Les restrictions budgétaires de l’Ontario qui visent l’aide juridique destinée aux réfugiés conduiront très probablement à une contestation constitutionnelle

  • 07 février 2020
  • Shiva Bakhtiary

Une première version de cet article a été publiée en anglais le 2 juillet 2019 par The Lawyer's Daily, qui fait partie de LexisNexis Canada Inc.

Au printemps 2019, le gouvernement provincial de l’Ontario a retiré le financement qu’il avait accordé à Aide juridique Ontario (AJO), faisant valoir que le gouvernement fédéral devrait assumer l’intégralité du coût des services connexes au droit fédéral des réfugiés et de l’immigration. Cette mesure a forcé l’organisation à ne plus compter que sur le financement fédéral qui, au moment, était loin de suffire pour couvrir les coûts.

AJO a délivré 13 687 certificats au titre de la prestation de services aux immigrants et aux réfugiés l’an dernier, couvrant 13 % du nombre total des certificats émis. L’organisation dépense approximativement 34 millions de dollars par an au titre des services liés au droit des réfugiés, dont 18 millions de dollars provenant de la province. Le gouvernement fédéral devait, au départ, financer le travail dans le domaine du droit des réfugiés à hauteur de 16 millions de dollars cette année. Cependant, l’intégralité du programme coûte approximativement 45 millions de dollars.

En août, le gouvernement fédéral libéral a annoncé un financement ponctuel supplémentaire de 25,7 millions de dollars pour combler le déficit. Il n’existe toujours pas de plan de financement à long terme.

Alors que les questions relatives aux réfugiés et à l’immigration relèvent de la compétence fédérale, les critiques ont souligné que le droit pénal relève lui aussi de cette compétence et qu’aucune justification n’a été avancée pour le retrait du financement provincial de l’un des services et non de l’autre.

Sherry Aiken, professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université Queen’s, a suggéré que l’apparent ciblage particulier des demandeurs de statut de réfugié et des immigrants pourrait conduire à une contestation constitutionnelle. Elle a expliqué que le ciblage particulier des demandeurs de statut de réfugié et des immigrants aurait des répercussions disproportionnées sur une tranche de la population. C’est absolument « inique » car cela met en œuvre une politique budgétaire de manière discriminatoire et implique que « les réfugiés et les nouveaux arrivants n’ont pas le droit de recevoir un traitement fondé sur le même degré de respect ». C’est la raison pour laquelle une coupure immédiate de cette nature se traduira très probablement par une contestation juridique de nature constitutionnelle.

Dans son arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, la Cour suprême du Canada a affirmé que toute personne « qui se trouve au Canada » a le droit à la protection de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. En vertu de notre jurisprudence, seraient inclus les réfugiés et les migrants qui se trouvent au Canada.

De même, dans l’arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, la Cour suprême a affirmé que l’aide juridique est nécessaire dans certaines instances juridiques ne relevant pas du droit pénal lorsque les droits en jeu sont très importants, lorsque l’instance est complexe et lorsque le plaideur est dans l’incapacité de se représenter lui-même; tous des facteurs présents dans un grand nombre d’audiences de détermination du statut de réfugié.

À l’instar des personnes accusées de crimes, les droits des réfugiés qui sont en jeu, comme le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, sont importants. S’ils ne sont pas reconnus correctement, les demandeurs du statut de réfugié pourraient être déportés dans un pays en guerre, être confrontés à la persécution, à la torture, voire à la mort. Ainsi, les réfugiés ont un droit constitutionnel à l’accès à l’aide juridique.

Alors que ces affaires ne mentionnent pas le palier de gouvernement responsable de l’octroi du financement, l’on prévoit que la manière dont la province de l’Ontario a retiré son financement se traduira par des accusations de discrimination.

Shiva Bakhtiary est avocate dans le cabinet Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l. et membre du comité de direction de la Division des jeunes juristes de l’Association du barreau de l’Ontario.