailles est l’article 425.1 du Code criminel, qui stipule ce qui suit :

  1. « Commet une infraction quiconque, étant l’employeur ou une personne agissant au nom de l’employeur, ou une personne en situation d’autorité à l’égard d’un employé, prend des sanctions disciplinaires, rétrograde ou congédie un employé ou prend d’autres mesures portant atteinte à son emploi – ou menace de le faire :
    1. soit avec l’intention de forcer l’employé à s’abstenir de fournir, à une personne dont les attributions comportent le contrôle d’application d’une loi fédérale ou provinciale, des renseignements portant sur une infraction à la présente loi, à toute autre loi fédérale ou à une loi provinciale – ou à leurs règlements – qu’il croit avoir été ou être en train d’être commise par l’employeur ou l’un de ses dirigeants ou employés ou, dans le cas d’une personne morale, l’un de ses administrateurs;
    2. soit à titre de représailles parce que l’employé a fourni de tels renseignements à une telle personne. »

L’article 425.1 est une infraction hybride, et toute personne reconnue coupable d’avoir contrevenu à l’article est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. L’article a été invoqué très rarement dans la jurisprudence et, à ce jour, aucune partie n’a été reconnue coupable d’une infraction aux termes de l’article 425.1.

Il existe aussi des dispositions de protection des dénonciateurs dans la législation du secteur financier, à savoir la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) et des lois semblables dans d’autres provinces. En vertu de la loi de l’Ontario, l’article 121.5(1) interdit toutes représailles contre un employé qui fournit des renseignements à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario ou qui participe à une enquête de la Commission sur un acte de l’employeur si l’employé « a des motifs raisonnables de croire que cet acte est contraire au droit ontarien des valeurs mobilières ou à un règlement administratif ou autre instrument réglementaire d’un organisme d’autoréglementation reconnu ».

De toute évidence, il y a des lacunes dans la loi canadienne de protection des dénonciateurs, tout comme dans son efficacité. La pandémie de COVID-19 a mis en relief l’importance d’offrir une solide protection juridique aux lanceurs d’alerte qui signalent des actes répréhensibles de leur employeur, ce qui peut encourager les acteurs du droit et des politiques publiques à préconiser des réformes de la législation existante.


Jennifer Del Riccio est une étudiante de troisième année au baccalauréat en droit (Juris Doctor) de la Faculté de droit Osgoode Hall et elle est la représentante étudiante de la Section du droit du travail et de l’emploi de l’ABC.