Malfaçons et clauses d’exclusion dans les assurances des risques des entrepreneurs de construction : les affaires Acciona et Ledcor

  • 15 octobre 2015
  • Firas Ayoub

Article paru Ă  l’origine dans le bulletin Ă©lectronique Constructive Views de Heal & Co., abrĂ©gĂ© et reproduit pour l’ABC avec la permission de l’auteur.

Par Firas Ayoub

Lors de deux jugements rĂ©cents, les tribunaux se sont penchĂ©s sur d’importantes clauses d’exclusion de vices dans des « assurances de construction en cours » ou « assurances des risques des entrepreneurs ». Les dĂ©cisions rendues Ă©tant cependant contradictoires, les secteurs de la construction et de l’assurance devront vraisemblablement attendre des clarifications sur l’interprĂ©tation et l’application des exclusions visant les malfaçons.

LEG2/96

La clause d’exclusion LEG2/96 (d’après le London Engineering Group, qui l’a crĂ©Ă©e) a beaucoup fait parler d’elle ces dernières annĂ©es sur la question des malfaçons. En voici une traduction :

Les assureurs ne seront pas responsables des frais dĂ©coulant de dĂ©fauts matĂ©riels ou de vices dans l’exĂ©cution, la conception, la planification ou les spĂ©cifications. Si une partie du bien assurĂ© (travaux contractuels) prĂ©sentant un de ces vices subit un dommage, ne seront pas couverts les coĂ»ts qui auraient Ă©tĂ© engagĂ©s si le remplacement ou la rectification du bien avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s immĂ©diatement avant qu’il soit endommagĂ©.

Pour l’application de la police et non uniquement de la prĂ©sente clause, il est entendu et convenu qu’aucune partie du bien assurĂ© (travaux contractuels) ne sera considĂ©rĂ©e comme endommagĂ©e par la seule prĂ©sence d’un dĂ©faut matĂ©riel ou d’un vice dans l’exĂ©cution, la conception, la planification ou les spĂ©cificationsNote de bas de page1.

L’affaire Acciona Infrastructure Canada Inc. v. Allianz Global Risks US Insurance Co., 2014 BCSC 1568, a menĂ© Ă  l’interprĂ©tation de cette clause pour la première fois au Canada. La Cour d’appel de l’Alberta s’est aussi penchĂ©e sur une exclusion touchant les vices de conception et d’exĂ©cution dans Ledcor Construction Limited v. Northbridge Indemnity Insurance Company, 2015 ABCA 121. Voyons les deux cas.

Acciona

Dans l’affaire Acciona, le demandeur est une coentreprise de conception et de construction pour un projet d’agrandissement d’un hĂ´pital. Durant la construction, il a Ă©tĂ© dĂ©couvert que les dalles de bĂ©ton de la nouvelle structure subissaient une « flexion excessive ».

Acciona demande un recouvrement des coĂ»ts de rĂ©fection en vertu de son assurance de construction en cours. L’assureur rejette la rĂ©clamation, invoquant que les dalles sont en elles-mĂŞmes dĂ©fectueuses plutĂ´t que physiquement endommagĂ©es.

Le juge Skolrood estime que la fissuration et la flexion excessive du dallage constituent [traduction] « un dĂ©faut matĂ©riel ou un vice d’exĂ©cution ou de conception » et que par consĂ©quent, la clause LEG2/96 s’applique. Cependant, l’exclusion ne s’Ă©tendant pas aux coĂ»ts de rĂ©fection ou de remplacement du bien endommagĂ© lui-mĂŞme, il juge qu’Acciona a droit Ă  un recouvrement de 8 514 931,00 $Note de bas de page2.

Ledcor

Dans l’affaire Ledcor, une entreprise a endommagĂ© des fenĂŞtres en effectuant le nettoyage final des lieux.

Le juge de première instance conclut que les dommages sont couverts par l’assurance de l’entrepreneur et que l’exclusion concernant les malfaçons ne s’applique pas. En effet, l’interprĂ©tation de la clause par les deux parties lui semblant plausible et la jurisprudence, incertaine et inconstante, il tranche en faveur de l’assurĂ© en appliquant le principe contra proferentem, selon lequel le contrat est interprĂ©tĂ© contre son rĂ©dacteur en cas d’ambiguĂŻtĂ©Note de bas de page3.

En appel, la cour cherche principalement Ă  savoir si les dommages sont [traduction] « dus Ă  une “mauvaise exĂ©cution” ou s’ils sont “consĂ©cutifs” »Note de bas de page4, et dĂ©termine qu’ils sont en effet exclus.

Comme dans Acciona, la police, qui couvre l’entreprise de nettoyage comme assurĂ© supplĂ©mentaire, exclut le coĂ»t de compensation des dĂ©fauts des matĂ©riaux de construction ou de la mauvaise conception ou exĂ©cution. Selon la cour, son but Ă©tait de protĂ©ger le titulaire non contre ce genre de problèmes, mais plutĂ´t contre les imprĂ©vus en cours de construction.

La Cour d’appel de l’Alberta estime que la bonne interprĂ©tation de l’exclusion est que l’assurance ne s’applique pas aux dommages physiquement ou systĂ©matiquement liĂ©s aux travaux en coursNote de bas de page5. Ainsi, le coĂ»t de remplacement des fenĂŞtres est exclu. Selon la Cour, la tâche de l’entreprise de nettoyage faisait partie de l’« exĂ©cution » des travaux mĂŞme s’il n’en rĂ©sultait pas de produit physique, du fait que la police couvre le projet entier et tous les sous-traitantsNote de bas de page6.

Analyse

Dans Acciona, le tribunal s’est concentrĂ© sur la visĂ©e de la clause d’exclusion, qu’il voit simplement comme un moyen de prĂ©venir le recouvrement des coĂ»ts de règlement d’un vice, et non des dommages consĂ©cutifs. Ă€ l’opposĂ©, dans Ledcor, la Cour d’appel a dĂ©boutĂ© la demande de rĂ©clamation pour dommages parce que ceux-ci sont liĂ©s au vice en question.

Ces deux raisonnements divergents n’ont rien pour orienter ou rassurer les joueurs du secteur de la construction cherchant Ă  savoir comment les tribunaux pourront interprĂ©ter la clause LEG2/96 et ses exclusions. NĂ©anmoins, voici quelques observations gĂ©nĂ©rales quant aux lacunes possibles dans la formulation et l’application de telles clauses, ainsi qu’Ă  leur interprĂ©tation possible.

  • La logique du juge Skolrood dans le dossier Acciona indique qu’il est possible de sĂ©parer le vice d’exĂ©cution du dommage qui en rĂ©sulte. En pratique, un tel exercice dĂ©pendrait chaque fois des circonstances du projet, ce qui ne donne aucune certitude quant Ă  l’issue d’autres litiges autour de la clause LEG2/96.
  • La clause LEG2/96 exclut le coĂ»t de rĂ©paration du dommage si [traduction] « le remplacement ou la rectification du bien avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s immĂ©diatement avant qu’il soit endommagĂ©Note de bas de page7 ». Il n’est cependant pas toujours possible de calculer ce montant avant sinistre. Dans certains cas, on pourrait mĂŞme dĂ©terminer qu’aucune rĂ©paration prĂ©ventive n’Ă©tait possible. Comment, alors, calculer les coĂ»ts?
  • Étant donnĂ© que le juge de première instance dans l’affaire Ledcor trouvait les deux interprĂ©tations de l’exclusion plausibles, les assureurs devraient revoir la formulation de telles clauses pour les rendre moins ambigĂĽes et clarifier leur portĂ©e.
  • L’arrĂŞt Acciona semble avoir mis la barre plus haut quant Ă  ce que l’assureur doit prouver pour refuser une indemnisation pour dommages, y compris dans les cas oĂą il avance que les travaux en question ont souffert d’un manque de prĂ©voyance assimilable Ă  une malfaçon.

L’avis d’appel dĂ©posĂ© le 12 septembre 2014 pour les assureurs de l’affaire Acciona n’a pas encore abouti Ă  une dĂ©cision. Croisons les doigts pour que le jugement Ă  venir jette de nouvelles lumières sur l’interprĂ©tation de la clause LEG2/96.

Firas Ayoub est avocat adjoint chez Heal & Co. LLC.

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