EnquĂȘtes se dĂ©roulant dans plusieurs territoires de compĂ©tence

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Introduction

Lorsqu’une enquĂȘte interne se dĂ©roule dans plusieurs pays ou territoires, cela crĂ©e des dĂ©fis additionnels pour les conseillers juridiques. Le prĂ©sent chapitre abordera les dĂ©fis suivants :

  • Le privilĂšge;
  • Le travail avec une Ă©quipe juridique internationale;
  • Traiter avec des organismes chargĂ©s d’appliquer la loi dans plusieurs territoires de compĂ©tence;
  • Les dĂ©fis liĂ©s Ă  la culture et Ă  la langue.

Le privilĂšge

PrĂ©server le caractĂšre privilĂ©giĂ© de l’enquĂȘte dans toute la mesure possible est un dĂ©fi, mais cela est essentiel. DiffĂ©rents pays offrent diffĂ©rents degrĂ©s de reconnaissance et de protection du secret professionnel de l’avocat. Si le Canada et les États‑Unis confĂšrent une vaste protection aux communications entre le juriste et ses clients, ainsi qu’au produit du travail des juristes, d’autres États offrent beaucoup moins de protection.

Bien que le prĂ©sent guide ne prĂ©tende pas traiter de façon exhaustive du privilĂšge accordĂ© dans d’autres États, les exemples ci‑dessous illustrent bien les difficultĂ©s auxquelles sont confrontĂ©s les juristes.

Canada : MĂȘme au Canada, il n’existe aucune garantie comme quoi tous les aspects d’une enquĂȘte seront protĂ©gĂ©s par le secret professionnel. À titre d’exemple, dans l’affaire R v. Dunn, 2012 ONSC 2748, le ministĂšre public demandait que soient produites les notes d’entrevue d’avocats relatives Ă  des entretiens de cadres par leur employeur. MĂȘme si, dans cette affaire, la Cour n’a pas ordonnĂ© la production des notes, elle a ordonnĂ© aux avocats de se rafraĂźchir la mĂ©moire en relisant leurs notes et ceux-ci Ă©taient des tĂ©moins contraignables.

Europe : L’Union europĂ©enne limite l’application du secret professionnel de l’avocat aux communications avec des conseillers juridiques externes habilitĂ©s Ă  exercer le droit dans un pays de l’UE ou de l’Espace Ă©conomique europĂ©en qui sont Ă©laborĂ©es dans le but de faire valoir les droits Ă  la dĂ©fense d’un client.

Les notes internes du client seront Ă©galement privilĂ©giĂ©es si elles ne font que faire Ă©tat du contenu d’une communication avec un juriste qui est protĂ©gĂ©e par le secret professionnel de l’avocat. Les communications avec l’Ă©quipe de juristes internes et avec des juristes qui ne sont pas de l’UE/EEE ne sont pas privilĂ©giĂ©es, pas plus que les communications qui offrent des conseils juridiques de nature gĂ©nĂ©rale. En plus de l’application du privilĂšge au niveau de l’UE, les États membres de l’UE peuvent appliquer des rĂšgles diffĂ©rentes aux enquĂȘtes qui se dĂ©roulent en application de leurs lois nationales.

Ressources clĂ©s pour l’Europe

Asie : La protection accordĂ©e aux communications avec les conseillers juridiques est gĂ©nĂ©ralement moindre dans les États asiatiques. Par exemple, alors que le Japon protĂšge les communications avec les conseillers juridiques qui ont lieu dans les procĂ©dures civiles et pĂ©nales, le secret professionnel n’est pas officiellement reconnu dans des dossiers administratifs ou rĂ©glementaires comme les enquĂȘtes en droit de la concurrence (voir Matsuda and Ikeda, ICLG Corporate Investigations). Le Japon a rĂ©cemment introduit des rĂšgles qui viennent protĂ©ger certaines communications avec des avocats dans le cadre d’enquĂȘtes sur les cartels et le truquage d’offres.

La CorĂ©e du Sud et la Chine ne reconnaissent pas du tout le caractĂšre privilĂ©giĂ© des conseils juridiques, bien qu’ils accordent certaines protections limitĂ©es aux communications avec les avocats.

Pour obtenir de plus amples renseignements sur la CorĂ©e du Sud, veuillez consulter ces deux articles en anglais : New Korean Supreme Court case finds that broad attorney-client privilege does not exist in Korea (La Cour suprĂȘme de la CorĂ©e du Sud conclut que le secret professionnel de l’avocat n’existe pas en CorĂ©e) et Attorney-Client Privilege in Korea – Principle versus Practice (Le secret professionnel de l’avocat en CorĂ©e – le principe par rapport Ă  la pratique).

Les lignes directrices suivantes peuvent aider Ă  maintenir le privilĂšge dans les enquĂȘtes se dĂ©roulant dans plusieurs États :

  • Retenir les services de conseillers juridiques locaux dans chacun des États visĂ©s par l’enquĂȘte. Obtenir leur avis sur l’Ă©tendue du privilĂšge et les meilleures façons de garantir que l’enquĂȘte demeure privilĂ©giĂ©e.
  • Les conseillers juridiques externes devraient intervenir dans tous les aspects de l’enquĂȘte.
  • Le mandat des conseillers juridiques externes devrait clarifier que leurs services sont retenus non seulement pour enquĂȘter et prĂ©senter des conclusions, mais aussi pour offrir des conseils juridiques en fonction de l’enquĂȘte. Le mandat devrait Ă©galement prĂ©ciser que le recours aux tribunaux est envisagĂ©.
  • Les services d’experts devraient ĂȘtre retenus par l’intermĂ©diaire des conseillers juridiques externes, pour faire rapport Ă  ces derniers.
  • Tous les documents prĂ©parĂ©s dans le cadre de l’enquĂȘte devraient ĂȘtre dĂ©signĂ©s comme privilĂ©giĂ©s et une copie devrait ĂȘtre envoyĂ©e aux conseillers juridiques externes chaque fois que ces documents sont distribuĂ©s.
  • La distribution de documents relatifs Ă  l’enquĂȘte au sein de la sociĂ©tĂ© devrait se limiter au minimum nĂ©cessaire.
  • On devrait Ă©viter de crĂ©er des documents qui pourraient devoir ĂȘtre produits, que ce soit devant les tribunaux de l’État oĂč ils sont crĂ©Ă©s ou ceux d’un autre État. Par exemple, dans la mesure du possible, les communications avec les organismes chargĂ©s d’appliquer la loi qui contiennent des renseignements de fond devraient ĂȘtre orales.
  • Pensez-y deux fois avant d’enregistrer ou de transcrire les entrevues avec des tĂ©moins. Bien que les enregistrements et transcriptions offrent un meilleur compte-rendu de l’entrevue que les notes des conseillers juridiques, ils pourraient ne pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme privilĂ©giĂ©s.

Travailler avec une Ă©quipe juridique internationale

Voici des pratiques exemplaires en matiĂšre de collaboration avec une Ă©quipe juridique internationale :

  • Retenez les services de conseillers juridiques externes qui possĂšdent de l’expĂ©rience dans chacun des territoires. Les conseillers juridiques externes du cabinet avec lequel le client travaille habituellement peuvent ĂȘtre appropriĂ©s s’il n’existe aucun conflit d’intĂ©rĂȘts ni prĂ©occupation quant Ă  la relation entre le cabinet et les personnes qui font l’objet de l’enquĂȘte et aucune prĂ©occupation quant aux conseils qui ont Ă©tĂ© donnĂ©s au client par ces conseillers juridiques dans le passĂ©.
  • Nommez une personne Ă  la tĂȘte du groupe. Cette personne proviendra gĂ©nĂ©ralement du territoire oĂč se situe le siĂšge social du client ou du territoire qui est le plus pertinent pour l’enquĂȘte. La personne Ă  la tĂȘte de l’Ă©quipe juridique devrait relever du chef du contentieux, du conseil d’administration ou du comitĂ© indĂ©pendant du client, selon le cas (et obtenir ses instructions auprĂšs de lui Ă©galement).
  • DĂ©terminez si les conseillers juridiques externes dans chaque territoire devraient relever de l’Ă©quipe de juristes internes de ce territoire (et obtenir leurs instructions auprĂšs d’elle Ă©galement). Il est important d’Ă©viter toute confusion quant aux personnes responsables de fournir des instructions aux conseillers juridiques dans un territoire donnĂ©. Cela signifie que le client doit dĂ©terminer la façon dont ses Ă©quipes de juristes internes collaboreront dans le cadre de l’enquĂȘte. Une façon d’Ă©viter les problĂšmes est de centraliser les processus pour faire rapport et fournir des instructions, mais cela n’est pas toujours possible.
  • Prenez en compte qui mĂšnera les entrevues de tĂ©moins et qui y participera. Les conseillers juridiques de chaque territoire voudront probablement assister Ă  toutes les entrevues, mais la prĂ©sence de plus de deux ou trois d’entre eux pourra rĂ©duire l’efficacitĂ© d’une entrevue.
  • Les Ă©quipes juridiques internationales devraient se rencontrer rĂ©guliĂšrement pour garder tout le monde Ă  jour.

Traiter avec des organismes chargĂ©s d’appliquer la loi dans plusieurs territoires de compĂ©tence

Une enquĂȘte qui s’Ă©tend dans plusieurs pays peut Ă©galement entraĂźner la participation de diffĂ©rents organismes qui sont chargĂ©s d’y appliquer la loi. La personne Ă  la tĂȘte de l’enquĂȘte devrait obtenir l’avis de juristes locaux sur l’organisme d’application de la loi Ă©tranger, ainsi que sur les questions suivantes :

  • Quelles lois sont appliquĂ©es par cet organisme? Quelle est la nature de ces lois (pĂ©nales ou civiles)?
  • Quelles sont les sanctions possibles?
  • Les employĂ©s peuvent-ils faire l’objet de sanctions?
  • L’organisme offre-t-il des programmes d’immunitĂ©, d’amnistie, de clĂ©mence et de dĂ©nonciateurs?
  • Quels sont les outils d’enquĂȘte de l’organisme chargĂ© d’appliquer la loi (raids Ă©clairs, citations Ă  comparaĂźtre ou assignations Ă  produire des documents, Ă©coute Ă©lectronique, perquisition d’ordinateurs, etc.)?
  • Quels sont les droits du client dans ses rapports avec l’organisme?
  • Comment l’organisme s’y prend-il gĂ©nĂ©ralement pour mener ses enquĂȘtes?
  • L’enquĂȘte est-elle confidentielle?
  • Est-ce que l’organisme coopĂšre ou Ă©change des renseignements avec d’autres organismes nationaux ou internationaux? Quels mĂ©canismes, prĂ©vus par la loi ou autres, utilise-t-il pour ce faire?
  • Quelles rĂšgles encadrant le secret professionnel sont appliquĂ©es par l’organisme?
  • Quel sera le processus dĂ©cisionnel aprĂšs l’enquĂȘte? Quels sont les droits du client relativement Ă  la procĂ©dure dans le cadre de ce processus?

Défis liés à la culture et à la langue

Une enquĂȘte se dĂ©roulant dans plusieurs pays peut signifier de devoir composer avec diffĂ©rentes cultures et diffĂ©rentes langues. Ces diffĂ©rences peuvent se manifester de diverses façons. Elles peuvent par exemple avoir une incidence sur la volontĂ© d’un tĂ©moin d’offrir de l’information ou nous faire revisiter nos façons « occidentales » d’apprĂ©cier la crĂ©dibilitĂ© d’un tĂ©moin.

Les diffĂ©rences culturelles peuvent Ă©galement se manifester dans les documents examinĂ©s au cours de l’enquĂȘte – l’aspect le plus Ă©vident Ă©tant le besoin Ă©ventuel de traduction. Or, les diffĂ©rences peuvent se situer bien au-delĂ  de la langue, puisque les personnes issues de diffĂ©rentes cultures peuvent s’exprimer diffĂ©remment, et ce mĂȘme si elles parlent la mĂȘme langue que nous. Des diffĂ©rences culturelles peuvent Ă©galement exister entre diffĂ©rents secteurs, diffĂ©rentes professions et diffĂ©rentes organisations. Ces diffĂ©rences peuvent en outre avoir une incidence sur les rapports avec les organismes chargĂ©s d’appliquer la loi.

Pour gĂ©rer ces diffĂ©rences, il pourrait ĂȘtre nĂ©cessaire de recourir Ă  diffĂ©rentes techniques d’entrevue et d’enquĂȘte. La façon la plus Ă©vidente de bien gĂ©rer ces diffĂ©rences est de s’assurer que l’Ă©quipe d’enquĂȘte compte parmi ses membres des personnes qui sont familiĂšres avec ces diffĂ©rentes cultures et langues. Les conseillers juridiques devraient ĂȘtre sensibles aux diffĂ©rences et dĂ©velopper au moins une certaine familiaritĂ© avec les nuances culturelles et linguistiques pertinentes.