Résumé jurisprudentiel — Faire justice : maintien des garanties pour l’indépendance juridictionnelle

  • 28 août 2019
  • Jonathan M. Coady and Cullen Mullally

Dans l’arrêt Shuttleworth v. Ontario (Safety, Licensing Appeals and Standards Tribunals), 2019 ONCA 518 (disponible uniquement en anglais), la Cour d’appel de l’Ontario a réitéré que les processus d’examen par les pairs concernant les processus décisionnels administratifs doivent être accompagnés de solides protections afin de protéger l’indépendance.

Contexte

Madame Shuttleworth avait demandé une indemnisation suite à une grave blessure subie lors d’un accident de la circulation. Lorsque l’assureur a refusé de convenir que la blessure atteignait le seuil prescrit pour la déficience invalidante, Mme Shuttleworth a demandé une audience au Tribunal d’appel en matière de permis. Ce dernier a conclu que le seuil n’avait pas été atteint. L’avocat qui représentait Mme Shuttleworth a ultérieurement reçu une lettre anonyme indiquant que la décision rendue par le Tribunal d’appel en matière de permis avait fait l’objet d’un examen et avait été modifiée par la présidente exécutive des Tribunaux de la sécurité, des appels en matière de permis et des normes Ontario (TSAPNO). Madame Shuttleworth a demandé un contrôle judiciaire.

La Cour divisionnaire n’a pas conclu à l’existence d’une réelle irrégularité. Cependant, la décision rendue par le membre du Tribunal d’appel en matière de permis a  néanmoins été annulée. Elle n’était pas convaincue que le processus de prise de décision du Tribunal d’appel en matière de permis satisfaisait aux normes minimales veillant à garantir tant l’existence que l’apparence de l’indépendance juridictionnelle. La Cour d’appel était d’accord avec cette conclusion.

Décision

Dans une trilogie d’arrêts antérieurs1, la Cour suprême du Canada a énoncé les paramètres généraux de la consultation institutionnelle. La consultation concernant une décision administrative ne crée aucune apparence de réduction de l’indépendance lorsque toutes les règles suivantes sont appliquées.

  • La consultation ne peut être imposée par une autorité supérieure au sein de la hiérarchie administrative et doit être volontaire de la part du membre du tribunal qui a rendu la décision.
  • La consultation doit être limitée aux questions de droit ou de politique.
  • Même lorsque la question est une question de droit ou de politique, le membre du tribunal doit demeurer libre de prendre sa propre décision2.

Après avoir examiné ces paramètres, la Cour d’appel a conclu qu’il apparaissait de manière raisonnable que le Tribunal d’appel en matière de permis manquait d’indépendance lorsqu’il a rendu la décision visée par le contrôle. Elle a souligné trois préoccupations principales.

  • Tout d’abord, le membre du Tribunal d’appel en matière de permis devait soumettre la décision au processus d’examen. Le service du contentieux, dans le cadre de ses activités générales, envoyait les décisions à la présidente exécutive des TSAPNO en vue d’un examen sans que les membres du Tribunal ne le sachent ou ne l’autorisent3. En fournissant des commentaires sur la décision sans avoir obtenu l’autorisation du membre du Tribunal d’appel en matière de permis, la présidente exécutive avait imposé le processus d’examen.
  • Ensuite, la présidente exécutive des TSAPNO a exercé son pouvoir sur le membre du Tribunal d’appel en matière de permis. Pour être nommé de nouveau, un membre devait obtenir une recommandation de la présidente exécutive. Ce pouvoir en matière de nouvelle nomination faisait courir un risque potentiel à l’indépendance des membres du Tribunal d’appel en matière de permis4.
  • Enfin, le processus d’examen manquait de garanties procédurales. Il n’existait aucune politique écrite pour protéger le droit d’un membre du Tribunal de refuser un examen. Tout comme il n’existait aucune reconnaissance du fait que le processus d’examen était volontaire. En outre, on s’attendait de manière générale à ce que les décisions du Tribunal d’appel en matière de permis soient examinées par la présidente exécutive des TSAPNO, une autorité supérieure5.

Enseignements

En appliquant les règles établies par la Cour suprême du Canada dans sa trilogie d’arrêts au sujet de la consultation institutionnelle, la Cour d’appel de l’Ontario a rappelé aux décideurs que même si la consultation aide à garantir des résultats homogènes dans le système de justice administrative, tout processus d’examen doit être accompagné de garanties à la fois claires et solides pour veiller au respect de l’indépendance juridictionnelle. Les garanties sont nécessaires pour garantir l’existence, et l’apparence, de l’indépendance aux yeux de toutes les personnes touchées par la décision. Après tout, pour de nombreux Canadiens et Canadiennes, la justice se résume à un décideur administratif.

Jonathan Coady est associé et Cullen Mullally est stagiaire d’été dans le cabinet Stewart McKelvey.

 

1 Consulter Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, Québec (Commission des affaires sociales) c. Tremblay, [1992] 1 RCS 952, et Sitba c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 RCS 282.

2 2019 ONCA 518, au paragraphe 15.

3 2019 ONCA 518, au par. 49.

4 2019 ONCA 518, aux paragraphes 51 et 52.

5 2019 ONCA 518, au par. 53.