La décision d’une organisation religieuse n’est pas assujettie au contrôle judiciaire

  • 27 novembre 2018
  • Christopher Wirth et Alana Spira

Dans l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, la Cour suprême du Canada a clarifié très utilement le fait que pour qu’une décision soit assujettie au contrôle judiciaire, il doit s’agir d’une décision publique émanant d’un acteur étatique. Ce faisant, elle a confirmé qu’une décision portant excommunication rendue par le comité de discipline de la Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

Contexte

M. Wall était membre de la congrégation Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses, une association religieuse volontaire sans personnalité morale. M. Wall, qui avait été excommunié par le comité de discipline pour conduite pécheresse et un degré de repentir insuffisant, a déposé une demande de contrôle judiciaire de ladite décision au motif que le comité de discipline de la congrégation avait violé les principes de justice naturelle et l’obligation d’équité et que la décision avait nui à ses activités professionnelles.

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et la Cour d’appel de l’Alberta se sont toutes deux reconnues compétentes pour trancher l’affaire et ont toutes deux fondé leur analyse sur leur capacité à intervenir à l’égard d’organisations auxquelles l’adhésion est volontaire lorsque des droits de propriété ou des droits civils sont en jeu. La Cour d’appel a ajouté qu’elle peut intervenir, même si ces droits ne sont pas en jeu, lorsque toutes les avenues disponibles pour le règlement du différend ont été épuisées.

Arrêt de la CSC

La CSC a conclu à l’absence de fondement pour l’intervention, par les tribunaux, dans la décision du comité de discipline de la congrégation étant donné qu’il s’agit d’une entité privée qui n’est pas assujettie au contrôle judiciaire.

La Cour a souligné l’objet du contrôle judiciaire, qui est de veiller à la légalité de la prise de décision par des instances étatiques. Elle a énoncé les deux exigences qui doivent être satisfaites pour qu’il puisse avoir lieu : (1) l’exercice d’un pouvoir étatique et (2) une décision suffisamment publique. La Cour a indiqué que les décisions privées d’une entité publique ne sont pas assujetties au contrôle judiciaire, ni ne le sont les décisions publiques prises par des entités privées.

La Cour a clarifié un courant de jurisprudence établi par l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Setia v. Appleby College, 2013 ONCA 753 (disponible uniquement en anglais) et a mis l’accent sur le fait qu’il existe une distinction importante entre le terme « public (ou publique) » utilisé dans son sens général et ce même terme utilisé dans un contexte de droit public, et que ce dernier seulement peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Une décision sera considérée comme étant de nature publique « lorsqu’elle porte sur des questions relatives à la primauté du droit et aux limites de l’exercice par un décideur administratif de ses pouvoirs ». La Cour a mis l’accent sur le fait qu’une question n’est pas publique au sens du droit administratif du seul fait qu’elle a des effets sur le grand public.

Appliquant ce principe, la Cour a conclu que la congrégation est un acteur privé qui n’exerçait aucun pouvoir étatique et que, par conséquent, sa décision n’était pas passible de contrôle judiciaire.

La Cour a en outre affirmé qu’il n’existe aucun droit autonome à l’équité procédurale, mais bien plutôt que ce droit doit d’abord trouver son fondement dans un droit légal que la partie cherche à faire valoir. Elle a en outre relevé une distinction entre l’espèce et l’affaire Lakeside Colony of Hutterian Bretheren c. Hofer, 1992 CanLII 37, et clarifié que ce dont un tribunal a besoin pour intervenir ne se résume pas à un enjeu revêtant une importance suffisante, mais bien un droit légal dont l’importance est suffisante.

En l’espèce, le juge du fond avait conclu à l’absence de relation contractuelle puisqu’il n’existait aucun statut, règlement administratif ou règle permettant de faire appliquer une entente. La simple adhésion à une organisation religieuse ne suffisait pas.

La Cour a en outre affirmé que même si la décision en litige avait nui aux affaires de M. Wall, il n’avait aucun droit légal à l’égard de ces intérêts commerciaux et n’avait pas établi l’existence d’un droit légal justifiant l’application du principe d’équité procédurale.

Enfin, obiter dictum, la Cour a brièvement commenté la justiciabilité, soit la capacité institutionnelle d’un tribunal et sa légitimité nécessaires pour trancher une question.

La Cour a souligné qu’elle ne devrait pas trancher de questions connexes au dogme religieux ou aux mérites de principes religieux. Les règles de procédure fondées sur une interprétation de la Bible ne sont pas justiciables et bien que les deux parties aient tenté de se prévaloir de la protection de la Charte, cette dernière ne s’applique pas puisqu’il s’agit d’un litige privé et qu’aucune mesure étatique n’est remise en question. Les groupes religieux sont libres de choisir leurs propres adhérents et les tribunaux n’interviendront qu’en cas de litige sous-jacent de nature légale.

Enseignements

Cet arrêt clarifie de façon utile les paramètres de la disponibilité du recours au contrôle judiciaire et le fait qu’un acte public posé par des acteurs étatiques doit être impliqué. Il clarifie en outre le fait que l’équité procédurale doit être fondée sur un droit légal et que certaines questions ne sont pas justiciables. Cet arrêt constitue une clarification bienvenue du droit du contrôle judiciaire et l’on peut espérer qu’il conduira à une plus grande uniformité à l’avenir.

Christopher Wirth est associé et Alana Spira est stagiaire dans le cabinet Keel Cottrelle LLP