L’interprétation des contrats en droit des affaires et la règle du texte clair : une confusion jurisprudentielle

  • October 05, 2021

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par Sina Faraji

I. Introduction

Le contrat est d’abord un accord de volonté entre des parties qui s’engagent les unes envers les autres, mais c’est aussi un instrument essentiel pour le bon fonctionnement de l’organisation sociale. Tous les jours, une multitude de contrats sont formés dans de nombreux domaines différents et notamment en affaires. Après tout, la liberté contractuelle est prévue à l’article 1378 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »). Considérant son rôle important, il est fondamental de mettre en place des structures afin d’en protéger le contenu, quelle que soit sa forme. Bien que le contrat puisse se créer par le simple échange de consentement, très souvent, celui-ci est couché et constaté à l’écrit. D’ailleurs, s’il est vrai que ce dernier permet une meilleure stabilité et prévisibilité des relations contractuelles1, il s’accompagne également de difficultés, notamment en ce qui a trait à son interprétation. La doctrine et la jurisprudence admettent deux règles opposées quant à l’interprétation des contrats. La règle du texte clair stipule qu’en présence d’un texte dénué de toute ambiguïté, il est interdit au tribunal de procéder à une interprétation. Le principe de la primauté de la volonté réelle met l’accent sur la volonté réelle des parties plutôt que sur la volonté déclarée dans le contrat.

Les questions auxquelles on tentera de répondre dans cette dissertation sont les suivantes :

  • Quelle est la place de la règle du texte clair en droit civil québécois?
  • Comment expliquer la confusion jurisprudentielle quant à l’interprétation d’une disposition contractuelle claire?

Pour répondre à ces questions, on analysera d’abord la règle du texte clair tant au niveau de son essence qu’en ce qui a trait à sa présence jurisprudentielle ancienne et dominante. Ensuite, on traitera du principe de la primauté de la volonté réelle en comparaison à la règle du texte clair, tout en démontrant que les arrêts qui mettent en avant la primauté de la volonté réelle contribuent à une jurisprudence émergente et secondaire. Enfin, on présentera, sous deux volets, la rencontre des deux concepts, à savoir la règle du texte clair et la théorie de la primauté de la volonté réelle. D’une part, on abordera l’impossibilité de la présence d’une contradiction jurisprudentielle, puis, d’autre part, on verra que les deux concepts sont conciliables par la manière dont ils sont formulés dans la jurisprudence.

II. Une méthode d’interprétation axée sur la clarté du texte

A. La règle du texte clair

1. Définition

D’après l’auteur François Gendron, la règle du texte ou de l’acte clair se résume en quelques mots : « l’interprétation cesse dans les cas clairs ».2 En effet, cette règle veut que le besoin même d’interpréter s’arrête en présence de termes contractuels limpides, dénués de toute ambiguïté. Seule une ambiguïté quelconque peut permettre à l’interprète d’exercer son pouvoir en utilisant les dispositions applicables en matière d’interprétation dans le C.c.Q., à savoir les articles 1425 à 1432. C’est un principe qui paraît évident en soi : pourquoi le juge procéderait-il à une interprétation lorsque la disposition contractuelle est claire? L’intention des parties peut-elle être autre que celle qui se dégage d’un texte clair? Cela est difficilement concevable puisque le texte clair sert d’abord de « rempart contre un danger de modification arbitraire d’une stipulation librement arrêtée par les contractants, bouleversant de la sorte l’économie de l’entente ».3

2. L’étape de la préinterprétation : identification et ambiguïté éventuelle

Dans leur ouvrage, Lluelles et Moore proposent une procédure rigoureuse d’interprétation des contrats en trois étapes, en accord avec la règle du texte clair.4 La première étape consiste à identifier la présence éventuelle d’une ambiguïté. À ce sujet, les auteurs écrivent : « L’ambiguïté se manifeste par la pluralité de sens possible d’un terme ou d’une clause. Elle peut naître soit d’un déficit, soit d’un excès d’information ». L’étape d’identification de l’ambiguïté éventuelle est une phase qu’on peut qualifier comme étant préinterprétative, qu’il faut distinguer de la phase interprétative, plus formelle. Le fait d’identifier une ambiguïté ou encore de conclure qu’un contrat est clair est entièrement laissé à la discrétion du tribunal.5 Tel que le laisse entendre son nom, le travail de préinterprétation se fait préalablement à l’interprétation et nécessite qu’une analyse superficielle soit faite du contrat en question. Le juge de première instance est amené à déceler, de manière sommaire, la présence, le cas échéant, d’un doute sur l’intention des parties. C’est pourquoi, dans le passé, cette phase a été qualifiée d’« interprétation de filtrage ».6

Par ailleurs, l’ambiguïté éventuelle recherchée par le juge peut prendre deux formes : intrinsèque et extrinsèque. La première est l’ambiguïté classique, celle qui trouve sa source dans l’acte même. Il s’agit de l’ambiguïté à laquelle on pense spontanément, c’est-à-dire une « alternativité de sens possible au sein d’un acte ».7 Quant à l’ambiguïté extrinsèque, elle émane d’une « circonstance ultérieure » et ne repose pas dans l’acte lui-même.8 Il est donc possible d’être en présence d’une ambiguïté, même lorsque les termes du contrat sont textuellement clairs9; celle-ci sera qualifiée d’extrinsèque. À ce sujet, Baudouin, Jobin et Vézina écrivent10 : 

« Replacés dans le contexte des autres stipulations de la convention ou celui des circonstances de sa conclusion, les termes apparemment limpides d’une stipulation peuvent se révéler ambigus et contredire l’économie du contrat, la véritable intention des parties. La règle de non-intervention du tribunal devant des mots clairs ne constitue qu’une présomption simple. »

Le doute découle du rapprochement entre le contrat et des faits postérieurs à sa conclusion qui pousse le juge à considérer le contexte contractuel. Bien qu’un texte clair soit dépourvu d’ambiguïté d’un point de vue littéral, il n’en demeure pas moins qu’une disposition contractuelle peut être ambiguë lorsque des faits ultérieurs sont pris en compte. Vu sous un autre angle, il existe donc deux types de  clarté : celle qui émane littéralement des termes du contrat et celle qui découle des faits postérieurs au contrat. En l’absence d’ambiguïté intrinsèque ou extrinsèque, le tribunal devra simplement appliquer le contrat tel qu’il est exprimé littéralement par les termes du contrat. Comme l’explique le Professeur Karim dans son livre:11  « devant un contrat clair, le rôle du juge en est un d’application plutôt que d’interprétation. »

3. L’étape d’interprétation

Au cours de la phase préinterprétative, le juge n’est pas censé interpréter, ou du moins, l’interprétation se fait de manière superficielle. Par conséquent, durant cette phase, en principe, les articles d’interprétation prévus dans le C.c.Q. ne peuvent être utilisés. Les articles 1425 C.c.Q et suivants ne seront utiles que pour l’interprétation véritable, après que la présence d’une ambiguïté intrinsèque ou extrinsèque ait été soulevée. Toutefois, Lluelles et Moore dressent une exception à cette règle:12 « la phase préinterprétative est parfois traitée avec les mêmes matériaux que ceux de la phase interprétative. Ainsi, la globalité du contrat, règle majeure d’interprétation, peut servir aussi au niveau de la découverte de l’ambiguïté ». Les auteurs font référence à l’article 1427 C.c.Q.:

1427. Les clauses s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble du contrat.

Il est donc important de noter qu’en principe, les règles du C.c.Q ne sont applicables qu’à l’étape de l’interprétation du contrat, mais cette règle n’est pas absolue. L’objectif premier de l’étape d’interprétation est de découvrir la commune intention des parties (art. 1425 C.c.Q). À cette étape, les articles du C.c.Q. doivent servir uniquement de guide à l’interprète, lui permettant de révéler l’intention réelle des parties.

B. Une jurisprudence ancienne et dominante

Lorsqu’il s’agit d’interprétation des contrats, les tribunaux regorgent de décisions qui se basent sur la règle du texte clair. Cette dernière est la ligne directrice de principe en matière d’interprétation, ce qui justifie notamment l’existence d’une jurisprudence ancienne et dominante.

1. Une jurisprudence ancienne

Tel que le mentionne l’auteur Gendron dans son ouvrage, la règle du texte clair remonte à l’époque romaine13 et a été conservée dans le système civiliste québécois au fil du temps. D’ailleurs, au cours du 20e siècle, les tribunaux ont constamment défendu la règle du texte clair.

En 1963, dans l’arrêt Consumers Acceptance Corp. c. Robitaille,14 la Cour d’appel reprend les mots du juge Tessier dans Dupéré v. Caron15 :

« Il semble bien que les termes dont se sont servies les parties pour exprimer leur commune intention sont clairs et précis, et la première règle de l’interprétation des conventions, c’est que, lorsque l’intention des parties se découvre suffisamment par les termes qu’elles ont employés, il n’y a pas lieu à interprétation. C’est une maxime évidente par elle-même. »

Dans cette même affaire, la Cour cite les propos du juge Casey, dissident dans l’arrêt Bélisle c. Marcotte16 en 1957,afin de renforcer son argumentation: « We must also recall that recourse may be had to the rules of interpretation only if an adherence to the literal meaning of the words used renders doubtful the intention of the parties ».

Outre la Cour d’appel du Québec, la Cour suprême a reconnu, à plusieurs reprises, la règle du texte clair dans ses décisions. C’est le cas de l’affaire Ely Lilly Eco17, en 1988, où la Cour reprend, près de soixante-dix ans plus tard, les mots du Conseil privé de Londres qui datent de 1920 afin de justifier l’utilisation de la règle du texte clair18 :

« Si la signification de l’acte, selon le sens ordinaire des mots qui y sont employés, est claire et sans ambiguïté, il n’est pas permis aux parties à cet acte, aussi longtemps qu’il n’est pas modifié, de venir affirmer devant une cour de justice: ‘Notre intention était tout à fait différente de celle qui est exprimée par les termes de l’acte’ ».

Lorsque la Cour suprême valide l’opinion de la Cour d’appel, comme elle l’a fait dans l’arrêt Commission des accidents du travail de Québec c. Pierre Tardif Inc19 en 1973, le message est encore plus important :

« En somme, les dispositions des art. 6 et 7 sont énoncées en termes clairs et ne prêtent à aucune ambiguïté. Il n’y a donc pas lieu de recourir aux règles d’interprétation. L’intention des parties est celle qu'expriment les termes clairs qu’elles ont convenu d’énoncer au contrat. »

2. Une jurisprudence dominante

La nécessité d’un doute est un principe qui, autrefois, était codifié sous le Code civil du Bas-Canada (ci-après « C.c.B.C. ») et qui a disparu dans le texte du nouveau C.c.Q. L’article 1013 C.c.B.C. disait :

1013. Lorsque la commune intention des parties dans un contrat est douteuse, elle doit être déterminée par interprétation plutôt que par le sens littéral des termes du contrat.

Effectivement, on trouve ici la nécessité de la présence d’un doute afin de procéder à l’interprétation du texte. Dans le nouveau Code, les dispositions pour l’interprétation du contrat sont prévues aux articles 1425 à 1432.  Toutefois, le législateur ne fait pas référence à la nécessité d’une ambiguïté telle que le mentionne la règle du texte clair :

1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

Cette règle a pourtant été conservée par les tribunaux après 1994. Puisque la loi en justifiait l’application, il est normal de s’attendre à ce que les décisions qui respectent la règle du texte clair soient nombreuses avant l’entrée en vigueur du C.c.Q. De même, après l’entrée en vigueur du nouveau Code, les tribunaux ont souvent défendu le principe de la règle dans le but de la conserver, ce qui justifie une présence jurisprudentielle dominante.

La grande majorité des décisions de la Cour d’appel du Québec en matière d’interprétation des contrats est en faveur de la règle du texte clair. Tel qu’elle le mentionne dans l’arrêt Carrefour Langelier c. Woolworth,20 il n’est pertinent de procéder à l’interprétation d’une clause contractuelle qu’en cas d’ambiguïté réelle. Dans un tel cas, il est permis d’appliquer les dispositions qui sont prévues au C.c.Q., à savoir les articles 1425 à 1432. Dans une autre affaire, face à une clause contractuelle claire et dans un contexte d’expiration de mandat, la Cour a refusé de procéder à l’interprétation. Elle écrit : « on ne doit pas donner à la clause 2.1 une signification autre que celle qui s’impose à la lecture du texte ».21 En outre, l’affaire Pépin c. Pépin22 est un arrêt de principe en matière d’interprétation des contrats, car la Cour prend le temps de détailler les différentes étapes du processus d’interprétation des contrats, en citant notamment les auteurs Baudouin et Jobin23 :

« Le rôle du juge comporte donc un aspect insolite, sinon paradoxal. Il doit en quelque sorte interpréter le contrat une première fois pour déterminer s’il est clair ou ambigu; s’il est ambigu, il doit l’interpréter de nouveau, c’est-à-dire résoudre l’ambiguïté. C’est cette seconde étape, et non la première, qui appelle la mise en œuvre des règles édictées par le législateur aux articles 1425 à 1432 du Code civil. »

Dans cette décision, la Cour confirme les propos des auteurs et admet que le processus d’interprétation des contrats doit suivre deux volets. D’abord, il faut se questionner à savoir s’il y a présence d’un doute. Une réponse affirmative permet au juge d’utiliser les articles du C.c.Q. afin de mettre en relief l’ambiguïté dans la disposition. Cependant, en présence d’un texte clair, le juge doit s’abstenir d’interpréter. Cette méthode est d’ailleurs confirmée dans des décisions de la Cour d’appel plus récentes.24 De plus, le simple fait que les parties accordent une interprétation différente à une clause n’entraîne pas forcément la présence d’une ambiguïté. Tel que l’a souligné la Cour dans l’affaire Gregory c. Château Drummond Inc.,25 « le fait que des parties entretiennent une divergence d’ordre interprétatif n’entraîne pas de façon automatique qu’une ambiguïté existe réellement ». Il est important de noter que la présence d’une ambiguïté est toujours laissée à l’appréciation du juge de fond.26 La Cour a même qualifié d’« erreur déterminante » le fait de ne pas déceler d’ambiguïté avant de procéder à l’interprétation du contrat et celle-ci justifierait l’intervention de la Cour en instance supérieure.27

De son côté, la Cour suprême n’a pu se prononcer que quelques fois sur l’utilisation de la règle du texte clair. En 1990, la plus haute cour du pays donne notamment raison à la Cour d’appel dans une affaire concernant l’interprétation d’une clause hypothécaire où elle énonce28 :

« Devant cette affirmation non équivoque, les tribunaux ne devraient pas créer des subtilités d'interprétation alors qu’il n’en existe aucune. Lorsque le contrat n’est pas ambigu et que son sens est clair, il n’y a pas de motif à interprétation. »

Par ailleurs, dans une décision concernant une disposition contractuelle en matière d’assurance,29 la Cour s’est prononcée fermement sur l’application de la règle du texte clair : « les termes “[a]ux fins d’appréciation des risques et d’étude des sinistres” sont clairs et nets. En conséquence, ils n’ont pas besoin d’être interprétés. »

Plusieurs années plus tard, en 2016 et en 2017, la Cour suprême refait surface en se positionnant à nouveau en faveur de la règle du texte clair, confirmant sa position dans les affaires Katsikonouris et Frenette. D’abord, dans la décision Jean Coutu inc. c. Canada (Procureur général), le Groupe Jean Coutu (ci-après « PJC Canada ») a effectué une demande afin de modifier des transactions effectuées avec sa filiale américaine, PJC USA. Voulant neutraliser l’effet négatif de la variation du taux de change lors de transactions, les parties ont occasionné des conséquences fiscales défavorables et imprévues. PJC Canada a invoqué l’article 1425 C.c.Q. en plaidant que l’intention des parties prime et que, par conséquent, elle devrait être autorisée à modifier les documents en ajoutant de nouvelles transactions qui neutralisent également les coûts fiscaux. Le juge de première instance a statué en faveur de PJC Canada et PJC USA, une décision qui a par la suite été infirmée en appel. En l’absence d’erreur quant au contenu du contrat, la Cour suprême décide de prioriser la volonté déclarée des parties et refuse la modification du document. Elle écrit :

 « L’article 1425 C.c.Q. ne permet pas à PJC Canada et à PJC USA de modifier avec effet rétroactif les documents constatant et exécutant leur entente dans les circonstances de l’espèce. L’expression de cette entente ne comportait aucune erreur. »

Les auteurs Lluelles et Moore semblent faire une distinction entre l’ambiguïté et « l'erreur matérielle manifeste ».30 Dans leur livre, ils expliquent que le fait de chercher une erreur vient après avoir conclu à l’absence d’ambiguïté dans le texte. La présence d’une erreur est d’ailleurs un des seuls éléments qui pourrait empêcher le juge de ne pas se fier au sens courant des mots dans la disposition claire qu’il interprète. Si la notion d’erreur intervient normalement après que le tribunal ait conclu à l’absence d’ambiguïté dans le texte, il est donc logique d’admettre que la Cour a conclu à l’absence d’ambiguïté en l’espèce. Bien qu’elle ne dise pas de manière expresse que la disposition en question ne contenait aucune ambiguïté, il n’y a pas d’élément dans la décision qui laisserait penser le contraire. D’ailleurs, la Cour explique : « Dans l’affaire qui nous occupe, les parties contractantes ont consenti à trois transactions initiales qui ont été exprimées avec exactitude dans les documents écrits y afférents. » Cette expression « avec exactitude » peut être comprise comme signifiant une certaine clarté dans le texte. Statuant en faveur de l’Agence du revenu du Canada, le tribunal justifie donc sa décision par la règle du texte clair : en l’absence d’ambiguïté, le juge ne doit pas interpréter.

Enfin, la décision la plus importante sur le sujet de la règle du texte clair en matière d’interprétation des contrats est également celle qui est la plus étoffée. L’arrêt Uniprix Inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé Inc. démontre la position actuelle de la Cour suprême du Canada.31 Faut-il toujours se fier à la règle du texte clair lors de l’interprétation d’une disposition contractuelle? La Cour répond positivement à la question :

« La première étape de l’exercice d’interprétation d’un contrat est de déterminer si ses termes sont clairs ou ambigus […]. Cette étape, que certains auteurs identifient comme la règle de l’acte clair (Gendron, p. 27), vise à empêcher le ou la juge de déroger, volontairement ou inopinément, à la volonté manifeste des parties. Bref, le contrat clair s’impose au juge. »

Autrement dit :

« Si les termes du contrat sont clairs, le rôle du tribunal se limite à les appliquer à la situation factuelle qui lui est soumise. À l’inverse, si le tribunal décèle une ambiguïté, il doit la résoudre en procédant à la seconde étape de l’interprétation du contrat. […] Le principe cardinal qui guide la seconde étape de l’exercice d’interprétation consiste à « rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés » (art. 1425 C.c.Q.). »

III. Une méthode d’interprétation axée sur l’intention des parties

A. Le principe de la primauté de la volonté réelle

1. Définition

Si la règle du texte clair est celle qui veut qu’une ambiguïté soit identifiée avant de procéder à l’interprétation d’une disposition contractuelle, le principe de la primauté de la volonté réelle admet qu’il est possible d’interpréter le texte nonobstant l’absence d’ambiguïté.32 Tel que l’explique Gendron dans son texte, cette méthode émane directement du C.c.Q. à l’article 1425 « qui fait primer la volonté interne sur la volonté déclarée et ne fait aucune obligation de s’en tenir à la lettre du contrat au motif qu’elle est claire ». D’ailleurs, si l’on devait appliquer la règle du texte clair à l’article 1425 C.c.Q, celui-ci ne pourrait faire l’objet d’une interprétation, car le texte clair d’un article ne s’interprète pas.33 Pourquoi vouloir alors mettre des mots – à savoir l’exigence d’une ambiguïté – là où le législateur a décidé qu’il n’y en aurait pas? Le principe de la primauté de la volonté réelle admet qu’on peut aller outre la clarté du texte afin de prioriser l’intention réelle des parties.

2. L’absence de formalité

La plus grande caractéristique du principe de la primauté de la volonté réelle est qu’elle est dénuée de toute formalité. La seule règle qui guide ce principe est l’article 1425 C.c.Q. qui exige que la commune intention soit prise en compte plutôt que le sens littéral des termes du contrat.34 Il n’y a pas d’étape préliminaire à l’interprétation. Au contraire, ce principe veut qu’une interprétation soit permise indépendamment de la clarté du texte. La primauté de la volonté réelle remet donc en cause la règle du texte clair en privilégiant l’intention commune des parties, même en l’absence d’ambiguïté.

3. Les arguments en faveur du principe de la primauté de la volonté réelle

Dans son texte, Gendron présente plusieurs arguments contre la règle du texte clair et donc en faveur du principe de la primauté de la volonté réelle.35 D’abord, l’auteur explique que l’étape préliminaire de la règle du texte clair n’a pas de sens en soi, car rien n’est clair. Tout texte, vu sous un certain angle, peut être perçu comme étant ambigu. Ensuite, un acte clair qui est dénué de toute ambiguïté peut ne pas représenter fidèlement l’intention réelle des parties. En d’autres termes, faire primer la volonté déclarée peut, dans certains cas, être contraire à ce que les parties voulaient réellement exprimer. Il suffit de penser à une situation où les parties se sont trompées dans le choix des mots dans une disposition contractuelle. Est-il plausible de penser qu’elles ne pourront faire respecter l’entente pour laquelle elles se sont engagées? Enfin, Gendron dénonce le caractère arbitraire de la règle du texte clair. Selon l’auteur, « le contrat sera clair si le tribunal en décide ainsi ». Dans cette optique, en respectant le principe de la primauté de la volonté réelle, les décisions rendues par le tribunal sont plus justes et équitables : toute disposition contractuelle sera sujette à interprétation afin d’y identifier la commune intention des parties.

B. Une tendance jurisprudentielle émergente et secondaire

Comme la règle du texte clair qui remonte à plusieurs milliers d’années, la primauté de la volonté réelle est un principe également ancien. Pourtant, ce n’est qu’au cours des dernières dizaines d’années qu’une tendance jurisprudentielle émergente a vu le jour mettant en avant la primauté de la volonté réelle. Ainsi, la primauté de l’intention réelle des parties est très présente dans la jurisprudence, mais reste, toutefois, secondaire à la règle du texte clair.

1. Une tendance jurisprudentielle émergente

Malgré la codification de la règle du texte clair dans le C.c.B.C., l’arrêt Viau c. P.G. du Québec36 démontre le début d’une tendance jurisprudentielle émergente : celle de la primauté de la volonté des parties. Dans cette affaire, la Cour d’appel devait évaluer si l’expression « a railway with cars running thereon » devait être prise dans son sens littéral de ligne de chemin de fer couramment utilisé, ou plutôt dans le sens large de transport en commun. Les appelants ont plaidé que sans la présence d’un doute, le juge ne peut interpréter, conformément à l’article 1013 C.c.B.C. La Cour a répondu : « Il s’agit là d'un exposé erroné de la règle générale posée à l’article 1013 C.C. […] Ce n’est pas parce que les termes sont clairs que l’intention commune le sera. » Sans la présence d’ambiguïté dans le texte, le juge décide quand même de procéder à l’interprétation de la clause contractuelle pour préserver la primauté de l’intention des parties. Dans une autre affaire, la Cour se met à interpréter malgré qu’il soit clair que la disposition en question ne comporte aucun doute.37

De même, en l’absence d’ambiguïté dans le texte, en 1992, la Cour supérieure procède quand même à l’interprétation38 : « La recherche de l’intention des parties amène le Tribunal à examiner l’ensemble du contrat et à favoriser une interprétation qui conduise au résultat véritablement voulu dans les parties. » Dans cette décision, au départ, la Cour mentionne que le texte paraît clair et précis, et poursuit en affirmant :

« Malgré que la clause puisse paraître claire de prime abord, il est possible qu’elle ne reflète pas la véritable intention des parties et, dans cette hypothèse, le Tribunal peut être appelé à interpréter le contrat afin de rechercher la véritable intention des parties ».

Certes, il existe une possibilité, mais le Tribunal n’explique pas en quoi cette clause aux traits clairs est susceptible de ne pas refléter l’intention des parties. Autrement dit, la Cour présente uniquement la possibilité d’interpréter le contrat sans pour autant conclure qu’il y a ambiguïté. Donc à priori, le texte reste clair.

Dans l’arrêt La Confédération, compagnie d’assurance-vie c. Lacroix, la Cour admet pouvoir écarter le texte clair d’une disposition s’il y a une incompatibilité avec l’ensemble du contrat et l’intention évidente. C’est une illustration parfaite de la primauté de la volonté réelle : la Cour peut interpréter indépendamment de la clarté du texte. En d’autres mots, l’interprétation ne se limite pas à ce qui est ambigu. Le principe de la primauté de la volonté réelle veut que même une clause dénuée de toute ambiguïté puisse être interprétée.39

Avec l’apparition d’un discours jurisprudentiel qui, à première vue, mine l’importance textuelle dans l’interprétation des contrats, les tribunaux ont développé une tendance qui met l’accent sur la volonté réelle des parties plutôt que sur l’importance de l’ambiguïté. Seulement, cette tendance reste minoritaire.

2. Une tendance jurisprudentielle secondaire

Si la Cour d’appel a souvent exprimé sa position en faveur de la règle du texte clair, ce principe n’est pas absolu. Dans la décision Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Ste-Foy,40 la Cour admet que la disposition contractuelle en question est claire : « Bref, s’il est vrai que la jurisprudence, comme la doctrine du reste, affirme parfois que l’on n’a pas à interpréter ce qui est clair ». Pourtant, elle affirme pouvoir interpréter : « Il demeure néanmoins que ce qui est ou paraît clair n est pas toujours exact et peut donc requérir interprétation ». Vue sous l’angle de la règle du texte clair, cette incohérence est l’élément clé de la primauté de la volonté réelle. La Cour procède directement à appliquer les articles pertinents du Code en matière d’interprétation des contrats alors que la clarté a été affirmée. Puis, elle explique l’essence même de l’article 1425 : « l’exercice consistera alors à chercher, à travers, mais aussi au-delà de la volonté déclarée, la volonté réelle des parties, c’est-à-dire leur véritable intention commune, intention dont il faudra bien sûr faire la preuve ». De même, dans la décision Peacock c. Adessky,41 sous la plume du juge Morissette, après avoir conclu que les termes du contrat étaient clairs, la Cour déclare que « la recherche du sens véritable doit servir à révéler la commune intention des parties » et ce, malgré les termes clairs d’une stipulation contractuelle. Les propos de la Cour, dans cet arrêt, décrivent exactement le principe à suivre d’après la primauté de la volonté réelle. Ainsi, la Cour d’appel a procédé à l’interprétation des clauses 3, 8 et 6 du contrat sans avoir identifié un doute, malgré qu’elle ait cité les auteurs Lluelles et Moore sur la nécessité d’identifier une ambiguïté avant l’interprétation.

La Cour suprême a également contribué à la tendance jurisprudentielle de la primauté de la volonté réelle. Dans l’arrêt Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc,42 il est question d’interprétation dans le cadre d’un transfert d’actions qui a engendré des conséquences fiscales imprévues. Les erreurs ont occasionné des réclamations d’impôt de la part des autorités fiscales. Sous la plume du juge Lebel, la Cour écrit :

« La divergence révélée par la preuve entre la volonté commune des parties et l’expression de cette volonté – ou volonté déclarée – soulève en elle-même un problème d’interprétation. Il faut déterminer quelle est l’intention des parties et où elle se trouve, dans l’échange initial des consentements ou dans son expression écrite. Le tribunal doit résoudre cette divergence et l’art. 1425 lui permet non seulement de rechercher quelle est l’intention des parties, mais également où elle réside. Fréquemment, il s’agira de dégager, grâce à l’emploi de diverses techniques d’interprétation, la signification de mots ou d’expressions dans un acte afin, au besoin, de combler des vides dans le texte ou de retrouver dans celui-ci des contenus parfois bien dissimulés ».

Sans se soucier de la clarté du texte ou de la présence de quelque ambiguïté, la Cour suprême, à la suite de la preuve qui lui est présentée, reconnaît une divergence entre la volonté réelle et la volonté déclarée. Pourtant, l’argument principal de l’Agence du Revenu du Québec dans cette affaire était justement que le texte était clair, car il ne comportait aucune ambiguïté et ainsi il n’y avait pas lieu pour les tribunaux d’interpréter des documents. Toutefois, selon la Cour, le travail du tribunal est de déterminer si l’intention des parties repose dans le texte qui est écrit à l’aide des dispositions prévues au Code. D’après les propos de la Cour dans cette décision, le juge se doit d’interpréter afin de faire primer l’intention des parties comme il est prévu par l’article 1425 C.c.Q. Il n’est donc pas question pour un juge de limiter son pouvoir d’interprétation en raison de l’absence d’une ambiguïté, car l’interprétation est le seul moyen de mettre à jour une divergence éventuelle de volonté. L’interprétation permettra au tribunal de déterminer quelle est véritablement l’intention des parties, mais également où réside celle-ci. Après tout, « la règle énoncée à l’article 1425 C.c.Q. en matière d’interprétation du contrat fait primer l’intention véritable des parties sur celle déclarée au contrat ».43 À priori, contrairement à l’article 1013 C.c.B.C, la présence d’un doute n’est pas un élément essentiel qui habilite le juge à interpréter. C’est pourquoi dans la décision Péladeau c. Placements Péladeau inc., la Cour ne mentionne pas d’ambiguïté et ne fait aucune référence à la clarté du texte. Il en est de même dans Rouge Resto-bar inc. c. Zoom Média inc. où la Cour dit :44

« L’essentiel de l’exercice d’interprétation des contrats ne consiste pas tant à scruter les mots du texte, mais à saisir une réalité, celle de « l’intention commune des parties ». […] Bien sûr le texte est le premier et le plus important outil d’interprétation des contrats, mais, à mon avis, il ne faut jamais se coller au texte et faire abstraction du contexte. »

IV. Rencontre entre les deux méthodes

A. Une contradiction inconcevable

À la lumière de la jurisprudence présentée précédemment tant du côté de la règle du texte clair que du côté du principe de la primauté de la volonté réelle, il existe, à première vue, une contradiction au niveau de l’application de la règle du texte clair. En effet, un survol de la jurisprudence démontre le va-et-vient entre la règle du texte clair et la primauté de la volonté réelle des parties. Faut-il donc respecter la règle jurisprudentielle dominante en matière d’interprétation des contrats? Tel qu’énoncé précédemment, les juges de la Cour suprême répondent à cette question par l’affirmative dans leur décision la plus récente sur l’interprétation des contrats. Il est toutefois inconcevable que la Cour ait voulu remettre en question une multitude décisions en se positionnant favorablement du côté de la règle du texte clair.45 Plus encore, est-il plausible de penser que certains juges ayant souscrit à l’opinion majoritaire dans l’arrêt Uniprix étaient également favorables à rejeter cette même règle trois ans plus tôt? Dans cette optique, l’idée d’une contradiction dans les décisions judiciaires est moins crédible. Il doit forcément y avoir des éléments conciliables d’une décision à une autre. Il faudrait donc envisager la possibilité que l’arrêt Uniprix soit venu concilier la jurisprudence antérieure au sujet du débat sur la règle du texte clair.

B. Une conciliation envisageable

La règle du texte clair a toujours signifié qu’en présence d’un texte clair, il n’y avait pas de marge à l’interprétation. Mais qu’est-ce qu’un texte clair? C’est sur cette question que porte majoritairement la confusion jurisprudentielle au sujet de l’interprétation des contrats. D’après certains auteurs,46 « le contrat clair est celui dont les termes, replacés dans le contexte et lus dans leur ensemble selon le sens ordinaire des mots utilisés, ne laissent place qu’à une seule interprétation raisonnable de l’intention des parties ». On peut déduire de l’ouvrage de Lluelles et Moore qu’un texte est totalement clair lorsqu’il est dénué de toute ambiguïté, qu’elle soit intrinsèque ou extrinsèque.47 En ce sens, en présence d’un texte qui ne contient pas d’ambiguïté intrinsèque, il serait quand même possible d’interpréter la disposition, à condition d’y déceler une ambiguïté extrinsèque au préalable. La jurisprudence permet également de définir le concept de clarté :48 « Il n’y a pas lieu de dire qu’un texte est clair du seul fait que son sens littéral l'est » puisqu’il est « toujours nécessaire d'étudier le contexte d’une disposition législative ou d’une stipulation contractuelle pour en connaître la véritable portée ». Autrement dit, la clarté a deux sens. Un texte peut être d’abord être clair textuellement, c’est-à-dire par rapport au sens littéral de ses mots. Ensuite, une disposition peut être claire par rapport à son contexte contractuel. On parlera de clarté totale lorsqu’on sera à la fois en présence de la clarté textuelle et de la clarté contextuelle. Si la clarté a plusieurs sens, les tribunaux ne peuvent se contenter de simplement énoncer que le texte est « clair ». En effet, ce vocable peut signifier à la fois l’absence de toute ambiguïté comme il peut référer uniquement à l’absence d’un type d’ambiguïté. Les tribunaux doivent donc effectuer cette distinction entre la clarté textuelle (intrinsèque) et la clarté contextuelle (extrinsèque). De même, il est essentiel de faire la distinction entre l’ambiguïté intrinsèque et extrinsèque. Une disposition qui, à priori, est dénuée d’ambiguïté intrinsèque pourrait quand même contenir une ambiguïté extrinsèque.

Dans cette perspective, plusieurs décisions qui, de prime abord, semblaient aller à l’encontre de la règle du texte clair sont finalement l’expression même de cette règle. C’est le cas pour l’arrêt Richer c. La Mutuelle du Canada, compagnie d’assurance sur la vie où la Cour affirme qu’il n’y a aucune ambiguïté, mais persévère dans sa recherche d’une imprécision : « Ce danger existe-t-il lorsqu’est établie une situation qui contredit carrément le sens clair de la clause litigieuse ?  En pareil cas, le juge ne peut-il pas déduire de cette situation une ambiguïté de la clause, sans pour autant la dénaturer? » Cela expliquerait également pourquoi dans Viau c. P.G. du Québec, le juge explique l’élément suivant avant d’interpréter :

« De toute évidence, malgré la clarté des termes employés, telle n’était pas l’intention des parties; pour la saisir, il faut lire ces termes dans le contexte des contrats où ils se retrouvent et considérer ces contrats dans le contexte de l’époque, en tenant compte de la situation d’alors des lieux et du genre d’entreprise qu’exploitait alors la cessionnaire. »

En concluant que le texte est clair dans l’affaire Sobeys, la Cour déclare que « ce qui paraît clair n’est pas toujours exact. » Tout simplement, celle-ci ne fait que référer à la possibilité d’une ambiguïté extrinsèque, face à une disposition contractuelle textuellement claire, qui lui permet d’interpréter. Dans cette optique, on peut conclure que la Cour d’appel a respecté la règle du texte clair. De même, dans l’affaire AES, il n’est pas question d’ambiguïté dans le document des parties. En l’absence de doute soulevé par le tribunal, ce dernier est censé appliquer le document tel qu’il est exprimé littéralement, sous réserve d’une erreur présente dans le texte. Comment expliquer alors que le tribunal ait pris l’initiative de déterminer la volonté réelle des parties comme il est prévu dans les articles d’interprétation du C.c.Q.? Cette clarté, qui de prime abord, semble être totale est finalement une clarté textuelle. Vus d’une perspective littérale, les termes du contrat paraissent clairs. Cela n’empêche pas pour autant qu’une ambiguïté extrinsèque vienne renverser la clarté du texte par la suite et permettre ainsi à la Cour d’interpréter. Puisque de manière générale, l’ambiguïté intrinsèque est celle à laquelle on pense spontanément, il est plausible de penser qu’en l’absence de précision, on réfère à une ambiguïté textuelle ou littérale, ce qui justifie le manque de précision des tribunaux.

V. Conclusion

La règle du texte clair est un principe qui date de l’époque romaine et qui est encore utilisé dans le système civiliste québécois de nos jours. C’est d’ailleurs la règle de principe en matière d’interprétation des contrats. Très simplement, elle admet que lorsque les termes du contrat sont clairs, il y a une interdiction d’interpréter. Il suffit dans ces cas de se fier au sens littéral des mots. Citée à maintes reprises par les tribunaux, c’est la règle qui domine la jurisprudence quand il s’agit d’interprétation des contrats. Pourtant, certaines décisions, malgré leur plus petit nombre, semblent permettre une interprétation même en l’absence d’une ambiguïté. C’est le principe de la primauté de la volonté réelle. Alors que la règle du texte clair exige la formalité d’une ambiguïté quant à son application, le principe de la primauté de la volonté réelle est dénué de toute étape préliminaire. Il est notamment prévu à l’article 1425 C.c.Q. qui, textuellement parlant, ne prévoit pas de doute préalable à l’interprétation, mais simplement la recherche de la commune intention.

Face à ces deux règles, laquelle choisir? C’est la question sur laquelle la Cour suprême du Canada a dû se pencher dans l’affaire Uniprix pour guider les juges dans leurs décisions futures. La Cour a déterminé que la règle du texte clair s’applique toujours en droit civil québécois et qu’il ne faut pas y renoncer. Cette règle n’est donc pas en péril. Elle n’a jamais cessé d’être appliquée dans les décisions judiciaires. Bien qu’il semble, à première vue, que les tribunaux aient remis en question la règle du texte clair, après une analyse plus approfondie et en considérant tous les éléments de la règle, celle-ci est respectée par les tribunaux.

Comment alors expliquer la confusion jurisprudentielle quant à l’interprétation d’une disposition contractuelle claire? Elle s’explique simplement par un manque de précision des tribunaux lorsqu’ils traitent du concept de clarté et d’ambiguïté. En soi, la règle du texte clair permet l’interprétation d’une clause contractuelle qui est textuellement claire à condition d’y déceler une ambiguïté extrinsèque. En revanche, selon la règle du texte clair, il ne pourrait y avoir d’interprétation lorsqu’une clause est dénuée à la fois d’ambiguïté intrinsèque et d’ambiguïté extrinsèque. Autrement dit, face à une clarté textuelle (intrinsèque) ou une clarté contextuelle (extrinsèque) seulement, le juge pourra interpréter. Ce n’est qu’en présence d’une clarté totale qu’il n’a plus de marge de manœuvre.

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DE LA LÉGISLATION

Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991

TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, [1990] 2 R.C.S. 1029

Bélisle c. Marcotte, [1957] B.R. 46

Bisignano c. Système électronique Rayco ltée, 2014 QCCA 292

Carrefour Langelier c. Woolworth inc., [2002] R.D.I 44 (C.A.)

Commission des accidents du travail de Québec c. Pierre Tardif Inc., [1973] R.C.S. 741

Confédération (La), compagnie d’assurance-vie c. Lacroix, [1996] R.R.A. 930 (C.A.)

Consumers Acceptance Corp. c. Robitaille, [1963] B.R. 540

Droit de la famille – 1544, J.E. 92-433 (C.A.)

Dupéré v. Caron, (1931) 69 C.S. 391

Ely Lilly Eco c. Novopharm Ltd., [1988] 2 R.C.S. 129

Entreprises Donat Chartier inc. c. Legault, 2007 QCCA 1705

Frenette c. Métropolitaine (La), compagnie d’assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647

Gregory c. Château Drummond inc., 2012 QCCA 601

Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55

H & R Transport Ltd. c. 9171-5367 Québec inc., 2019 QCCA 810

Ihag-Holding, a.g. c. Corporation Intrawest, 2011 QCCA 1986

Immeubles SOGESTO inc. c. Gestions VB (2007) inc., 2019 QCCS 2014

Lampson c. City of Quebec, [1920] 54 D.L.R. 344 (C.P.)

Langlais c. Sennheiser (Canada) inc., 2018 QCCS 4695

Newad Madia Inc. c. Red Cat Media inc., 2013 QCCA 129

Peacock c. Adessky, 2009 QCCA 2259

Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2015 QCCA 1724

Pépin c. Pépin, 2012 QCCA 1661

Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65

Richer c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d’assurance sur la vie, [1987] R.J.Q. 1703 (C.A.)

Rouge Resto-bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443

Samen Investments Inc. c. Monit Management Ltd., 2014 QCCA 826

Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Ste-Foy, [2006] R.J.Q. 100 (C.A.)

St-Amour c. Prudentielle d’Amérique, Cie d’Assurances, [1992] R.R.A 1020 (C.S.)

St-Jacques c. Excellence (L’), compagnie d’assurance-vie, 2008 QCCS 1380

Uniprix Inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé Inc., 2017 CSC 43

TABLE DE LA DOCTRINE

Monographies

BAUDOUIN, J.-L. et P.-G. JOBIN, « Les obligations », 7e éd., par P.-G. JOBIN, avec la collab. de Nathalie VÉZINA, Cowansville, Édition Yvon Blais, 2013, p.488-509

GENDRON, F., « L’interprétation des contrats », 2e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2016 p.24-38

KARIM, V., « Les Obligations », 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, p.694-714

LLUELLES, D. et B. MOORE, « Droit des obligations », 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2018, p.875-943

Ouvrage Collectif

GRAMMOND, S., « Interprétation du contrat », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », « Obligations et responsabilité civile », fasc. 6, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles

Article de revue

SHEEHAN, M.F., N. BLANCHETTE et N.-K. PERRAULT, « Le principe de l’acte clair existe-t-il toujours en droit civil des contrats? », « Revue du Barreau », 2018, EYB2018RDB206 (La référence)

Endnotes

1 Martin F. SHEEHAN, Nikolas BLANCHETTE, et Nicolas-Karl PERRAULT, « Le principe de l’acte clair existe-t-il toujours en droit civil des contrats? », Revue du Barreau, 2018
2 François GENDRON, « L’interprétation des contrats », 2e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2016, p. 27
3 Didier LLUELLES et Benoît MOORE, « Droit des obligations », 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2018, n° 1570, p. 875
4 Id., p. 875-943
5 Vincent KARIM, « Les Obligations », 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, n° 1678, p. 678
6 Groupe L.M.B. Experts-conseils Inc. c. Société québécoise d’assainissement des eaux, J.E. 2000-995 (C.S.)
7 D. LLUELLES et B. MOORE, préc., note 3, n° 1580, p. 883
8 Id., préc., note 3, n° 1581, p. 883
9 Id., préc., note 3, n° 1580, p. 883; Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, « Les obligations », 7e éd., P.-G. JOBIN, avec la collab. de Nathalie VÉZINA, Cowansville, Édition Yvon Blais, 2013, n° 413.; V. KARIM, préc., note 5, n° 1701, p. 708
10 J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, préc., note 9, n° 413
11 V. KARIM, préc., note 5, n° 1676, p. 697
12 D. LLUELLES et B. MOORE, préc., note 3, n° 1572, p. 877
13 F. GENDRON, préc., note 2, p. 27
14 Consumers Acceptance Corp. c. Robitaille, [1963] B.R. 540
15 Dupéré v. Caron, (1931) 69 C.S. 391
16 Bélisle c. Marcotte, [1957] B.R. 46
17 Ely Lilly Eco c. Novopharm Ltd., [1988] 2 R.C.S. 129
18 Lampson c. City of Quebec, [1920] 54 D.L.R. 344 (C.P.)
19 Commission des accidents du travail de Québec c. Pierre Tardif Inc., [1973] R.C.S. 741
20 Carrefour Langelier c. Woolworth inc., (2002) R.D.I 44 (CA)
21 Entreprises Donat Chartier inc. c. Legault, 2007 QCCA 1705, par. 11
22 Pépin c. Pépin, 2012 QCCA 1661, par. 87
23 J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, préc., note 9, n° 413
24 Samen Investments Inc. c. Monit Management Ltd., 2014 QCCA 826; Bisignano c. Système électronique Rayco ltée, 2014 QCCA 292
25 Gregory c. Château Drummond inc., 2012 QCCA 601
26 Samen Investments Inc. c. Monit Management Ltd., préc., note 24
27 Bisignano c. Système électronique Rayco ltée, préc., note 24
28 Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, [1990] 2 R.C.S. 1029
29 Frenette c. Métropolitaine (La), compagnie d’assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647
30 D. LLUELLES et B. MOORE, préc., note 3, n° 1584, p. 885
31 Uniprix Inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé Inc., 2017 CSC 43, par. 34 et 36
32 F. GENDRON, préc., note 2, p. 32
33 Id.
34 Sébastien GRAMMOND, « Interprétation du contrat », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Obligations et responsabilité civile, fasc. 6, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles
35 F. GENDRON, préc., note 2, p. 30
36 Viau c. P.G. du Québec, (1978) C.A. 223
37 Richer c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d’assurance sur la vie, [1987] R.J.Q. 1703 (C.A.)
38 St-Amour c. Prudentielle d’Amérique, Cie d’Assurances, [1992] R.R.A 1020 (C.S.)
39 Confédération (La), compagnie d’assurance-vie c. Lacroix, [1996] R.R.A. 930 (C.A.)
40 Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Ste-Foy, [2006] R.J.Q. 100 (C.A.), par. 50
41 Peacock c. Adessky, 2009 QCCA 2259, par 35
42 Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, par. 48
43 Ihag-Holding, a.g. c. Corporation Intrawest, 2011 QCCA 1986, par. 16
44 Rouge Resto-bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443, par. 78
45 Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., préc., note 42; Uniprix Inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé Inc., préc., note 31
46 M. F. SHEEHAN, N. BLANCHETTE, et N.-K. PERRAULT, préc., note 1
47 D. LLUELLES et B. MOORE, préc., note 3, n° 1580, p. 883
48 Droit de la famille – 1544, J.E. 92-433 (C.A.); St-Jacques c. Excellence (L’), compagnie d’assurance-vie, 2008 QCCS 1380; M. F. SHEEHAN, N. BLANCHETTE, et N.-K. PERRAULT, préc., note 1