On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre

  • 17 mars 2022
  • Denny Chung et Buck Hughes

C’est trop souvent pendant l’exĂ©cution d’un projet de construction que surviennent des problèmes concernant les dĂ©lais ou les supplĂ©ments. La dĂ©cision Conwest Contracting Ltd. v. Crown and Mountain Creations Ltd. 2021 BCSC 2116 (« Conwest ») confirme l’importance pour les promoteurs et les entrepreneurs de suivre leur contrat Ă  la lettre dans ce genre de situation. En effet, si un litige survient dans un cas oĂą le contrat n’a pas Ă©tĂ© rigoureusement respectĂ©, le tribunal peut se baser sur la conduite des parties pour interprĂ©ter celui-ci. Y compris des comportements qui se sont dĂ©roulĂ©s avant la signature sans que la partie en question n’en soupçonne les consĂ©quences.

Les faits

Dans l’affaire Conwest, un entrepreneur (l’« entrepreneur ») rĂ©clamait des supplĂ©ments et des acomptes dans le cadre d’un CCDC 2 (le « contrat ») d’excavation et de chevalement (les « travaux ») s’inscrivant dans un projet de construction rĂ©sidentielle menĂ© par Crown and Mountain Creations Ltd. (le « propriĂ©taire »). Le propriĂ©taire, pour sa part, prĂ©sentait une demande reconventionnelle faisant valoir le retard des travaux et les frais engagĂ©s pour les faire faire par un autre entrepreneur. Quant au sous-traitant chargĂ© du chevalement, il poursuivait l’entrepreneur pour non-paiement de factures.

Pendant les travaux, l’entrepreneur et le sous-traitant ont Ă©tĂ© retardĂ©s et ont dĂ» assumer des frais supplĂ©mentaires (les « supplĂ©ments ») en raison des conditions imprĂ©vues du terrain et d’une mĂ©tĂ©o hivernale dĂ©favorable. L’entrepreneur a soumis des bons de travail aux propriĂ©taires pour les supplĂ©ments en invoquant des « conditions imprĂ©vues », mais n’a pas envoyĂ© d’avis officiel concernant lesdites « conditions imprĂ©vues » comme le prĂ©voyait le contrat. Le propriĂ©taire a consenti Ă  l’exĂ©cution du travail supplĂ©mentaire, sans toutefois accepter les bons de travail pour les supplĂ©ments.

L’entrepreneur a interrompu les travaux après en avoir rĂ©alisĂ© environ 80 %, parce que le propriĂ©taire avait sautĂ© deux acomptes et refusait d’approuver de nouveaux bons de travail pour des supplĂ©ments.

Le propriĂ©taire a alors envoyĂ© un avis de dĂ©faut d’exĂ©cution Ă  l’entrepreneur. Ce dernier a refusĂ© de reprendre le travail sans recevoir ses paiements. Le propriĂ©taire a alors dĂ©cidĂ© de rĂ©silier le contrat et a trouvĂ© un nouvel entrepreneur pour achever les travaux. Le propriĂ©taire a ensuite rĂ©clamĂ© le coĂ»t des travaux d’achèvement Ă  l’entrepreneur et rejetĂ© les demandes de supplĂ©ments, affirmant que les travaux visĂ©s par celles-ci faisaient partie du prix de base du contrat et que l’entrepreneur avait tout simplement prĂ©sentĂ© une soumission trop basse et mal gĂ©rĂ© les travaux.

DĂ©cision

Dans sa dĂ©cision, la Cour commence par faire remarquer qu’aucune des deux parties n’a parfaitement ni mĂŞme rĂ©ellement respectĂ© les termes du contrat, mais que chacune a plutĂ´t cherchĂ© Ă  se rabattre sur telle ou telle clause pour en tirer profit. Le litige n’en Ă©tait que plus complexe Ă  trancher et, surtout, ce comportement a obligĂ© la Cour Ă  s’en remettre davantage Ă  la conduite des parties pour Ă©tablir leurs intentions, au-delĂ  du libellĂ© du contrat.

La Cour a accueilli la requĂŞte de l’entrepreneur eu Ă©gard au contrat et au principe du quantum meruit. Elle Ă©tait d’avis que le contrat prĂ©voyait la possibilitĂ© que des travaux supplĂ©mentaires puissent lĂ©gitimement ĂŞtre exĂ©cutĂ©s et payĂ©s sans qu’on doive en conclure qu’il s’agissait d’un contrat Ă  prix coĂ»tant majorĂ©, contrairement aux prĂ©tentions du propriĂ©taire. Les supplĂ©ments se justifiaient puisque l’Ă©tat du sol constituait une « condition imprĂ©vue ». Par ailleurs, le tribunal a reconnu que mĂŞme s’il n’a pas donnĂ© avis du retard comme il devait le faire, l’entrepreneur avait justifiĂ© par Ă©crit les frais supplĂ©mentaires Ă  la demande du propriĂ©taire, lequel avait approuvĂ© le travail supplĂ©mentaire.

Dans sa dĂ©cision, la Cour s’est basĂ©e entre autres sur la conduite des parties avant et pendant l’exĂ©cution du projet, constatant notamment que le propriĂ©taire avait signĂ© une proposition qui excluait expressĂ©ment les travaux ayant donnĂ© lieu aux supplĂ©ments. Elle a Ă©galement conclu que l’entrepreneur n’Ă©tait pas responsable du retard, lequel avait Ă©tĂ© causĂ© par des conditions imprĂ©vues et aussi, en partie, par les mesures prises par le propriĂ©taire pour tenter de s’adapter Ă  celles-ci.

Toutefois, la Cour a aussi donnĂ© droit Ă  la demande reconventionnelle du propriĂ©taire. Certes, la rĂ©siliation ne s’Ă©tait pas faite selon les clauses du contrat, et l’entrepreneur n’avait pas fondamentalement manquĂ© Ă  ses obligations. Il n’en reste pas moins que la rĂ©siliation Ă©tait conforme Ă  la common law, qui autorise cette mesure en cas de rĂ©pudiation. En effet, en refusant de reprendre le travail, l’entrepreneur signalait une intention de s’affranchir du contrat, ce qui Ă©quivaut Ă  une rĂ©pudiation. Au surplus, selon la Cour, l’entrepreneur n’aurait pas dĂ» dĂ©cider par lui-mĂŞme de cesser les travaux : il aurait dĂ» remplir ses obligations et rĂ©clamer ensuite son dĂ» par la nĂ©gociation ou par voie de justice.

Ce que doivent retenir propriétaires et entrepreneurs

L’affaire Conwest rappelle que, dans un projet de construction, toutes les parties doivent respecter scrupuleusement les clauses de leur contrat si elles veulent les invoquer en cas de litige, Ă  dĂ©faut de quoi le contentieux risque de s’avĂ©rer particulièrement complexe et onĂ©reux, et l’issue, incertaine. En effet, le tribunal peut alors tenir compte d’une conduite que les parties croyaient indĂ©pendante de l’interprĂ©tation du contrat.

Pour les entrepreneurs, ce jugement indique l’importance de respecter parfaitement les exigences d’avis prĂ©vues dans le contrat lorsqu’ils entendent rĂ©clamer un supplĂ©ment ou prĂ©voient un retard. Les entrepreneurs doivent aussi savoir qu’un dĂ©faut de paiement ne leur donne pas forcĂ©ment le droit d’abandonner le travail par un acte unilatĂ©ral. L’entrepreneur doit plutĂ´t remplir ses obligations, faire savoir officiellement qu’il n’accepte pas pour autant les manquements, et chercher Ă  se faire payer plus tard, soit en nĂ©gociant, soit par voie de justice. Sinon, il pourrait y avoir rĂ©pudiation de fait, ce qui autorise le propriĂ©taire Ă  rĂ©silier le contrat en vertu du droit des obligations ou de la common law.

Pour les propriĂ©taires, il rappelle l’importance de respecter scrupuleusement les clauses de rĂ©siliation, Ă  dĂ©faut de quoi la rĂ©siliation pourrait ĂŞtre invalide et donner lieu Ă  des dommages-intĂ©rĂŞts. Il y a aussi lieu d’Ă©tablir clairement la rĂ©partition des risques et des responsabilitĂ©s dès l’amorce du projet.

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Denny Chung et Buck Hughes sont avocats au cabinet Clark Wilson.