Le droit en matière de citoyenneté est trop rigide pour les personnes à l’étranger ayant des liens familiaux au Canada

  • 09 mars 2020
  • Amandeep S. Hayer

Presque tous les Ă©tats appliquent le principe du jus sanguinis en matière de droit de la citoyennetĂ©, et le Canada ne fait pas exception. Toutefois, contrairement Ă  l’Europe, le Canada a imposĂ© des limites arbitraires aux demandes de citoyennetĂ© dĂ©coulant du principe du jus sanguinis.

Selon le droit canadien de la citoyennetĂ©, les demandes fondĂ©es sur le principe du jus sanguinis se limitent Ă  la première gĂ©nĂ©ration nĂ©e Ă  l’Ă©tranger (la limite de transmission de la citoyennetĂ© Ă  la première gĂ©nĂ©ration) et excluent les gĂ©nĂ©rations suivantes nĂ©es Ă  l’extĂ©rieur du Canada. On pourrait soutenir que la limite de transmission de la citoyennetĂ© Ă  la première gĂ©nĂ©ration est fondĂ©e. Cependant, telle qu’elle a Ă©tĂ© adoptĂ©e, elle n’offre aucune souplesse. La Bibliothèque du Parlement a formulĂ© les reproches suivants Ă  l’Ă©gard de la limite de transmission de la citoyennetĂ© Ă  la première gĂ©nĂ©ration : « [l]e principal problème que [cette approche] pose est que les personnes risquent de ne pas ĂŞtre considĂ©rĂ©es comme Canadiens de naissance mĂŞme si elles et leurs parents ont des liens manifestes avec le Canada [1] ».

Les restrictions prĂ©vues par la loi devraient offrir une certaine souplesse, surtout en cette Ă©poque de mondialisation oĂą les Canadiens et les Canadiennes voyagent et interagissent de plus en plus avec le reste du monde. Ă€ l’heure actuelle, la limite de transmission de la citoyennetĂ© Ă  la première gĂ©nĂ©ration a eu incontestablement une incidence sur plusieurs Canadiens et Canadiennes, y compris ceux et celles qui ont eu un enfant :

  1. avec un ressortissant Ă©tranger pendant un sĂ©jour temporaire Ă  l’extĂ©rieur du Canada; ou
  2. lorsqu’ils rĂ©sidaient dans une collectivitĂ© frontalière oĂą l’hĂ´pital le plus proche se trouve aux États-Unis; ces enfants Ă©tant appelĂ©s « bĂ©bĂ©s de la frontière ».

Au cours d’un dĂ©bat Ă©lectoral en 2015, le premier ministre Justin Trudeau s’est exprimĂ© ainsi : « un Canadien est un Canadien. Vous dĂ©valorisez la citoyennetĂ© de chaque Canadien dans cet endroit, dans ce pays, lorsque vous la divisez et y imposez des conditions ». La limite de transmission de la citoyennetĂ© Ă  la première gĂ©nĂ©ration ternit pourtant le droit canadien de la citoyennetĂ© et a pour effet d’empĂŞcher que de nombreux candidats Ă  la citoyennetĂ© obtiennent leur citoyennetĂ© canadienne.

Cela soulève donc la question suivante : est-il possible d’Ă©largir la portĂ©e du principe du jus sanguinis au-delĂ  de la première gĂ©nĂ©ration, sans ouvrir la citoyennetĂ© aux personnes nĂ©es de parents qui ont quittĂ© le Canada et ont rompu leurs liens?

Retour Ă  l’ancien modèle canadien

Entre 1977 et 2009, comme aujourd’hui, une personne de la première gĂ©nĂ©ration nĂ©e Ă  l’Ă©tranger avait un droit absolu Ă  la citoyennetĂ© canadienne. Cependant, les personnes des gĂ©nĂ©rations suivantes nĂ©es Ă  l’Ă©tranger perdaient automatiquement leur citoyennetĂ© canadienne lorsqu’elles atteignaient 28 ans, sauf si, avant leur 28e anniversaire, elles avaient entrepris les dĂ©marches nĂ©cessaires pour conserver leur citoyennetĂ©. Dans la mesure oĂą chaque gĂ©nĂ©ration suivante suivait les mĂŞmes Ă©tapes, elle pouvait conserver sa citoyennetĂ© canadienne.

Bien qu’Ă  première vue, cette solution puisse sembler originale, elle pose, elle aussi, beaucoup de problèmes. L’imposition d’une exigence visant Ă  conserver la citoyennetĂ© crĂ©e une situation oĂą des personnes perdent leur citoyennetĂ© canadienne arbitrairement et sans le savoir. Lorsque cet ancien modèle Ă©tait en place, un grand nombre de personnes tenaient pour acquis que leur statut de citoyen canadien Ă©tait permanent, et ne se renseignaient pas pour savoir si des conditions y Ă©taient rattachĂ©es.

La troisième voie

Le Canada est loin d’ĂŞtre le seul pays ayant tentĂ© d’imposer des limites au principe du jus sanguinis. La plupart des pays d’AmĂ©rique ont optĂ© pour un droit du sol quasi universel (jus soli), mais pour une interprĂ©tation plus restreinte du principe du jus sanguinis.

Tout comme le Canada, les États-Unis imposent des limites aux demandes fondĂ©es sur le principe du jus sanguinis, mais Ă  la diffĂ©rence du Canada, la restriction prĂ©vue sous le rĂ©gime du droit amĂ©ricain tient compte des liens des parents avec les États-Unis. Selon la lĂ©gislation amĂ©ricaine actuelle en matière de citoyennetĂ©, un enfant nĂ© Ă  l’extĂ©rieur des États-Unis sera citoyen amĂ©ricain si l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie [2] :

  1. ses deux parents étaient citoyens américains au moment de sa naissance;
  2. un de ses parents Ă©tait citoyen amĂ©ricain, et l’autre un Ă©tranger, pourvu que le parent citoyen amĂ©ricain ait rĂ©sidĂ© aux États-Unis depuis au moins cinq ans, dont au moins deux ans après son 14e anniversaire.

Cette option offre la souplesse nécessaire tout en limitant le droit à la citoyenneté aux personnes qui ont des liens importants avec le pays :

  1. elle Ă©tablit le jus sanguinis en tant que principe et non selon un critère arbitraire, mais tient plutĂ´t compte de facteurs personnels aux fins d’Ă©tablissement de la citoyennetĂ©;
  2. elle crĂ©e un climat de certitude plutĂ´t que d’imposer des exigences relatives Ă  la conservation de la citoyennetĂ©, de façon Ă  ce que le citoyen conserve sa citoyennetĂ©, une fois confĂ©rĂ©e.

La loi amĂ©ricaine repose sur une approche Ă©quilibrĂ©e, puisqu’elle impose des limites suffisantes au principe du jus sanguinis tout en offrant la souplesse nĂ©cessaire dans les situations particulières oĂą le principe du jus sanguinis devrait s’appliquer.

Or, la lĂ©gislation amĂ©ricaine en matière de citoyennetĂ© n’est pas sans poser problème. L’obligation d’Ă©tablir que les parents vivaient aux États-Unis pendant la pĂ©riode requise de cinq ans – dont au moins deux ans après leur 14e anniversaire – peut s’avĂ©rer difficile Ă  Ă©tablir pour certaines personnes, surtout pour celles qui sont sĂ©parĂ©es de leurs parents.

Si le Canada devait adopter une interprĂ©tation semblable, il pourrait vouloir privilĂ©gier la certitude pour la première gĂ©nĂ©ration et ne pas modifier la loi. ll ne devrait appliquer le modèle amĂ©ricain qu’aux gĂ©nĂ©rations nĂ©es après la première, afin d’apporter Ă  ces personnes un soutien grandement nĂ©cessaire.  

Conclusion

L’analyse de la limite actuelle de transmission de la citoyennetĂ© Ă  la première gĂ©nĂ©ration au Canada rĂ©vèle que cette limite est trop flexible et pĂ©nalise les candidats Ă  la citoyennetĂ© canadienne. Il peut ĂŞtre dans l’intĂ©rĂŞt du Canada d’adopter une formule semblable Ă  celle des États-Unis, oĂą les candidats Ă  la citoyennetĂ© canadienne qui ont des liens importants avec le Canada sont en mesure de transmettre leur citoyennetĂ©, mĂŞme s’ils sont nĂ©s ailleurs.

Amandeep S. Hayers est avocat au sein du cabinet Sedai

[1] Becklumb, Penny, Projet de loi C-37 : Loi modifiant la Loi sur la citoyennetĂ©, Bibliothèque du Parlement : publication no 39-2-LS-591-E

[2] Immigration and Nationality Act, 8 USC, 1433