Ă€ qui convient la taille unique?

  • 19 avril 2022
  • Jody Berkes

J’Ă©tais un enfant costaud qui est devenu un adulte costaud. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, « costaud » est une façon polie de dire « gros ». Le plus grand mensonge fait aux enfants costauds est celui des vĂŞtements portant l’Ă©tiquette « One size fits all » ou « Taille unique », qui laisse croire que le vĂŞtement peut faire Ă  tout le monde. Au mieux, le vĂŞtement est Ă©norme, bouffant, informe, ajustĂ© Ă  peu près comme une tente familiale. Au pire, vous restez coincĂ© après avoir essayĂ© d’Ă©tirer le vĂŞtement pour l’adapter Ă  votre forte constitution. Le rĂ©sultat, comme en tĂ©moignent certaines photos de moi au secondaire, est parfois vraiment horrible. En d’autres termes, il est totalement faux de prĂ©tendre qu’une taille unique peut convenir Ă  tous.

L’Ă©quivalent juridique de la taille unique est la peine minimale obligatoire. Au mieux, la peine minimale obligatoire rĂ©pond Ă  peu près aux objectifs gĂ©nĂ©raux de dĂ©nonciation et de dissuasion. Je dis « `Ă  peu près » parce qu’un nombre alĂ©atoire de mois ou d’annĂ©es ne rĂ©pond jamais vraiment aux caractĂ©ristiques aggravantes spĂ©cifiques d’une peine. Au pire, la peine minimale obligatoire est excessive : les mois ou les annĂ©es imposĂ©s ignorent toute circonstance attĂ©nuante et ne sont pas proportionnels aux facteurs aggravants.

Le projet de loi C-5 est un premier pas dans la bonne direction pour corriger cette approche rigide en matière de peine. Il accorde aux juges le pouvoir d’individualiser la peine pour y englober la dĂ©nonciation, la dissuasion, le sens des responsabilitĂ©s, la rĂ©habilitation et la justice rĂ©paratrice. Pour reprendre les mots d’un dĂ©putĂ© : « Tout acte de gentillesse envers les gens, quelle que soit leur situation sociale, affirme la dignitĂ© humaine qui est inhĂ©rente Ă  chacun d’entre nous1. » Soulignons que l’Ă©limination d’une peine minimale obligatoire ne signifie pas que les personnes commettant des infractions exigeant qu’une peine soit purgĂ©e dans un Ă©tablissement de dĂ©tention provincial ou dans un pĂ©nitencier fĂ©dĂ©ral2 ne l’obtiendront pas. Cela signifie simplement que lorsque l’infraction n’exige pas une peine d’emprisonnement, la loi ne l’exigera pas non plus.

Ironiquement, le mĂŞme dĂ©putĂ© qui prĂ©conisait la gentillesse envers les autres laisse entendre aujourd’hui que le projet de loi C-5 fait preuve d’une trop grande tolĂ©rance Ă  l’Ă©gard de la criminalitĂ© et qu’il « ne ferait qu’attĂ©nuer les punitions et diminuer la responsabilitĂ© imputĂ©e aux contrevenants qui commettent des crimes violents avec une arme Ă  feu et [aux] trafiquants de drogue3 ». Au mieux, il s’agit d’une rhĂ©torique cynique et incendiaire visant Ă  faire croire aux gens que le fait de donner un pouvoir discrĂ©tionnaire aux juges libĂ©rera une horde de maraudeurs frĂ©nĂ©tiques errant dans nos rues et pillant Ă  volontĂ©. Au pire, il s’agit de l’opinion d’une personne qui ignore complètement comment les peines sont dĂ©terminĂ©es dans les tribunaux de ce pays.

La vĂ©ritĂ© est que le projet de loi C-5 ne fera RIEN pour rĂ©duire la responsabilitĂ© des auteurs de crimes violents commis avec des armes Ă  feu et des trafiquants de drogue. Ces personnes vont dĂ©jĂ  en prison, et gĂ©nĂ©ralement pour plus longtemps que ne le prĂ©voient les peines minimales obligatoires. Après l’adoption du projet de loi, elles continueront d’aller en prison, et pour la mĂŞme durĂ©e qu’avant l’adoption du projet de loi. Ce que le projet de loi C-5 fera, en revanche, c’est permettre l’imposition de peines appropriĂ©es lorsque la situation exige de faire preuve de clĂ©mence envers les gens, quelle que soit leur situation sociale, affirmant la dignitĂ© humaine inhĂ©rente Ă  chacun d’entre nous. Je vous en prie, faites cesser cette rhĂ©torique et faites avancer le projet de loi C-5.


Jody Berkes est un criminaliste qui aime les vĂŞtements dĂ©contractĂ©s. Ses opinions n’appartiennent qu’Ă  lui, bien qu’il considère que les autres devraient les adopter aussi.

Notes de fin

2 Les peines d’emprisonnement infĂ©rieures Ă  deux ans sont purgĂ©es dans un Ă©tablissement de dĂ©tention provincial; les peines supĂ©rieures Ă  deux ans, dans un pĂ©nitencier fĂ©dĂ©ral.