La facturation d’honoraires fixes constitue-t-elle une option viable?

  • 21 octobre 2014
  • Edward Poll

Code de dĂ©ontologie professionnelle de l’ABC prĂ©cise que les honoraires perçus pour des services juridiques doivent ĂŞtre « honnĂŞtes et raisonnables ». Les clients affirment de plus en plus que la facturation horaire traditionnelle des services juridiques n’est pas particulièrement raisonnable parce qu’elle ne rend compte ni des dĂ©tails ni de la valeur des tâches accomplies pour eux par leur avocat.

Il y a des façons de prĂ©senter une facture pour que les clients comprennent mieux ce qui a Ă©tĂ© accompli pour eux, comme je l’explique dans mon rĂ©cent article « Honoraires juridiques : la facture parfaite! ». Celui-ci examinait les questions interreliĂ©es du caractère raisonnable et de la valeur. Mais cela ne rĂ©pond pas Ă  la question plus vaste : « les avocats peuvent-ils trouver une option comprĂ©hensible Ă  la facturation fondĂ©e sur un tarif horaire? »

Il n’y a rien de magique au sujet des options au tarif horaire. Toutes cherchent le mĂŞme rĂ©sultat. PlutĂ´t que de fixer un prix en fonction d’une unitĂ© ou d’un rĂ©sultat standardisĂ©, les options de facturation mettent l’accent sur les mesures prises dans l’intĂ©rĂŞt du client, au-delĂ  du temps, et sur leur valeur.

Le choix de la bonne option est en dernier ressort une dĂ©cision d’affaires Ă  la fois pour le cabinet et pour le client. Aucune option n’est la meilleure dans tous les cas. Les prĂ©fĂ©rences des clients et le fonctionnement des cabinets varient, et chaque projet ou affaire comporte une multitude de facteurs qui pourraient se prĂŞter Ă  diverses options de facturation.

Le modèle des honoraires fixes

Une des options les plus simples, qui reçoit une attention croissante tant au Canada qu’aux États-Unis, est la facturation des services juridiques selon le principe des honoraires fixes. Le montant est dĂ©terminĂ© et prĂ©cisĂ© dans la lettre-contrat avant que le mandat ne dĂ©bute. Il ne varie pas, peu importe le temps consacrĂ© par l’avocat et peu importe le rĂ©sultat.

Les honoraires fixes sont surtout utiles pour les services juridiques routiniers. Ils encouragent le recours Ă  la technologie pour rationaliser la prestation de ces services. Dans sa forme extrĂŞme, cette option se retrouve dans les sites Web « libre-service » qui appliquent un barème d’honoraires fixes pour des conseils, des recherches ou des formulaires dans des domaines comme le droit de la famille, l’homologation, la clĂ´ture de transactions immobilières, voire le dĂ©pĂ´t de brevets. Il y a toutefois d’autres exemples plus raffinĂ©s du mĂŞme concept.

Par exemple, General Electric (GE) a crĂ©Ă© dans son site intranet sĂ©curisĂ© une « trousse d’outils » de clauses que ses reprĂ©sentants commerciaux peuvent utiliser pour modifier les conditions et la formulation de contrats standardisĂ©s lorsque les clients le demandent. Auparavant, ils devaient envoyer le contrat aux avocats de GE pour qu’ils l’examinent et le modifient, ce qui Ă©tait un processus long et coĂ»teux. Aujourd’hui, les options prĂ©sentĂ©es en ligne quant aux modalitĂ©s standardisĂ©es permettent Ă  GE et Ă  ses clients d’Ă©conomiser d’importants montants en honoraires juridiques. Plus encore, les contrats peuvent ĂŞtre modifiĂ©s rapidement, ce qui permet de boucler les affaires sans dĂ©lai et d’augmenter les ventes de produits GE. Cette mĂ©thode mène ainsi Ă  la fois Ă  des coĂ»ts rĂ©duits et des revenus majorĂ©s.

La « productisation »

L’Ă©tablissement de prix fixes Ă  l’Ă©gard de produits normalisĂ©s, comme dans le cas des honoraires fixes, est habituellement synonyme de prix bas. Lorsque nous fournissons des services juridiques, nous voulons qu’ils soient perçus comme Ă©tant uniques, en raison de la relation entre avocat et client, en raison des compĂ©tences spĂ©ciales nĂ©cessaires pour rĂ©gler les difficultĂ©s ou du fait que le client impose des contraintes que peu d’avocats peuvent accepter. Pourtant, lorsque les clients revendiquent le passage au modèle des produits banalisĂ©, il peut ĂŞtre difficile d’y rĂ©sister.

Une façon de le faire est d’envisager de « productiser » votre travail en fournissant un produit tangible qui ouvre la voie Ă  la prestation des services intangibles Ă  valeur ajoutĂ©e que vous voulez offrir.

Ainsi, un avocat spĂ©cialisĂ© dans la planification successorale peut lutter contre les sites Web « libre-service » en crĂ©ant dans le site Web de son propre cabinet une section protĂ©gĂ©e par mot de passe qui contient des formulaires et des recherches faisant autoritĂ©, prĂ©parĂ©s ou Ă©valuĂ©s par lui. Un « client » peut ĂŞtre autorisĂ© Ă  accĂ©der Ă  ce matĂ©riel et l’utiliser Ă  sa guise pour un montant forfaitaire de 100 $. Cependant, si le client a une question ou un problème auquel les documents ne rĂ©pondent pas, l’avocat peut proposer des conseils personnalisĂ©s, Ă©ventuellement Ă  tarif spĂ©cial reconnaissant la relation Ă©tablie par le biais du site Web.

Autre exemple, un tarif d’abonnement peut donner accès Ă  un blogue rĂ©unissant les observations de l’avocat sur de nouveaux enjeux juridiques ou rĂ©glementaires ainsi qu’un contenu et des recherches spĂ©cialisĂ©s. Encore une fois, le client a l’option de poser des questions prĂ©cises en supplĂ©ment du tarif d’accès.

Comprenez vos coûts

L’important est que des honoraires fixes sont une option de facturation acceptable uniquement si l’avocat connaĂ®t la structure des coĂ»ts sous-jacents et si le client reconnaĂ®t la valeur obtenue en contrepartie. Malheureusement, les avocats ne connaissent en gĂ©nĂ©ral pas leurs coĂ»ts de fonctionnement. Ainsi, le montant des honoraires choisi est souvent alĂ©atoire et non fondĂ© sur une analyse des coĂ»ts et avantages.

Votre cabinet ne peut pas espĂ©rer dĂ©terminer un montant juste d’honoraires fixes Ă  moins de comprendre le fonctionnement du cabinet comme entreprise (budget, perception des comptes, bĂ©nĂ©fices, pertes), la structure de sa facturation et la façon dont chaque avocat dĂ©termine la rentabilitĂ© du cabinet.

Prenons l’exemple d’un avocat Ă  contrat faisant du travail pour un grand cabinet, qui propose un nouveau barème d’honoraires plus Ă©levĂ©s comportant un rabais sur volume en fonction du nombre d’heures par mois. L’associĂ© directeur du cabinet demande que le nombre d’heures et le rabais Ă  appliquer soient examinĂ©s rĂ©troactivement Ă  la fin de chaque pĂ©riode de trois mois. Un rabais sur volume pour des honoraires fixes devrait ĂŞtre fonction d’un volume de travail futur et non passĂ©. Pour l’avocat Ă  contrat, une application rĂ©trospective est dĂ©sastreuse, n’offrant aucune garantie et rendant la planification impossible. Sans assurance d’un volume futur, il n’y a guère d’avantages pour l’avocat Ă  contrat; tous les avantages sont pour le client.

Ne négociez pas contre vous-même

Les honoraires fixes sont souvent considĂ©rĂ©s comme une forme de rabais, mais les avocats peuvent nĂ©gocier contre eux-mĂŞmes en les acceptant. Par exemple, un client peut demander Ă  un avocat spĂ©cialiste de la propriĂ©tĂ© intellectuelle un tarif rĂ©duit en contrepartie d’un volume de travail donnĂ©. Pour Ă©viter de crĂ©er un prĂ©cĂ©dent embarrassant de rĂ©duction des tarifs, l’avocat devrait envisager trois possibilitĂ©s qui rĂ©pondent Ă  la demande du client mais protègent ses propres intĂ©rĂŞts.

  • Premièrement, prĂ©cisez que votre taux de facturation est X $; ne parlez pas de rabais, de rĂ©duction des honoraires ou d’aucune autre modification de votre taux horaire. Le faire Ă©quivaudrait Ă  nĂ©gocier contre vous-mĂŞme et contre votre propre intĂ©rĂŞt. Si en annonçant votre taux, vous commencez du mĂŞme souffle Ă  Ă©voquer des rabais, vous faites comprendre que vous n’ĂŞtes pas sĂ©rieux au sujet de votre tarif.
  • Deuxièmement, si le client vous demande si X $ est votre tarif le plus bas, soulevez la possibilitĂ© d’un rabais sur volume. Vous ĂŞtes prĂŞt Ă  rĂ©duire votre tarif de X $ Ă  Y $ de l’heure, mais uniquement si le client est disposĂ© Ă  garantir 20 heures de travail par mois pendant une certaine pĂ©riode minimum, comme six ou neuf mois. Il s’agit essentiellement d’honoraires fixes.
  • Troisièmement, si le client s’engage Ă  retenir le nombre d’heures proposĂ© dans la pĂ©riode proposĂ©e, il devrait payer les honoraires rĂ©duits (20 heures Ă  X $ de l’heure) au dĂ©but de chaque mois. En d’autres termes, il devrait payer le montant Ă  l’avance. Si le client a besoin de plus de 20 heures pendant un mois donnĂ©, le travail supplĂ©mentaire est facturĂ© au tarif rĂ©duit de X $ de l’heure et soumis aux modalitĂ©s habituellement appliquĂ©es par l’avocat (par exemple, payable dans les 30 jours de la facturation).

Le fait d’aborder la rĂ©duction des prix de cette façon signifie que vous ĂŞtes disposĂ© Ă  traiter les clients Ă©quitablement quand ils sont de bons clients. En d’autres termes, lequid pro quo d’un rabais est une garantie et un paiement Ă  l’avance. Il n’y a aucun intĂ©rĂŞt Ă  traiter avec un client qui n’accepterait pas ces conditions.

Les honoraires fixes sont-ils remboursables?

La facturation d’honoraires fixes peut soulever la question de savoir si ces honoraires peuvent et doivent ĂŞtre remboursables. Prenez l’exemple d’un avocat qui fait de la planification successorale et prĂ©voit des honoraires fixes non remboursables. Dans un cas, un client a demandĂ© un plan successoral. L’avocat a prĂ©parĂ© les documents et les a envoyĂ©s au client pour qu’il les signe. Le client l’informe alors qu’il a changĂ© d’avis et ne veut pas le type de fiducie qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, et par surcroĂ®t qu’il veut que les honoraires soient remboursĂ©s. Ă€ titre de courtoisie professionnelle, l’avocat propose un ajustement que le client accepte. Des mois plus tard, le client introduit une plainte, soutenant que l’ajustement ne rĂ©pondait Ă  aucune norme Ă©tablie et dĂ©finie.

Aussi douloureux que cela puisse ĂŞtre, on peut ĂŞtre rĂ©duit Ă  choisir entre facturer les honoraires fixes prĂ©vus et ne facturer aucun montant. Si le client ne reçoit pas un Ă©lĂ©ment de valeur, il ne paie rien; s’il reçoit un Ă©lĂ©ment de valeur, il paie les honoraires de l’avocat tel que prĂ©vu.

Une autre solution est de prĂ©voir dans le tarif des honoraires (p. ex., pour des travaux en planification successorale) que la production des projets de documents est le critère pour le versement de 75 p. 100 des honoraires, le solde Ă©tant payable Ă  la signature des documents. Cela Ă©tant dit toutefois, il revient encore Ă  l’avocat de dĂ©montrer que les honoraires sont raisonnables. Que l’avocat surpasse la norme est une question d’apprĂ©ciation individuelle.

Ne soyez pas un produit banalisé

En fin de compte, dĂ©terminer si une stratĂ©gie de facturation d’honoraires fixes est judicieuse revient Ă  dĂ©cider ce qui vous distingue comme avocat. Les clients s’attendent Ă  ce que les avocats soient compĂ©tents, donc l’affirmation « Je suis un bon avocat » n’a plus le mĂŞme cachet que jadis.

La qualitĂ© du service reste le facteur que les clients recherchent plus que tout autre chez les avocats. Peu importe combien vous facturez, pouvez-vous offrir un Ă©lĂ©ment que vos concurrents n’offrent pas ou ne peuvent pas offrir? Ou pouvez-vous crĂ©er quelque chose de nouveau dont vos clients ont besoin ou qu’ils souhaitent? Si vous ne voyez pas ce qui vous rend unique, vous n’ĂŞtes rĂ©ellement rien de plus qu’un produit banalisĂ© pour vos clients.

Il se trouvera toujours quelqu’un prĂŞt Ă  pratiquer des prix infĂ©rieurs. Une fois qu’on s’engage sur cette voie, il est difficile de faire demi-tour... et personne n’y gagne.

Edward Poll (edpoll@lawbiz.com) est CMC et mentor de procureurs et de cabinets juridiques Ă  Los Angeles pour les aider Ă  devenir plus rentables. Il est l’auteur de Attorney and Law Firm Guide to the Business of Law : Planning and Operating for Survival and Growth, 2nd ed. (ABA, 2002), Collecting Your Fee: Getting Paid from Intake to Invoice (ABA, 2003) et, plus rĂ©cemment, de Selling Your Law Practice: The Profitable Exit Strategy (LawBiz, 2005).