Discrimination linguistique à l’encontre des personnes âgées

  • 01 juillet 2015
  • Selynne Guo

Remarque : Il s’agit d’un rĂ©sumĂ© d’un article, publiĂ© dans National Geriatrics Interest Group (Vol. 3, numĂ©ro 1, 2015), disponible en uniquement en anglais au lien susmentionnĂ©.

« Personne monopolisant un lit » et « tsunami gris » sont devenus des expressions communes pour dĂ©crire les personnes âgĂ©es. L’expression « personne monopolisant un lit » (bed-blocker)Note de bas de page 1 a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e par les professionnels des soins de santĂ© pour dĂ©crire les personnes âgĂ©es dont la santĂ© justifie une sortie de l’hĂ´pital, mais qui y demeurent pour d’autres raisons. « Tsunami gris » (silver tsunami) fait rĂ©fĂ©rence aux impacts nĂ©gatifs d’un effectif vieillissantNote de bas de page 2.

Les expressions rĂ©vèlent une perception des personnes âgĂ©es comme des fardeaux, qui constitue l’une des deux formes d’âgisme relevĂ©es par la Commission des droits de la personne de l’Ontario (CDPO )lors de sa consultation sur ce sujetNote de bas de page 3. L’autre forme est le fait de structurer les services et les systèmes de façon Ă  ce qu’il ne soit pas satisfait aux besoins des personnes âgĂ©es.

Ce langage discriminatoire est paralysant et blessant. La CDPO donne l’exemple d’un professeur de droit disant Ă  ses Ă©tudiants que [traduction] « ceux qui parlent l’anglais avec “un accent Ă©tranger” ne seront pas de “bons avocats” »Note de bas de page 3. Selon la Commission, cette dĂ©claration discriminatoire peut suffire Ă  crĂ©er un « environnement empoisonnĂ© » pour les Ă©tudiants de cette classe qui parlent l’anglais avec un accentNote de bas de page 3. De mĂŞme, les expressions telles que « personne monopolisant un lit », « tsunami gris » et « vieillissement rĂ©ussi » (successful aging) peuvent crĂ©er un environnement empoisonnĂ© pour les aĂ®nĂ©s.

Le fait d’appeler des patients âgĂ©s qui demeurent Ă  l’hĂ´pital pour des raisons mĂ©dicales non urgentes des « personnes monopolisant un lit » alors qu’elles peuvent encore avoir besoin de soins et d’attentionNote de bas de page 4 suggère que les patients gravement malades mĂ©ritent plus d’attention et de financement que ceux nĂ©cessitant des soins Ă  long terme. Cela place sur les patients eux-mĂŞmes le blâme de ne pas sortir de l’hĂ´pital.

L’expression « tsunami gris » compare l’impact de cette population vieillissante Ă  une catastrophe naturelle qui frappe sans prĂ©avisNote de bas de page 5. Et pourtant, les rĂ©percussions du vieillissement de la gĂ©nĂ©ration des enfants de l'après-guerre ont Ă©tĂ© prĂ©dites et bien documentĂ©esNote de bas de page 5. Qui plus est, des recherches indiquent que l’augmentation des coĂ»ts de l’inflation et de la technologie vont alourdir le fardeau pour le système Ă©conomique davantage que les travailleurs vieillissantsNote de bas de page 6. MalgrĂ© cela, les personnes âgĂ©es ont un droit, tel qu’il est reconnu dans les Principes des Nations unies pour les personnes âgĂ©es: mieux vivre les annĂ©es gagnĂ©es, de bĂ©nĂ©ficier des mĂŞmes soins de haute qualitĂ© que les patients plus jeunes et d’un mĂŞme respect de leur dignitĂ© Note de bas de page 7. Il est par consĂ©quent contraire Ă  l’Ă©thique de faire quoi que ce soit, y compris utiliser un langage discriminatoire, qui porterait atteinte Ă  leur dignitĂ©.

MĂŞme le concept plus bĂ©nin de « vieillissement rĂ©ussi » comporte un jugement de valeur. L’idĂ©e d’un vieillissement rĂ©ussi dĂ©crit un bien-ĂŞtre physique et psychologique dans la vieillesseNote de bas de page 8, mais l’expression implique qu’il existe un contraireNote de bas de page 8. L’expression implique en outre que le succès est le produit d’un choix et d’efforts individuels, ce qui conduit Ă  des jugements nĂ©gatifs portĂ©s sur les personnes âgĂ©es qui n’atteignent pas ce succès.

Les reportages dans les mĂ©dias prĂ©sentent frĂ©quemment une [traduction] « vision apocalyptique des tendances dĂ©mographiques et assument des conflits intergĂ©nĂ©rationnels face Ă  des ressources rarĂ©fiĂ©es »Note de bas de page 9, alimentant les craintes et le ressentiment face aux personnes âgĂ©es qui gĂ©nèrent des augmentations non durables des coĂ»ts des soins de santĂ© et des retraitesNote de bas de page 9. Le rapport de l’Organisation mondiale de la santĂ©, intitulĂ© Missing Voices rĂ©vèle que l’âgisme et le manque de respect sont des formes majeures de maltraitance des aĂ®nĂ©s prĂ©sentes dans toutes les rĂ©gions du mondeNote de bas de page 10. Les participants Ă  cette Ă©tude Ă©taient d’avis qu’alors que le manque de respect est liĂ© Ă  la maltraitance verbale et Ă©motionnelle, il est plus insidieux en tant que piètre attitude socialeNote de bas de page 10.

Qui plus est, les deux formes d’âgisme dĂ©celĂ©es par la CDPO sont liĂ©es. En 2010-2011, l’Ontario a dĂ©pensĂ© 34,7 p. 100 de son budget de soins de santĂ© au poste du fonctionnement des hĂ´pitaux par rapport Ă  13,7 p. 100 au titre des soins communautaires et des Ă©tablissements de soins de longue durĂ©e combinĂ©sNote de bas de page 11. Un manque d’Ă©tablissements de soins Ă  long terme accessibles et appropriĂ©s peut se traduire par des sĂ©jours prolongĂ©s des personnes âgĂ©es dans des lits rĂ©servĂ©s aux soins  de courte durĂ©e.

De nombreuses cultures ont un profond respect pour leurs aĂ®nĂ©s en raison de leur expĂ©rience, de leurs apports et de leur sagesse. Cependant, nous avons tendance Ă  assimiler jeunesse, technologie, innovation et avenir alors que nous pensons que la vieillesse apporte handicap, vulnĂ©rabilitĂ© et dĂ©clinNote de bas de page 9. La CDPO suggère plusieurs mĂ©thodes pour combattre l’âgisme.

  1. On pourrait reconnaĂ®tre les contributions des personnes âgĂ©es en tant que participants actifs Ă  la vie de la sociĂ©tĂ© Ă  titre d’employĂ©s et d’employeurs, de bĂ©nĂ©voles, de consommateurs, de citoyens et de personnes riches d’une grande expĂ©rience de vie.
  2. Il faudrait Ă©laborer des campagnes de sensibilisation du public reposant sur des messages Ă©crits et audiovisuels destinĂ©s Ă  lutter contre les stĂ©rĂ©otypes et attitudes nĂ©gatives Ă  l’Ă©gard des personnes âgĂ©es. Ces campagnes peuvent Ă©galement servir Ă  atteindre les personnes victimes de l’âgisme et Ă  leur donner les outils nĂ©cessaires pour y faire face.
  3. Le système d’enseignement pourrait mettre sur pied des initiatives visant Ă  favoriser les interactions entre les gĂ©nĂ©rations afin d’Ă©liminer les obstacles qui les sĂ©parent et lutter contre l’âgisme dès un âge prĂ©coce, avant l’acquisition d’attitudes nĂ©gativesNote de bas de page 3.

« Personne monopolisant un lit », « tsunami gris » et « vieillissement rĂ©ussi » sont des expressions discriminatoires utilisĂ©es par le public et les mĂ©dias qui reflètent la prĂ©sence de l’âgisme au sein de notre sociĂ©tĂ© obnubilĂ©e par la jeunesse.  Ces attitudes dĂ©coulent du fait que notre sociĂ©tĂ© considère la jeunesse comme prĂ©cieuse et la vieillesse comme manquant de valeur. Cette croyance fondamentale a causĂ© une structuration de nos systèmes et services qui, en favorisant les jeunes, est fondamentalement discriminatoire face aux aĂ®nĂ©sNote de bas de page 3.

Ă€ propos de l'auteur

Selynne Guo est doctorante en mĂ©decine en deuxième annĂ©e Ă  l’universitĂ© de Toronto.

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