Propriété effective : nouvelles règles dès juin

  • 04 mars 2019
  • Graham King et Pierre Permingeat

Le projet de loi C-86, Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, qui porte modification de plusieurs lois fédérales dont la Loi canadienne sur les sociétés par actions, a reçu la sanction royale le 13 décembre 2018.

Nous verrons ici les principaux changements apportés à la LCSA qui entreront en vigueur le 13 juin 2019. La réglementation suivra, pour prendre effet à une date encore indéterminée.

Les nouvelles règles donnent suite aux Recommandations publiées en 2018 par le Groupe d’action financière (GAFI) au sujet de la transparence et de la divulgation de la propriété effective des avoirs. En 2016, dans le document Mutual Evaluation Report portant sur le Canada, le GAFI indiquait en effet que les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme étaient élevés chez les personnes morales au Canada parce que le régime canadien d’immatriculation des sociétés autorise l’utilisation de prête-noms (actionnaires ou fiducies) pour dissimuler l’identité des propriétaires effectifs et les sources de capitaux, et ce, sans cadre de contrôle efficace permettant d’atténuer ces risques.

Divulgation de l’identité des actionnaires : les règles actuelles

Actuellement, la LCSA oblige les sociétés de régime fédéral n’ayant pas fait appel au public à conserver, à leur siège social ou ailleurs au Canada, un registre central des valeurs mobilières qu’elles ont émises où figurent :

  1. les noms, par ordre alphabétique, et la dernière adresse connue des détenteurs de ces valeurs ou de leurs prédécesseurs;
  2. le nombre des valeurs de chaque détenteur;
  3. la date et les conditions de l’émission et du transfert de chaque valeur.

Nouveautés apportées par le projet de loi C-86

À compter du 13 juin 2019, les sociétés de régime fédéral n’ayant pas fait appel au public devront publier la liste des personnes ayant un « contrôle important » sur la société. Est considéré comme ayant un contrôle important tout particulier :

  1. soit qui est le détenteur inscrit ou a la propriété effective d’un nombre important d’actions, ou qui exerce un contrôle direct ou indirect ou a la haute main sur un nombre important d’actions, c’est-à-dire un nombre d’actions qui a) soit confère vingt-cinq pour cent ou plus des droits de vote attachés à l’ensemble des actions avec droit de vote en circulation de la société; b) soit équivaut à vingt-cinq pour cent ou plus de la juste valeur marchande de l’ensemble des actions en circulation de la société;
  2. soit qui exerce, le cas échéant, une influence directe ou indirecte ayant pour résultat le contrôle de fait de la société;
  3. soit à qui les circonstances réglementaires (qu’il reste à définir par règlement) s’appliquent.

Sous le régime de la loi C‑86, deux particuliers ou plus détenant conjointement un nombre important d’actions sont considérés chacun séparément comme un particulier ayant un contrôle important.

Pour qu’il soit possible de connaître l’identité des particuliers ayant un contrôle important, la société devra tenir un nouveau registre indiquant :

  1. le nom, la date de naissance et la dernière adresse connue de ces particuliers;
  2. leur juridiction de résidence à des fins fiscales;
  3. la date à laquelle chacun d’eux est devenu un particulier ayant un contrôle important de la société et, le cas échéant, celle où il a cessé d’avoir cette qualité;
  4. une description de la manière dont chacun d’eux est un particulier ayant un contrôle important de la société, notamment une description de leurs droits ou intérêts relativement aux actions de la société;
  5. tout autre renseignement rendu obligatoire par règlement à venir;
  6. une description des mesures prises par la société pour identifier tous les particuliers ayant un contrôle important de la société et pour s’assurer que les renseignements inscrits au nouveau registre sont exacts, exhaustifs et à jour.

Le nouveau registre doit être mis à jour dans les 15 jours suivant la date où la société prend connaissance de renseignements concernant les particuliers ayant un contrôle important. Les renseignements personnels (au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques) contenus dans le nouveau registre doivent en être retirés dans l’année qui suit le sixième anniversaire de la date où un particulier ayant un contrôle important cesse d’avoir cette qualité.

Divulgation des renseignements

Bien que le contenu du nouveau registre ne soit pas communiqué à Corporations Canada, le directeur nommé en vertu de la LCSA peut demander des renseignements au sujet des particuliers ayant un contrôle important.

De plus, les actionnaires et les créanciers (ou leurs représentants personnels) peuvent demander accès au nouveau registre, ou en demander un extrait, conformément au paragraphe 21.3(2) de la LCSA. Les renseignements ainsi obtenus ne peuvent être utilisés que dans le cadre, le cas échéant :

  1. des tentatives en vue d’influencer le vote des actionnaires de la société;
  2. de l’offre d’acquérir des valeurs mobilières de la société;
  3. de toute autre question concernant les affaires internes de la société.

Le texte ne précise pas si un vérificateur a le droit de consulter le nouveau registre dans le cadre d’un examen des états financiers exécuté conformément à l’article 170 de la LCSA.

Conclusion

Annonçant une nouvelle ère de transparence, le projet de loi C-86 montre que le droit canadien évolue dans le sens des Recommandations de 2018 du GAFI. Le texte précise cependant que le nouveau registre ne constitue pas un « rapport », et le Canada demeure ainsi un des deux seuls pays du G7 qui n’obligent pas le dépôt d’un rapport sur la propriété effective des sociétés n’ayant pas fait appel au public. Les exigences de divulgation se resserreront-elles dans le sillage du projet de loi? L’avenir le dira.

Graham King est associé, et Pierre Permingeat avocat adjoint, chez Borden Ladner Gervais.