La Cour fédérale annule une alerte à la sécurité de l’Aviation civile

  • 16 octobre 2018
  • Carlos Martins

Remarque : cet article a été affiché pour la première fois sur le site Web (en anglais seulement) de Bersenas Jacobsen Chouest Thomson Blackburn. Il est reproduit ici avec autorisation.

Dans l’arrĂŞt Rotor Maxx Support Ltd. c. Canada (Transports), 2018 CF 97, la Cour fĂ©dĂ©rale du Canada s’est penchĂ©e sur une dĂ©cision, prise en 2015 par Transports Canada, d’Ă©mettre une alerte Ă  la sĂ©curitĂ© de l’Aviation civile (ASAC) contre Rotor Maxx Support Ltd. Une ASAC est un avis non obligatoire Ă©mis par un organisme de rĂ©glementation contenant d’importants renseignements en matière de sĂ©curitĂ© et des recommandations destinĂ©es aux intervenants appropriĂ©s quant aux mesures Ă  prendre.

La dĂ©cision faisant l’objet de l’examen a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e dans un numĂ©ro de mai 2015 de Transportation Notes (disponible uniquement en anglais)

La Cour avait antĂ©rieurement refusĂ© d’accorder une injonction empĂŞchant l’Ă©mission de l’ASAC.

Contexte  

Rotor Maxx est un organisme de maintenance agrĂ©Ă© certifiĂ© par Transports Canada spĂ©cialisĂ© dans l’entretien et la rĂ©paration des hĂ©licoptères Sikorsky. Pour effectuer l’entretien et la rĂ©paration d’aĂ©ronefs hors production, les organismes de maintenance approuvĂ©s sont autorisĂ©s Ă  recertifier des pièces non documentĂ©es en vertu du Règlement de l’aviation canadien.

Transports Canada et Rotor Maxx s’opposaient sur la question de savoir si cette dernière satisfaisait aux exigences de recertification desdites pièces. Au dĂ©part, Transports Canada  a contestĂ© la recertification de trois pièces par Rotor Maxx.

RĂ©pondant Ă  ces prĂ©occupations, Rotor Maxx affirmait que les pièces en question n’Ă©taient pas critiques et que, quoi qu’il en soit, elle avait effectuĂ© une analyse matĂ©rielle et dimensionnelle appropriĂ©e et une comparaison avec une pièce authentique connue.

Transports Canada a malgré tout exigé que Rotor Maxx mette en œuvre un plan de mesures correctives pour répondre à ses préoccupations. Rotor Maxx en a proposé trois, qui ont tous été rejetés.

Par consĂ©quent, le 17 mars 2015, Transports Canada a informĂ© Rotor Maxx de son intention d’Ă©mettre une ASAC. Rotor Maxx a soutenu qu’une ASAC aurait de graves rĂ©percussions sur sa viabilitĂ© commerciale.

Le 24 mars 2015, Rotor Maxx a dĂ©posĂ© une demande de contrĂ´le judiciaire de l’ASAC.

Pour trancher l’affaire, la Cour fĂ©dĂ©rale a examinĂ© les deux questions suivantes :

  • Transports Canada a-t-il fait preuve d’Ă©quitĂ© procĂ©durale lorsqu’il a Ă©mis l’ASAC?
  • La dĂ©cision d’Ă©mettre l’ASAC Ă©tait-elle raisonnable en soi?

Première question : l’Ă©quitĂ© procĂ©durale

Après avoir examinĂ© les faits, la Cour a affirmĂ© qu’en l’espèce l’Ă©quitĂ© procĂ©durale exigerait

  • que soit donnĂ© avis Ă  Rotor Maxx au sujet de toutes les pièces testĂ©es,
  • que soient indiquĂ©es les raisons pour lesquelles Transports Canada estimait qu’il Ă©tait satisfait Ă  tous les critères pour l’Ă©mission d’une ASAC,
  • qu’il existe une possibilitĂ© de rĂ©pondre,
  • l’existence d’une procĂ©dure transparente de recertification des pièces.

En d’autres termes, l’Ă©quitĂ© procĂ©durale nĂ©cessitait l’absence d’une cible mouvante de ce qui Ă©tait nĂ©cessaire pour avoir un plan de mesures correctives pouvant ĂŞtre approuvĂ©, une explication sur la façon dont les critères d’ASAC Ă©taient respectĂ©s et une explication sur les autres options disponibles s’il n’Ă©tait pas satisfait aux critères.

Dans le cadre du contrĂ´le judiciaire demandĂ© Ă  la Cour fĂ©dĂ©rale, Rotor Maxx soutenait que l’historique de la procĂ©dure en l’espèce dĂ©montrait une dĂ©gradation de sa relation avec Transports Canada au point oĂą ses droits Ă  l’Ă©quitĂ© procĂ©durale avaient Ă©tĂ© bafouĂ©s.

Ainsi, Rotor Maxx soutenait qu’elle avait d’abord Ă©tĂ© informĂ©e que seulement trois pièces recertifiĂ©es non documentĂ©es Ă©taient contestĂ©es. Cependant, elle a ultĂ©rieurement appris (après avoir entamĂ© la procĂ©dure judiciaire) que la dĂ©cision d’Ă©mettre l’ASAC Ă©tait fondĂ©e sur 17 pièces recertifiĂ©es non documentĂ©es supplĂ©mentaires.

Cela a privĂ© Rotor Maxx de la possibilitĂ© de rĂ©pondre Ă  toutes les prĂ©occupations de Transports Canada, plus particulièrement Ă  l’Ă©gard des 17 autres pièces.

Rotor Maxx soutenait en outre que son droit Ă  l’Ă©quitĂ© procĂ©durale dans le contexte de l’Ă©mission de l’ASAC dĂ©coulait d’une lettre de politique Ă©mise par Transports Canada; document qui avait pour vocation de constituer un outil d’interprĂ©tation destinĂ© au personnel du ministère Ă  l’Ă©gard de certaines propositions de modifications du Règlement de l’aviation canadien pertinentes en l’espèce. Cependant, ces modifications ne sont jamais entrĂ©es en vigueur.

Il Ă©tait manifeste, Ă  la lecture d’une partie de la correspondance entre Transports Canada et Rotor Maxx, que l’organisme de rĂ©glementation effectuait son enquĂŞte sur Rotor Maxx comme si la lettre de politique Ă©tait applicable et les modifications du Règlement en vigueur. Dans d’autres Ă©changes, Transports Canada se comportait comme si la lettre de politique soit n’Ă©tait pas valide, soit n’existait pas.

Cela a crĂ©Ă© une situation ambiguĂ« pour Rotor Maxx, qui ne savait pas clairement avec quels protocoles elle devait se conformer lorsqu’elle recertifiait des pièces non documentĂ©es.

Ă€ ce titre, s’agissant de la seule Ă©quitĂ© procĂ©durale, la Cour fĂ©dĂ©rale a conclu que la dĂ©cision d’Ă©mettre l’ASAC devrait ĂŞtre annulĂ©e.

Deuxième question : caractère raisonnable de la décision

La Cour s’est ensuite penchĂ©e sur la question de savoir si la dĂ©cision de Transports Canada d’Ă©mettre l’ASAC Ă©tait raisonnable au fond. Elle avait au moins trois raisons sur lesquelles appuyer sa dĂ©cision finale selon laquelle ce n’Ă©tait pas le cas.

En premier lieu, Transports Canada soutenait que l’ASAC avait Ă©tĂ© Ă©mise dans l’urgence. Cependant, cela n’Ă©tait pas avĂ©rĂ© par les faits. L’enquĂŞte initiale rĂ©alisĂ©e par Transports Canada a durĂ© longtemps. Elle a ensuite Ă©tĂ© suivie de discussions entre Rotor Maxx (en prĂ©sence d’un consultant tiers) et Transports Canada concernant des plans de mesures correctives. Le processus de consultation de l’ASAC qui a suivi a durĂ© environ deux autres mois. Ces retards ont amenĂ© la Cour Ă  conclure que l’affirmation de Transports Canada quant Ă  l’urgence de la question Ă©tait « inintelligible et injustifiable ».

Ensuite, dans sa correspondance avec Rotor Maxx, Transports Canada allĂ©guait que Rotor Maxx avait continuĂ© Ă  recertifier des pièces non documentĂ©es pendant le processus de consultation de l’ASAC. Cependant, la preuve Ă©tablissait que Rotor Maxx avait volontairement interrompu la recertification de pièces longtemps avant la pĂ©riode au cours de laquelle il est allĂ©guĂ© qu’elle poursuivait cette activitĂ©.

Enfin, Transports Canada  affirmait que Rotor Maxx apposait des Ă©tiquettes sur les pièces certifiĂ©es non documentĂ©es indiquant qu’elles Ă©taient « neuves ». La Cour a Ă©galement conclu que ce n’Ă©tait pas le cas et que Transports Canada savait que cette allĂ©gation Ă©tait erronĂ©e avant de la faire.

Se fondant sur ces trois raisons, la Cour a affirmĂ© que l’Ă©mission de l’ASAC devait ĂŞtre annulĂ©e au motif du caractère dĂ©raisonnable de la dĂ©cision au fond.

L’ASAC a Ă©tĂ© annulĂ©e et la Cour en a ordonnĂ© la suppression de toute forme publiĂ©e. Transports Canada a Ă©tĂ© intimĂ© de payer les dĂ©pens.

Enseignements

L’Ă©mission et la contestation subsĂ©quente de l’ASAC se sont avĂ©rĂ©es ĂŞtre une Ă©preuve Ă  la fois longue et très onĂ©reuse du point de vue commercial pour Rotor Maxx.

Outre la publicitĂ© nĂ©gative liĂ©e Ă  l’ASAC, les coĂ»ts financiers Ă©taient très importants. MĂŞme si Rotor Maxx a reçu un peu plus de 100 000 $ au titre des frais de justice, les sommes rĂ©ellement dĂ©boursĂ©es Ă  ce titre s’Ă©levaient Ă  plusieurs fois ce montant.

Cette affaire démontre à quel point il peut être difficile, long et onéreux de régler des questions touchant à la réglementation.

Rotor Maxx Support Ltd. c. Canada (Transports), 2018 CF 97

Préparé par Carlos Martins, un associé fondateur du cabinet Bersenas Jacobsen Chouest Thomson Blackburn LLP