En arbitrage de grief, qui est donc le client de l’avocat ?

  • 08 juin 2017
  • Stéphane Lacoste

Si la rĂ©ponse Ă  cette question peut dĂ©pendre de la juridiction dans laquelle exerce l’avocat, le droit au QuĂ©bec est maintenant clair.

Le Tribunal administratif du travail siĂ©geant en rĂ©vision vient de rĂ©pondre clairement Ă  cette question dans Syndicat professionnel des ingĂ©nieurs d’Hydro-QuĂ©bec inc. et Paquette, 2017 QCTAT 855.

Dans cette affaire, un travailleur insatisfait d’avoir vu son grief rejetĂ© par un arbitre a dĂ©posĂ© une plainte contre son syndicat pour violation du devoir de juste reprĂ©sentation.  C’est le mĂŞme cabinet d’avocats qui avait plaidĂ© le grief (mais pas le mĂŞme avocat) qui a comparu en dĂ©fense pour dĂ©fendre le syndicat.  Le travailleur a demandĂ© que le Tribunal exclu ce cabinet du dossier.

La première juge administratif saisie de la requĂŞte y a fait droit.  Pour la juge, se basant sur sa lecture du nouveau Code de dĂ©ontologie des avocats, le travailleur qui dĂ©pose un grief est un « client » de l’avocat chargĂ©, par le syndicat, de plaider le grief.  La juge Ă©crit que l’avocat a un « client bi-cĂ©phale ».  Elle conclut en consĂ©quence que le cabinet de cet avocat est en conflit d’intĂ©rĂŞts et de peut reprĂ©senter le syndicat en dĂ©fense Ă  la plainte du travailleur.

Cette conclusion avait des consĂ©quences graves.  Si le travailleur est le client de l’avocat, il peut donc lui donner des instructions et le congĂ©dier.  De mĂŞme, l’avocat doit lui communiquer toute information apprise dans le cadre du dossier et lui communiquer toute offre de règlement prĂ©sentĂ©e par l’employeur.  L’avocat aurait aussi le devoir de protĂ©ger le secret professionnel des confidences que lui aurait fait le travailleur. On comprend que l’avocat se retrouverait souvent en conflit d’intĂ©rĂŞts pris entre un travailleur et un syndicat.  Il y aurait des situations oĂą la partie patronale ne pourrait plus nĂ©gocier le règlement d’un grief avec le syndicat sans l’accord du travailleur  puisque l’avocat du syndicat aurait des devoirs envers le travailleur.

Le syndicat a porté en révision la décision de la juge.

Le juge administratif Turcotte a renversĂ© la première dĂ©cision.  Il s’appui sur la jurisprudence antĂ©rieure de la Cour supĂ©rieure, la Commission d’accès Ă  l’information et le Conseil de discipline du Barreau et sur le rĂ©gime particulier de relations du travail.  Dans notre rĂ©gime, le syndicat dĂ©tient le monopole de reprĂ©sentation et est libre de choisir d’assigner ou non un avocat, et de le choisir. L’avocat n’a qu’un seul client : le syndicat.  Seul le syndicat peut lui donner des instructions et l’avocat n’a d’obligations qu’envers le syndicat. Les confidences que le plaignant fait Ă  l’avocat peuvent ĂŞtre partagĂ©s avec le syndicat puisqu’il est le client de l’avocat.  Le juge Ă©crit : « Il ne peut y voir de conflit d’intĂ©rĂŞts, car le plaignant n’est pas leur client.  En l’occurrence, leurs obligations professionnelles ne sont dues qu’au [syndicat].  Ces derniers doivent en effet analyser le dossier dans l’intĂ©rĂŞt de leur client ».

Il pourrait bien sĂ»r se prĂ©senter des cas oĂą un salariĂ© pourrait choisir son propre avocat mais cela ne se produirait que lorsque le salariĂ© et le syndicat auraient des intĂ©rĂŞts opposĂ©s et distincts ; la simple divergence de vue au plan stratĂ©gique de dĂ©fense ne suffit pas.

Stéphane Lacoste est avocat général avec Teamsters Canada