Parlons du projet de loi 64

Katherine : Vous écoutez Juriste branché présenté par l'Association du Barreau canadien. Bonjour et bienvenue à Juriste branché. Je suis votre animatrice Katherine Provost. Le 12 juin dernier, le gouvernement caquiste a présenté à l’Assemblée nationale le projet de loi 64, loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels. Le projet de loi introduit entre autres le traitement des incidents affectant la confidentialité des renseignements personnels par les organismes publics et les entreprises, et précise diverses exigences relatives au consentement requis, préalable à une collecte, une utilisation ou une communication de renseignements personnels. Si implémentée telle quelle, la Loi donnerait des droits à une personne concernée par les renseignements personnels, dont celui d’exiger que cesse la diffusion d’un tel renseignement. Le projet de loi a été accepté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Au sein de l’ABC, il est considéré que ce projet de loi constitue la refonte la plus ambitieuse du droit à la vie privée dans les secteurs public et privé en vingt ans. En effet le projet de loi 64 rapprocherait le droit québécois de la protection de la vie privée de l’Union européenne.

Pour nous parler des défis que le projet de loi pourrait rencontrer, j’ai le plaisir de discuter aujourd'hui avec maître Caroline Deschenes du cabinet Langlois situé à Montréal. Maître Deschenes a été admise au Barreau du Québec en 2007 et s’occupe actuellement de litiges commerciaux et civils s’intéressant plus particulièrement aux litiges aux actions collectives et à la protection de la vie privée et à l’accès à l’information. Depuis 2018 elle est membre du conseil exécutif de la section Droit de la vie privée et accès à l’information, de l’l'Association du Barreau canadien. Bienvenue Maître Deschenes.

Me Deschenes : Bien merci Katherine.

Katherine : Pourquoi le gouvernement du Québec a-t-il soumis le projet de loi 64?

Me Deschenes : Je dirais que le Québec est un pionnier en matière de protection des renseignements personnels au Canada. C'est un des premiers à avoir adopté une loi sur l’accès aux documents des organismes publics en 82, et ç’a été suivi en 1993, en fait ç’a été adopté et c'est entré en vigueur en 1994. Donc, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Ces lois-là n’ont pas été substantiellement amandées depuis 2006. Or, comme le sait, les technologies ont évolué à la vitesse grand V depuis l’adoption de ces lois-là avec l’apparition de l’internet, pour ne nommer que ça, des objets connectés, du big data, des réseaux sociaux. Et, depuis plusieurs années, il est manifeste que les lois québécoises en matière de protection des renseignements personnels n’ont pas été conçues pour cette réalité.

Je vous donne un exemple, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels il y a la notion de dossier. Toute la notion de protection ou de traitement des renseignements personnels est articulée autour de la notion de la constitution d’un dossier, alors qu’on sait bien que peut-être qu’en 1994 il y avait un dossier physique, mais maintenant on est beaucoup plus dans le virtuel, dans le numérique. Donc c'est une des illustrations qui démontrent que les lois québécoises en la matière étaient obsolètes et avaient besoin d’une mise à jour importante. Et il y a eu une certaine volonté politique qui a commencé à se manifester je vous dirais depuis quelques années. D’abord le gouvernement avait annoncé son intention de moderniser la Loi sur l’accès en imposant une déclaration obligatoire en cas d’incident de sécurité pour les organismes publics. Y a même eu un projet de loi qui a été déposé en 2017. Et finalement, c'est mort au feuilleton avec les élections provinciales en 2018.

Mais, parallèlement à ça, y a eu en 2017 la constitution d’un comité consultatif pour la Loi sur les renseignements personnels dans le secteur privé. Et, le mandat de ce comité consultatif était de rencontrer des intervenants du milieu pour évaluer quelles étaient les préoccupations en matière des renseignements personnels, et voir comment on pourrait faire entrer la législation en matière de renseignements personnels au Québec, dans le XXIe siècle, notamment à la lumière du RGPD.

Katherine : Est-ce qu'on pourrait expliquer un peu c'est quoi le RGPD?

Me Deschenes : Le RGPD, c’est le règlement général sur la protection des données, donc c'est entré en force en 2018, en mai 2018 et c'est reconnu comme étant le nouveau standard en matière des renseignements personnels dans le monde. Donc, depuis 2018, je vous dirais qu’il y a un intérêt accru de la part des entreprises en matière de protection des renseignements personnels, notamment parce que le RGPD impose des sanctions très importantes en cas de non-respect des dispositions législatives qui sont prévues. Et, il y a comme un momentum qui s’est créé autour de ça un peu partout, notamment au Canada et au Québec pour moderniser la protection des renseignements personnels.

Katherine : Et le RGPD dont vous discutez, est-ce que c'est seulement au Québec ou c'est à travers le Canada?

Me Deschenes : Le RGPD en fait, c'est un règlement européen, comme son nom le dit, mais il peut avoir une application extraterritoriale, ce qui déborde un peu du cadre de notre propos aujourd'hui. Essentiellement, il s’applique aux entreprises canadiennes, pour ne parler que de celles-là, les entreprises canadiennes qui auraient un établissement en Europe, mais également les entreprises canadiennes qui n’auraient pas un établissement en Europe dans certains cas de figure. Notamment, lorsqu’on fait le suivi de comportement de personnes qui résident dans l’Union européenne, ou lorsqu’on fait le traitement de renseignements de citoyens européens.

Katherine : D’accord. Donc, quelle est la valeur ajoutée du projet de loi 64 au Québec?

Me Deschenes : La valeur ajoutée, je vous dirais, c'est de faire entrer la protection des renseignements personnels au Québec dans l’ère de la modernité. Il y a plusieurs changements importants qui sont prévus par ce projet de loi là, ce serait long et laborieux de tous les énumérer, mais il y en a certains qui sont dignes de mention et sur lesquels ça vaut la peine de s’attarder.

Katherine : Donc, sommairement qu'est-ce que ça va changer dans la vie privée des Québécois et Québécoises?

Me Deschenes : Un des changements importants qui aura un impact sur la vie des Québécois et Québécoises pour reprendre votre question, c'est qu'on a une nouvelle exigence en matière de transparence. À titre d’exemple, le projet de loi propose de bonifier les renseignements qui devront être fournis aux personnes concernées au moment de la collecte de leurs renseignements personnels. Donc, à l’heure actuelle, c'est nécessaire d’informer les individus de l’objet du dossier, mettons l’objet ou la finalité de la collecte qu’on pourrait dire à l’heure actuelle, de l’utilisation qui va être faite des renseignements, des catégories de personnes qui vont y avoir accès et de l’endroit où seront détenus ces renseignements personnels et le droit d’accès et de rectification. Dans le nouveau projet de loi, on prévoit toute une panoplie de nouvelles informations qui devront être divulguées. Notamment, quels sont les renseignements qui seront recueillis, les moyens de la collecte et le droit de la personne de retirer son consentement à la communication et à l’utilisation des renseignements recueillis. Un autre exemple, la personne devra être informée du nom du tiers pour lequel les renseignements sont recueillis et la possibilité que ces renseignements-là soient communiqués à l’extérieur du Québec.

 Autre exemple en matière de transparence, les entreprises qui utiliseront des technologies qui permettent d’identifier, de localiser ou de profiler une personne devront informer les personnes de l’utilisation de ces technologies-là et des moyens offerts pour désactiver ces fonctions-là, donc, une plus grande transparence. Ça, c'est pour les individus, y a également des changements au niveau du consentement, je pourrai en discuter. Au niveau des entreprises il y aura aussi des impacts très importants parce que le fardeau règlementaire sera plus important à plusieurs égards.

Katherine : On va parler de ça un peu plus tard, mais ce qui m’intéresse en ce moment est de savoir : est-ce que ce genre d’information là, ce genre de transparence, ça va être dans ce qu’on appelle le fine print ou ça va être nommé de façon très claire pour l’utilisateur et pour le citoyen?

Me Deschenes : En fait l’objectif c'est que le consentement qui soit obtenu pour la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements personnels soient aussi éclairées que possible. À l’heure actuelle la Loi québécoise sur le secteur privé exige l’obtention d’un consentement manifeste, libre, éclairé, qui doit être donné à des fins spécifiques pour être en mesure de colliger, utiliser, communiquer des renseignements personnels. Le projet de loi 64 maintient ces concepts-là, mais renforce les exigences de consentement, en ajoutant que le consentement doit être demandé pour chacune des fins spécifiques en termes simples, clairs et distinctement de toutes autres informations communiquées à la personne concernée. Donc, l’objectif ici c'est justement d’éviter que les motifs de la collecte ou les façons qu’on a d'utiliser cette information-là, de communiquer l’information ou les renseignements personnels, ne soient pas ensevelis dans une politique [00:09:20] de la vie privée incompréhensible pour le commun des mortels. Maintenant, comment ça va se traduire en pratique? Ça, c'est une autre histoire.

Katherine : Si on revient un peu au projet de loi tel quel, le fait qu’il n’est pas encore… disons loi, on sait qu’à l’Assemblée nationale ç’a été voté à l’unanimité et que le projet de loi passe donc à la prochaine étape. À quels genres d’obstacles peut-on maintenant s’attendre à faire face avec le projet de loi?

Me Deschenes : En fait, le projet de loi 64 a franchi la première étape dans le processus législatif. Donc, il y a eu la présentation, il a été adopté à l’unanimité. Mais, avant d’ajourner, le leader du gouvernement a indiqué que le projet de loi serait renvoyé à une commission pour consultation, ce qui devrait donner une occasion aux intervenants de présenter des informations pour indiquer s'il y a certaines choses qui devront être améliorées. C'est la prochaine étape. Y a certaines, y a déjà certaines choses, je pense, qui vont faire l’objet de discussion en commission parlementaire. Je pense notamment, au fait qu’on ne prévoit pas d’exception pour les renseignements personnels des employés. C'est-à-dire que dans la Loi fédérale et la Loi de Colombie-Britannique et en Alberta on prévoit que l’employeur n’a pas besoin du consentement de son employé pour gérer la relation d’emploi. Or, on ne retrouve pas cette exception-là dans le projet de loi 64 ce qui est un irritant, donc je m’attends à ce qu’il y ait des discussions là-dessus. Il y a également certains commentaires auxquels on pourrait s’attendre relativement aux nouvelles règles qui sont prévues dans le projet de loi pour le transfert de renseignements personnels à l’extérieur du Québec, puisqu’on prévoit que l’entreprise devra, qui procède à un transfert à l’extérieur du Québec, devra procéder à l’évaluation des facteurs liés à la vie privée. Et, elle devra notamment faire une évaluation, à savoir si la juridiction dans laquelle on entend transférer les renseignements personnels offre un niveau de protection équivalent.

Donc ça, ça pourrait imposer aux entreprises un fardeau injuste ou indu, en leur imposant l’obligation de faire un exercice de comparaison législative s’ils ne peuvent pas se fier à une liste qui est prévue par ailleurs dans le projet de loi, une liste de juridiction équivalente. Mais on sait que ça peut prendre un certain temps faire cet exercice-là. Donc, pour répondre à la question, je ne vois pas d'obstacles importants à l’adoption du projet de loi parce qu'il y a une volonté politique. Y a eu des incidents de sécurité dans la dernière année, Desjardins, Capital One, ect., qui ont conscientisé les Québécois sur la nécessité d’avoir une protection en matière de renseignements personnels. Donc le momentum est là, la volonté politique est là. Donc, je ne m’attends pas à ce qu'il y ait d’obstacles à l’adoption du projet de loi, mais je m’attends à ce que certaines dispositions dans le projet de loi fassent l’objet de discussion et d’amendement.

Katherine : Donc au niveau de la population québécoise le projet est quand même assez bien accueilli. Est-ce que c'est la même situation du côté des organisations privées et publiques?

Me Deschenes : Je vous dirais qu’en général les gens des entreprises avec lesquelles j’ai parlé sont relativement contents, parce qu'il y a eu un souci d’harmonisation entre le projet de loi 64 et les dispositions règlementaires qu’on trouve à l’extérieur du Québec. Je pense notamment à la Loi fédérale, le RGPD. C'est aussi quelque chose qui serait utile aux entreprises québécoises dans la mesure où elles se conforment à ces nouvelles dispositions-là parce que ça les rendrait concurrentielles. Donc, quand les citoyens, les clients, les consommateurs sont rassurés quant au traitement de leurs renseignements personnels, c'est une bonne chose pour les entreprises québécoises. Maintenant, même s’il est relativement bien accueilli, il y a certains irritants, notamment les deux que je viens de vous mentionner, qui feront en sorte que les débats sur la question ne sont certainement pas terminés.

Katherine : Vous avez abordé un aspect de la Loi qui est important, c'est les entreprises québécoises, de quelle façon est-ce que la Loi au Québec va-t-elle s’appliquer? Est-ce que les compagnies dont le siège social est ailleurs dont le siège social est ailleurs vont être aussi assujetties à la Loi s’ils font affaire au Québec?

Me Deschenes : Oui en fait le projet de loi est conçu de la même façon que la Loi sur la protection des renseignements personnels actuelle. C'est-à-dire, elle s’applique au concept d’entreprise, entreprise tel qu’il est défini dans le Code civil du Québec. Il n’y a pas de disposition claire quant à son application extraterritoriale, etc. Mais si une entreprise fait le traitement de renseignements personnels au Québec elle sera assujettie et, j’oserais dire, peu importe si elle a son siège social au Québec ou pas.

Katherine : Par exemple, si Amazone, bon Amazone collecte plusieurs informations personnelles, notre adresse, notre carte de crédit, peu importe, mais ils ne sont pas situé au Québec, est-ce qu'ils doivent respecter aussi l’essence du projet de loi 64?

Me Deschenes : Je vous dirais que toutes les entreprises qui font la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels au Québec seront assujetties au projet de loi. Mais là je dirais sous réserve évidemment de l’application de la Loi fédérale aux entreprises qui relève de cette loi-là.

Katherine : Donc est-ce que si la Loi 64… disons que ce projet de loi là passe et que ça devient une loi, est-ce que c'est la loi provinciale ou la loi fédérale qui aura priorité?

Me Deschenes : En fait il pourrait y avoir application concurrente. Donc, au Québec les entreprises sont situées au Québec et font le traitement de renseignements personnels au Québec seront assujetties à la Loi québécoise. Les entreprises fédérales de juridiction fédérale, je pense notamment aux banques, seront assujetties à la Loi fédérale. Donc, il pourrait y avoir une application concurrente de certaines lois, mais dans la plupart des cas ce sera la Loi québécoise qui va s’appliquer.

Katherine : Donc, on a une loi québécoise, on a une loi fédérale et pas nécessairement des lois provinciales autres que celles du Québec qui sont peut-être comparables. Donc on sait que le Québec devra s’engager dans une importante stratégie de communication afin de bien informer les avocats des autres provinces et des territoires des changements prévus. Pourquoi?

Me Deschenes : Je veux juste rectifier un peu la prémice de la question. Y a deux autres provinces autre le Québec qui ont des lois substantiellement similaires à la Loi fédérale, l’Alberta et la Colombie-Britannique. Donc le Québec n’est pas seul dans cette situation-là, et dans les autres provinces où il n’y a pas de loi d’application générale applicable au secteur privé, c'est la Loi fédérale qui s’applique. Dans ce contexte-là, c'est important de publiciser les modifications législatives qui se font au Québec. Je vous dirais qu’il y a plusieurs façons de le faire évidemment, le gouvernement le publie dans la Gazette officielle. Les médias québécois sont très sensibilisés à ça, ils s’intéressent de près à l’affaire. Dans les derniers mois, il y a eu plusieurs articles qui ont été publiés sur le sujet et je m’attends que lorsque le projet de loi sera adopté dans la version modifiée, suite aux débats en commission parlementaire, les médias vont publier l’affaire.

Y a également le rôle des associations professionnelles comme l'Association du Barreau canadien et la Section, devrai-je dire, sur le droit à la vie privée et la saine information qui fait un travail, justement, de publicisation des modifications législatives. Chaque année, je donne un exemple, il y a le Symposium sur la protection du droit à la vie privée et l’accès à l’information qui a lieu en octobre, chaque année, il y a toujours un segment dédié aux nouveautés en matière de protection de la vie privée et d’accès à l’information au pays. C'est toujours l’occasion d’entendre ce qui se fait ailleurs, et certainement cette année lors du symposium le projet de loi 64 sera discuté.

Katherine : Pour les avocats qui ne sont pas au Québec, est-ce qu'il y aura beaucoup de différences, de nuances, qu’ils devront apprendre entre leur législation fédérale et provinciale, versus la législation au Québec?

Me Deschenes : Oui, parce qu'il y a des modifications, l’introduction de concepts importants. Il y a certaines choses qui sont du rattrapage du Québec par rapport aux autres juridictions. Notamment on va introduire la Déclaration obligatoire des incidents de sécurité. C'est quelque chose avec laquelle la Colombie-Britannique et l’Alberta et au niveau fédéral on est habitué. On introduit formellement dans le projet de loi les concepts de protection de la vie privée par défaut et protection de la vie privée dès la conception, donc Privacy by Default, Privacy by Design, qui sont des concepts importés du règlement européen. On a également dans le projet de loi des nouveaux droits qui sont accordés aux individus, notamment le droit à la portabilité qui est également inspiré du règlement européen. Le droit à la portabilité, c'est le droit pour un citoyen d’obtenir une copie numérique des renseignements qu’il a fournis à l’entreprise pour pouvoir ensuite transmettre ces informations-là à un autre fournisseur de service, je résume là. Ça, c'est un droit qui devra faire l’objet de changement dans les processus des entreprises; et les juridictions autres que le Québec pourrait devoir s’y intéresser s’ils font affaire avec des citoyens québécois.

Katherine : Est-ce que pour les entreprises privées on prévoit une charge de travail augmentée avec ces nouvelles régulations, ces nouveaux accès, si quelqu'un veut avoir une copie de ces données-là, ou est-ce qu'on s’attend à ce que ça rentre un peu dans l’habituel travail de tous les jours?

Me Deschenes : En fait, il va certainement y avoir un impact financier important sur les entreprises et peut-être encore plus important pour les PME. Parce que, la mise en place de nouvelles exigences règlementaires, ça signifie : qu’il y a des ressources qui devront d’abord être consacrées pour procéder à l’analyse des processus existants, d’identifier les écarts entre les processus existants et les obligations législatives, les nouvelles, d’évaluer les modifications requises pour se conformer à la Loi telle que modifiée. Ça, c'est tout le processus, en fait, ça, c'est la portion avant  analyse, etc. Ça va demander un certain effort.

Ensuite, il va certainement y avoir des impacts aussi au niveau financier pour l’implantation de ces nouveaux droits, comme vous le mentionnez, pour les individus. C'est ça, il y a eu un certain effort pour s’assurer que les impacts règlementaires seraient adaptés à la taille des entreprises. Parce que justement, c'est un commentaire qu’on a entendu dans les travaux du comité de révision. On ne veut pas accroitre indument le fardeau règlementaire sur les petites et moyennes entreprises, parce qu'il est déjà assez lourd. On donnait certains exemples, mais il y a eu certains efforts dans le projet de loi pour s’assurer que le fardeau ne soit pas indument accru. Là je donne un exemple, mais notamment, en imposant de facto au président d’une entreprise le rôle de protéger les renseignements personnels. Cependant, c'est inévitable, il va y avoir des impacts. Il y a certaines obligations qui ne me semblent pas modulées selon la taille de l’entreprise et qui s’appliquent à toutes, indépendamment de leur taille, et ça bien… ça va certainement avoir un impact.

Katherine : Pour terminer, j’aimerais aborder un peu l’angle de la profession d’avocat et l’impact que le projet de loi aura sur ceux-ci, plus spécifiquement. Comment les avocats du Québec peuvent-ils se préparer aux changements qui s’en viennent avec le projet de loi?

Me Deschenes : La première chose c'est de s'y intéresser.

Katherine : C'est un bon point.

Me Deschenes : Parce que ça aura un impact sur toutes les entreprises, y compris les fournisseurs de services juridiques. Donc, tous les avocats devraient s’intéresser à cette question-là, parce qu'ils ont des clients, ils détiennent des renseignements personnels. Ils devraient donc savoir quelles seraient les exigences règlementaires qui s'imposeront à eux. Les avocats doivent également s’intéresser à cette question-là pour leurs clients, parce que tous leurs clients y sont assujettis, ou ils y seront assujettis lorsque le projet de loi sera adopté. Donc, la première chose, c'est de lire le projet de loi, lire des bulletins qui sont publiés par des bureaux d’avocats spécialisés en la matière pour comprendre quelles sont les modifications qui sont envisagées, quels sont les éléments qui nécessiteraient certains ajustements pour pouvoir ensuite, le cas échéant, bien encadré, bien diriger leurs clients. Parce que, il y aura certainement beaucoup de demandes liées à cette loi-là dans les prochains mois.

Katherine : Comment est-ce qu'on peut préparer nos clients en ce moment à la venue de cette nouvelle loi?

Me Deschenes : En fait c'est en les informant adéquatement de qu'est-ce que contient ce projet de loi là et qu'est-ce que ça implique comme changement. D’ailleurs, dans mon bureau d’avocat on publie régulièrement des bulletins d’information sur des enjeux du genre. On en a publié un sur le projet de loi 64 et je sais que plusieurs autres cabinets d’avocats ont emboité le pas. Ils font un bon travail de vulgarisation. On peut donner des conférences sur la question pour exposer les principaux changements à nos clients, à d’autres avocats, dans le cadre de conférences qui sont organisées par une firme d’avocats, mais aussi par l'Association du Barreau canadien ou d’autres organisations professionnelles.

Katherine : Somme toute, en informant nos clients, qu'est-ce qu'on répond à un quelqu'un qui dit que son entreprise ne pourra pas faire les changements qui sont demandés par la Loi?

Me Deschenes : Je dirais on n’a pas le choix. Malheureusement on n’aura pas le choix. C'est un bon point et je suis contente que vous le mentionniez parce qu'il va y avoir des sanctions très importantes qui vont être prévues. Je vous dirais que jusqu’à présent les entreprises pouvaient relativement en toute impunité ne pas trop se soucier du respect de la Loi, mais on prévoit désormais des sanctions, des nouveaux mécanismes de mise en œuvre très importants. Donc, la Commission de l’accès à l’information selon le projet de loi, dans sa forme actuelle, pourra imposer des sanctions pécuniaires administratives en cas de défaut, allant jusqu’à 10 millions de dollars ou le montant correspondant à 2% du chiffre d’affaires. 

Katherine : Oui, c'est considérable.

Me Deschenes : C'est considérable [le mondial 00:24:31] de l’exercice financier précédent. Donc, ça, c'est clairement inspiré du RGPD qui a des montants aussi surprenants que ceux-là. On prévoit également des amendes plus importantes en cas de procédure pénale, soit un maximum de 25 millions ou du montant correspondant à 4% du chiffre d’affaires. Y a un autre mécanisme de mise en œuvre, c'est qu'on prévoit aussi la possibilité d’obtenir d'une entreprise la réparation d'un préjudice qui résulte d’une atteinte illicite à un droit conféré par la Loi, à moins que ça résulte d’une force majeure. Et on prévoit également l’octroi de dommages et intérêts punitifs d’au moins 1 000$ lorsque l’atteinte est intentionnelle ou résulte d’une faute lourde. Donc, la réponse de : je ne serai pas en mesure de me conformer à la Loi, ce n’est pas une bonne réponse. Je pense qu’on va devoir faire un exercice d’évaluation des risques pour voir qu'est-ce qu'on peut mettre en œuvre idéalement, toute et chacune des dispositions, mais il va falloir faire un exercice de conformité.

Katherine : Merci d’avoir répondu à toutes mes questions Maître Deschenes.

Me Deschenes : Ça me fait très plaisir.

Katherine : Est-ce que vous avez un mot de la fin, un conseil à donner, un autre commentaire?

Me Deschenes : En fait, le mot de la fin ce serait pour vous encourager à vous inscrire au Symposium sur la protection du droit à la vie privée et à l’accès à l’information qui aura lieu : le 30 octobre, le 6 novembre et le 13 novembre prochain dans un format virtuel, notamment pour apprendre qu'est-ce qui se passe au niveau de la protection des renseignements personnels et de l’accès à l’information au niveau international, au niveau canadien, notamment au Québec. Vous en saurez davantage sur le projet de loi 64. Également, vous pourrez entendre des experts parler de divers enjeux d’actualité, notamment, l’application Alerte COVID. Donc, des sujets d’actualité et d’intérêt pour les entreprises, les Québécois et les Canadiens

Katherine : Merci Maître Deschenes de votre participation à Juriste branché. Ce changement de la Loi, de toute évidence, ne sera pas de tout repos. À nos éditeurs, via Twitter, posez-nous vos questions quant au projet de loi 64 du Québec. Puis, rendez-vous sur le site de l’ABC pour vous inscrire au Symposium de l’ABC sur le droit de la vie privée et de l’accès à l’information qui aura lieu en ligne le 30 octobre, ainsi que le 6 et 13 novembre. N’hésitez pas à partager cet épisode sur vos réseaux sociaux et à nous suivre sur Twitter@nouvelles_abc. Pour nos épisodes précédents et futurs, abonnez-vous à Juriste branché sur Apple Podcast, Stitcher et Spotify et n’hésitez pas à nous laisser des commentaires et des suggestions sur ces plateformes. Vous y trouverez également notre balado en anglais, The Every Lawyer. À la prochaine.