IntĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant

UN CONCEPT TRIPLE 

C’est un droit de fond : Il s’agit d’une considĂ©ration primordiale dans les instances concernant l’enfant en raison de sa dĂ©pendance, de son degrĂ© de maturitĂ©, de son statut juridique et, souvent, de l’impossibilitĂ© de faire entendre sa voix.

C’est un principe interprĂ©tatif : Si une disposition juridique se prĂȘte Ă  plusieurs interprĂ©tations, on doit choisir celle qui sert le plus efficacement l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant.

C’est une rĂšgle de procĂ©dure : Le principe s’applique Ă  la reprĂ©sentation juridique, Ă  la cĂ©lĂ©ritĂ© des dĂ©cisions, aux motifs des dĂ©cisions, Ă  la pondĂ©ration des divers facteurs et Ă  la prise en considĂ©ration de l’opinion de l’enfant.

(Observation gĂ©nĂ©rale no 14 [OG no 14] sur la

Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies (« la Convention »), par. 6)

Les enfants ont moins de possibilitĂ©s que les adultes de dĂ©fendre vigoureusement leurs propres intĂ©rĂȘts et les personnes qui sont associĂ©es aux dĂ©cisions concernant les enfants doivent connaĂźtre prĂ©cisĂ©ment les intĂ©rĂȘts de ces derniers. Si l’accent n’est pas mis sur les intĂ©rĂȘts des enfants, ces intĂ©rĂȘts tendent Ă  ĂȘtre nĂ©gligĂ©s (OG no 14, par. 37).

Le paragraphe 3(1) de la Convention prĂ©voit : « Dans toutes les dĂ©cisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privĂ©es de protection sociale, des tribunaux, des autoritĂ©s administratives ou des organes lĂ©gislatifs, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant doit ĂȘtre une considĂ©ration primordiale. »

L’« intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant » est un droit de fond ainsi qu’un principe directeur qui s’Ă©tend Ă  tous les droits Ă©noncĂ©s dans la Convention, qui vise un dĂ©veloppement holistique de l’enfant et qui nĂ©cessite l’adoption d’une approche fondĂ©e sur les droits favorisant la dignitĂ© humaine de l’enfant : le jugement des adultes ne doit pas primer l’obligation de respecter les droits de l’enfant (OG no 14, par. 4 et 5). Puisqu’il s’agit d’une considĂ©ration primordiale, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant ne se situe pas au mĂȘme niveau que les autres considĂ©rations dans les affaires concernant un enfant et il peut permettre de rĂ©soudre des conflits entre les diverses dispositions de la Convention et/ou d’autres droits de la personne (OG no 14, al. 6a) et par. 37).

L’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant doit ĂȘtre dĂ©terminĂ© au cas par cas, en tenant compte du contexte personnel, de la situation et des besoins de l’enfant concernĂ©. Bien que le concept soit souple et adaptable, il ne doit pas ĂȘtre manipulĂ© et il doit respecter les autres droits de l’enfant (OG no 14, par. 32 et 33).

Dans le cas des dĂ©cisions ayant des applications collectives, telles que celles prises par les lĂ©gislateurs, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant peut ĂȘtre Ă©valuĂ© et dĂ©terminĂ© au vu de la situation du groupe concernĂ© ou des enfants en gĂ©nĂ©ral.

L’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant est un concept triple sous le rĂ©gime de la Convention. PremiĂšrement, il s’agit d’un droit juridique de fond, comme cela a Ă©tĂ© dĂ©crit ci-dessus. DeuxiĂšmement, c’est un principe juridique interprĂ©tatif fondamental : les interprĂ©tations conflictuelles doivent ĂȘtre rĂ©solues par le choix de l’interprĂ©tation qui sert le plus efficacement cet intĂ©rĂȘt supĂ©rieur (OG no 14, al. 6b). TroisiĂšmement, c’est une rĂšgle de procĂ©dure (OG no 14, al. 6b), qui comporte trois dimensions : la reprĂ©sentation juridique, la cĂ©lĂ©ritĂ© des dĂ©cisions et le raisonnement juridique :

  • L’enfant a besoin d’une reprĂ©sentation juridique quand son intĂ©rĂȘt supĂ©rieur doit ĂȘtre officiellement Ă©valuĂ© et dĂ©terminĂ© par un tribunal ou un organe Ă©quivalent (OG no 14, par. 96).
  • Les dĂ©cisions doivent ĂȘtre rendues rapidement, car les retards dans le processus ou une durĂ©e excessive de celui-ci peuvent ĂȘtre particuliĂšrement prĂ©judiciables aux enfants, qui sont en constante Ă©volution (OG no 14, par. 93).
  • Les dĂ©cisions concernant un ou des enfants doivent ĂȘtre motivĂ©es, justifiĂ©es et expliquĂ©es; si une dĂ©cision ne va pas dans le sens de l’opinion exprimĂ©e par l’enfant, il faut en indiquer clairement la raison, en dĂ©montrant comment l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant a Ă©tĂ© une considĂ©ration primordiale et en expliquant les raisons pour lesquelles les autres considĂ©rations ont eu plus de poids que cette opinion en l’occurrence (GOG no 14, par. 97).

L’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant est directement (inextricablement) liĂ© aux droits de participation de l’enfant Ă©noncĂ©s Ă  l’article 12 de la Convention, qui sont examinĂ©s plus loin Ă  la section « Participation de l’enfant ». L’article 12 et le paragraphe 3(1) ont des rĂŽles complĂ©mentaires : le premier Ă©tablit comme objectif le respect de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant et le deuxiĂšme dĂ©finit les moyens Ă  mettre en Ɠuvre pour entendre l’opinion de l’enfant et la prendre en considĂ©ration dans toute affaire qui le concerne, y compris pour l’Ă©valuation de son intĂ©rĂȘt supĂ©rieur (OG no 14, par. 43).

Les tribunaux, les autoritĂ©s administratives de tous les Ă©chelons, les organes lĂ©gislatifs et les entitĂ©s privĂ©es et publiques qui fournissent des services sociaux aux enfants doivent tenir compte de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur des enfants dans toutes les dĂ©cisions et actions concernant ceux-ci. Ces dĂ©cisions et actions comprennent les actes, conduites, propositions, services, procĂ©dures, dĂ©cisions, inactions ou omissions, ainsi que les autres mesures qui concernent les enfants, directement ou indirectement.

Droit international

  • Paragraphe 3(1) de la ConventionDans toutes les dĂ©cisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privĂ©es de protection sociale, des tribunaux, des autoritĂ©s administratives ou des organes lĂ©gislatifs, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant doit ĂȘtre une considĂ©ration primordiale. 

Sources d’interprĂ©tation

Droit canadien

Lois fédérales

Voici des exemples de mentions expresses de l’intĂ©rĂȘt, ou de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur, de l’enfant dans les lois fĂ©dĂ©rales :

Lois provinciales et territoriales

  • L’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant est inclus dans de multiples lois provinciales ou territoriales telles que celles qui concernent la famille et la protection de l’enfant. Par exemple, aux termes de l’article 8 de la Loi de 1997 sur le droit de l’enfance (Saskatchewan : L.S. 1997, ch. C-8.2), lorsque le tribunal rend une dĂ©cision concernant une ordonnance relative Ă  la garde d’un enfant, il n’a Ă©gard qu’Ă  l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant.

Jurisprudence

  • Young c. Young, 1993 CanLII 34 (CSC), [1993] A.C.S. no 112 (Q.L.) : Au paragraphe 102, la juge L’Heureux-DubĂ© affirme que l’analyse de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant est centrĂ©e sur ce dernier, que cet intĂ©rĂȘt supĂ©rieur « est le droit positif [de l’enfant] de bĂ©nĂ©ficier des meilleures dispositions possibles compte tenu de la situation des parties » et non pas simplement le droit d’ĂȘtre Ă  l’abri d’un prĂ©judice, bien que la prĂ©sence ou l’absence d’un prĂ©judice puisse ĂȘtre un facteur important. Le critĂšre est contextuel, il est axĂ© sur l’avenir et il englobe une myriade de considĂ©rations. Il est orientĂ© vers les personnes et non pas vers les actes et il exige une apprĂ©ciation de « l’ensemble de la personne perçue comme un ĂȘtre social » (au par. 71).
  • Gordon c. Goertz, 1996 CanLII 191 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 27 : Le critĂšre de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant n’est pas prĂ©cis; il dĂ©pend du contexte de l’enfant et « [un] critĂšre davantage prĂ©cis risquerait de sacrifier l’intĂ©rĂȘt de l’enfant au profit de l’opportunisme et de la certitude ». La juge L’Heureux-DubĂ© rappelle « certaines prĂ©misses fondamentales » non controversĂ©es comme point de dĂ©part de son analyse du critĂšre Ă  appliquer pour la dĂ©termination de la garde et des droits de visite en vertu de la Loi sur le divorce, notamment : c’est un droit qui appartient aux enfants que les dĂ©cisions en matiĂšre de garde et d’accĂšs en vertu de la Loi doivent ĂȘtre prises dans leur intĂ©rĂȘt (par. 16(8) et 17(5); Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; (1993) A.C.S. no 112 (CSC), Ă  la p. 63 (la juge L’Heureux-DubĂ©) et Ă  la p. 117 (la juge McLachlin)); de plus, c’est du point de vue de l’enfant et non de celui de l’un de ses parents que l’on doit dĂ©terminer ce qui est dans son intĂ©rĂȘt (J. D. Payne, Payne on Divorce (3e Ă©d., 1993), Ă  la p. 279; Young, prĂ©citĂ©, Ă  la p. 63 (la juge L’Heureux-DubĂ©.))
  • Baker c. Canada (Ministre de la CitoyennetĂ© et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817 : L’arrĂȘt Ă©tablit qu’une dĂ©cision d’immigration concernant des motifs d’ordre humanitaire est dĂ©raisonnable si l’analyse de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur des enfants est dĂ©ficiente, et qu’un agent qui Ă©value une demande d’ordre humanitaire doit ĂȘtre « rĂ©ceptif, attentif et sensible » Ă  cet intĂ©rĂȘt (au par. 75).
  • Kanthasamy c. Canada (CitoyennetĂ© et Immigration), [2015] A.C.S. no 61, 2015 CSC 61 : L’arrĂȘt comprend un examen dĂ©taillĂ© des facteurs Ă  prendre en considĂ©ration lors de l’analyse de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur dans le cas d’une demande de rĂ©sidence permanente faite pour des motifs d’ordre humanitaire. La Loi sur l’immigration et la protection des rĂ©fugiĂ©s prescrit qu’il faut tenir compte de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant directement touchĂ©, ce qui s’entend « notamment des droits, des besoins et des intĂ©rĂȘts supĂ©rieurs des enfants, du maintien des liens entre les membres d’une famille et du fait d’Ă©viter de renvoyer des gens Ă  des endroits oĂč ils n’ont plus d’attaches (par. 41) ». L’application du principe de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur « dĂ©pend fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle Ă  l’intĂ©rĂȘt de l’enfant ». Cette application doit donc tenir compte de l’Ăąge de l’enfant, de ses capacitĂ©s, de ses besoins et de son degrĂ© de maturitĂ©. La protection des enfants par l’application de ce principe fait l’objet d’une reconnaissance gĂ©nĂ©rale; les instruments internationaux portant sur les droits de la personne (dont la Convention) que le Canada a signĂ©s soulignent l’importance du principe. Les dĂ©cideurs ne peuvent pas simplement se contenter de mentionner qu’ils prennent cet intĂ©rĂȘt en compte. L’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant doit ĂȘtre bien identifiĂ©, dĂ©fini et examinĂ© avec beaucoup d’attention eu Ă©gard Ă  l’ensemble de la preuve. Lorsque la loi exige expressĂ©ment la prise en compte de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant directement touchĂ©, cet intĂ©rĂȘt constitue « une considĂ©ration singuliĂšrement importante dans l’analyse » (par. 34 Ă  40).
  • Hawthorne c. Canada (Ministre de la CitoyennetĂ© et de l’Immigration), 2002 CAF 475 (CanLII), [2003] 2 RCF 555 : L’affaire concernait un cas d’immigration et l’application du critĂšre de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant Ă  une demande prĂ©sentĂ©e au Canada mĂȘme; la Cour affirme que l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant doit toujours ĂȘtre dĂ©terminĂ© dans le cas des demandes faites pour des motifs d’ordre humanitaire, en particulier lorsque de telles demandes sont prĂ©sentĂ©es sur le territoire mĂȘme du Canada.
  • Legault c. Canada (Ministre de la CitoyennetĂ© et de l’Immigration), [2002] 4 RCF 358, 2002 CAF 125 (CanLII) : Affaire relative Ă  un cas d’immigration. Pour que l’analyse de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant soit complĂšte, cet intĂ©rĂȘt doit ĂȘtre « bien identifiĂ© et dĂ©fini ».
  • Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral), [2004] 1 R.C.S. 76 : Bien qu’il constitue un principe juridique important et un Ă©lĂ©ment Ă  prendre en compte dans de nombreux contextes, l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant n’est ni primordial ni fondamental dans la notion de justice de notre sociĂ©tĂ© et ce n’est donc pas un principe de justice fondamentale.
  • A.C. c. Manitoba (Directeur des services Ă  l’enfant et Ă  la famille), [2009] 2 R.C.S. 181 : Le concept de l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant Ă©noncĂ© dans la Convention est robuste et conforme aux normes.
  • A.M.R.I. v. K.E.R., 2011 ONCA 417 : Affaire relative Ă  la Convention de La Haye concernant un enfant dont il a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ© qu’il Ă©tait un rĂ©fugiĂ© au sens de cette Convention. La Cour conclut que le poids Ă  accorder Ă  l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant aux termes du paragraphe 3(1) de la Convention relative aux droits de l’enfant Ă©taye solidement la conclusion qu’un juge saisi d’une demande sous le rĂ©gime de la Convention de La Haye doit traiter le statut de rĂ©fugiĂ© de l’enfant comme donnant naissance Ă  une prĂ©somption rĂ©futable de risque de persĂ©cution dans l’Ă©ventualitĂ© oĂč l’enfant serait forcĂ© de retourner dans son pays d’origine.
  • Report by a Nova Scotia Review Officer (FI-08-107), 14  juillet 2010 : DĂ©cision administrative portant sur la question de savoir si le ministĂšre des Services communautaires avait refusĂ© Ă  juste titre de communiquer une partie du dossier, en application de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de la Nouvelle-Écosse, Ă  un adulte qui avait antĂ©rieurement Ă©tĂ© placĂ© en famille d’accueil. L’agent a conclu que l’information devrait ĂȘtre communiquĂ©e en totalitĂ© parce que les enfants ont droit Ă  l’information en vertu de la Convention et que le principe clĂ© de l’application des lois sur la protection de l’enfance est l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant, intĂ©rĂȘt qui est, le plus souvent, mieux servi par l’accĂšs Ă  l’information sur les antĂ©cĂ©dents familiaux complets. 

Compétence parens patriÊ

En cas de lacune dans le droit relatif aux enfants, il est possible de demander Ă  une cour supĂ©rieure d’exercer sa compĂ©tence parens patriĂŠ dans l’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l’enfant.

  • E.(Mme) c. Eve, 1986 CanLII 36 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 388 : La compĂ©tence parens patriĂŠ du tribunal est large, mais l’exercice du pouvoir discrĂ©tionnaire connexe n’est pas illimitĂ©. Ce pouvoir doit ĂȘtre exercĂ© pour faire ce qui est nĂ©cessaire Ă  l’avantage de la personne qui a besoin de protection. 

Ressources