Sanctions pénales pour les entreprises

Il n’existe pas de norme internationale obligatoire de responsabilitĂ© des entreprises pour les violations de droits de la personne. Toutefois, les ressorts qui reconnaissent la responsabilitĂ© criminelle des entreprises pourraient engager des poursuites de responsabilitĂ© criminelle au niveau national. Comme on le verra ci-après, le cas de Lafarge en France Ă©tablit un prĂ©cĂ©dent pour les multinationales qui exercent leurs activitĂ©s dans des zones de conflit intense oĂą le risque de contribuer Ă  des violations graves des droits de la personne est Ă©levĂ©.

i) Canada

Le Canada reconnaĂ®t la responsabilitĂ© criminelle des entreprises. En vertu du droit criminel canadien, les personnes morales, incluses dans la dĂ©finition d’« organisation » au Code criminel, peuvent ĂŞtre tenues responsables de la plupart des infractions criminelles. Bien que le Code criminel repose en grande partie sur le principe de territorialitĂ©, il existe des exceptions, notamment lorsque le « critère de la compĂ©tence territoriale » peut Ă©tablir un lien entre le Canada et l’infraction allĂ©guĂ©e. Dans le cas des crimes internationaux les plus graves, le Canada fait valoir une compĂ©tence universelle.

Avec l’adoption de la Loi sur les crimes contre l’humanitĂ© et les crimes de guerre (LCHCG), le Canada a intĂ©grĂ© Ă  ses lois nationales les obligations du Statut de Rome de la Cour pĂ©nale internationale. La LCHCG a un effet extraterritorial et permet aux personnes physiques et aux personnes morales d’ĂŞtre poursuivies pour des crimes contre l’humanitĂ©, des crimes de guerre et des gĂ©nocides selon le droit international coutumier et conventionnel. Les Ă©lĂ©ments requis pour Ă©tablir la responsabilitĂ© criminelle sont conformes au paragraphe 22.2 du Code criminel. L’application de la LCHCG aux entreprises n’a pas encore Ă©tĂ© mise Ă  l’Ă©preuve et son application aux particuliers a Ă©tĂ© limitĂ©e.

ii) International

Les accusations criminelles pour complicitĂ© prĂ©sumĂ©e d'entreprises dans des crimes internationaux se multiplient. En novembre 2021, les procureurs suĂ©dois ont accusĂ© les dirigeants de Lundin Energy de complicitĂ© dans des crimes de guerre. Les accusations portent sur la demande faite par Lundin aux forces armĂ©es soudanaises de sĂ©curiser un champ pĂ©trolier au Sud-Soudan entre 1999 et 2003. L'affaire n'en est qu'Ă  ses dĂ©buts et Lundin nie les accusations. Les procureurs tentent Ă©galement de confisquer les bĂ©nĂ©fices rĂ©alisĂ©s par Lundin lors de la vente de ses activitĂ©s au Soudan en 2003.

En juin 2018, la multinationale française Lafarge et sa filiale Lafarge Cement Syria ont Ă©tĂ© inculpĂ©es pour complicitĂ© de crimes contre l’humanitĂ©, financement d’une entreprise terroriste et mise en danger de la vie d’autres personnes liĂ©es aux opĂ©rations de Lafarge Cement Syria dans le nord de la Syrie pendant la guerre civile dans ce pays. L’acte d’accusation faisait suite Ă  une plainte criminelle dĂ©posĂ©e en novembre 2016 par onze ex-employĂ©s syriens, le European Center for Constitutional and Human Rights et son organisation partenaire française, le Sherpa.

Cette affaire marque la première fois qu’une sociĂ©tĂ© mère française est accusĂ©e pour les actes commis par une de ses filiales Ă  l’Ă©tranger. En novembre 2019, la Cour d’appel de Paris a abandonnĂ© l’accusation contre Lafarge de complicitĂ© dans des crimes contre l’humanitĂ©, mais a maintenu trois autres chefs contre Lafarge, dont ceux d’avoir dĂ©libĂ©rĂ©ment mis en danger la vie de ses travailleurs syriens et de financement d’une entreprise terroriste. Cependant, en septembre 2021, la Cour de cassation, haut tribunal de France, a annulĂ© le jugement d’appel et renvoyĂ© l’affaire Ă  ses magistrats-enquĂŞteurs. Les magistrats examineront s’il convient de rĂ©tablir l’accusation de complicitĂ© dans des crimes contre l’humanitĂ© et d’ajouter une nouvelle accusation de mise en danger de la vie d’autrui. 

Bien que la plupart des lois autonomes sur l’EDP ne prĂ©voient pas de responsabilitĂ© criminelle, la loi des Pays-Bas sur la diligence raisonnable en matière de travail des enfants (la loi des Pays-Bas) permet d’imposer des sanctions pĂ©nales aux entreprises. Une non-conformitĂ© persistante aux exigences de dĂ©claration et de diligence raisonnable de la loi des Pays-Bas peut faire encourir des peines allant jusqu’Ă  quatre ans d’emprisonnement, des travaux communautaires ou une amende pouvant atteindre 83 000 euros.