Trouver le juste équilibre : professionnalisme, qualité et accessibilité

  • 29 janvier 2018
  • Kim Covert

Sweet Spot

Est-il possible de contribuer Ă  l’accès Ă  la justice tout en rĂ©alisant un profit?

NoĂ«l Semple pense que oui. Ce professeur adjoint Ă  l’UniversitĂ© de Windsor est convaincu que les petits cabinets et les juristes exerçant seuls spĂ©cialisĂ©s en droit des particuliers ne sont pas obligĂ©s de choisir entre leur engagement envers la justice sociale et la nĂ©cessitĂ© de « joindre les deux bouts ». Selon lui, il existe un point d’Ă©quilibre entre la qualitĂ©, le professionnalisme et l’accessibilitĂ© qui, lorsqu’il est trouvĂ©, permet aux juristes de ne pas avoir Ă  sacrifier un objectif au profit de l’autre.

L’ouvrage de Me Semple, intitulĂ© AccessibilitĂ©, qualitĂ© et rentabilitĂ© pour les cabinets spĂ©cialisĂ©s en droit des particuliers : Trouver le juste Ă©quilibre, publiĂ© cet Ă©tĂ© par l’ABC (en anglais, sommaire disponible en français) et Ă  la disposition des membres et du public sur le site Web de l’Association, dĂ©crit les difficultĂ©s professionnelles auxquelles se heurtent les juristes spĂ©cialisĂ©s en droit des particuliers. Il est fondĂ© sur des entrevues menĂ©es par l’auteur avec plus de 30 juristes spĂ©cialisĂ©s en droit des particuliers et souligne les solutions novatrices qu’ils ont mises en Ĺ“uvre pour amĂ©liorer l’accessibilitĂ© de leurs services tout en maintenant la qualitĂ© et la rentabilitĂ©.

Le livre est issu de ses rĂ©flexions sur le fait que la « rĂ©ponse altruiste » au problème de l’accès Ă  la justice, soit le travail Ă  titre bĂ©nĂ©vole ou Ă  honoraires rĂ©duits effectuĂ© par les juristes, ne s’est pas traduite par des progrès suffisants du système judiciaire en ce sens, et de l’observation de ce que sa conjointe a vĂ©cu alors qu’elle ouvrait son propre cabinet spĂ©cialisĂ© en contentieux des successions.

Il a commencĂ© Ă  penser que « la façon dont les cabinets Ă  but lucratif du secteur privĂ© peuvent amĂ©liorer l’accès Ă  la justice sans nuire aux autres Ă©lĂ©ments fondamentaux de leur exploitation comme les aspects Ă©conomiques, la survie Ă  long terme, et naturellement la haute qualitĂ© et le professionnalisme du travail lui-mĂŞme, devait ĂŞtre examinĂ©e ».

Il souligne que personne ne s’attendait Ă  ce que les concepteurs de l’iPhone travaillent sans ĂŞtre payĂ©s.

« Dans le contexte de l’exercice du droit, je pense que l’Ă©thique de professionnalisme nous a peut-ĂŞtre conduits Ă  considĂ©rer que le service Ă  la clientèle et l’accès Ă  la justice s’opposent, de par leur nature, Ă  la rentabilitĂ©. Il s’agit lĂ , Ă  mon avis, d’une erreur. »

Il s’empresse de prĂ©ciser que loin de dĂ©nigrer l’altruisme ou de suggĂ©rer que le travail Ă  titre bĂ©nĂ©vole est inutile, il existe une multitude de besoins juridiques qui ne tiendront jamais dans le moule du travail juridique Ă  but lucratif.

« Cependant, une vaste catĂ©gorie de personnes qui ont des besoins juridiques relevant d’un revenu moyen peuvent payer, dans une certaine mesure. Nous prĂ©sumons que l’Ă©conomie de marchĂ© libre pourra satisfaire Ă  la plupart des besoins de la population de la classe moyenne sans avoir Ă  s’attendre Ă  ce que les professionnels fournissent leurs services gratuitement ou Ă  ce que le gouvernement acquitte la facture. Je pense que cela peut et devrait Ă©galement s’appliquer aux services juridiques. »

Il a dĂ©cidĂ© d’axer ses recherches sur le droit des particuliers car c’est « celui dans lequel on observe les pires problèmes d’accès Ă  la justice » tout en Ă©tant celui qui est le moins apte Ă  s’adapter aux genres d’innovations prĂ´nĂ©es dans les dĂ©bats sur l’avenir de la profession juridique. Des cabinets comme Axess Law rĂ©volutionnent le secteur du droit des affaires des particuliers en se fondant sur des innovations telles que les services banalisĂ©s, la facturation au forfait et les services en ligne. « Il n’a jamais Ă©tĂ© aussi peu onĂ©reux de faire rĂ©diger un testament, il est plus facile que jamais de transfĂ©rer un immeuble rĂ©sidentiel », affirme Me Semple. Toutefois, les services connexes au droit des particuliers qui sont litigieux sont, par dĂ©finition, plus spĂ©cifiques car ils doivent ĂŞtre plus personnalisĂ©s compte tenu des besoins du client.

Comme partout, l’innovation dans le domaine du droit des particuliers est partiellement motivĂ©e par la volontĂ© de rĂ©duire les coĂ»ts, et cela n’a rien de nouveau. Ainsi, des professionnels qui exercent depuis des annĂ©es ont modifiĂ© leurs systèmes afin d’y intĂ©grer des honoraires fixes ou la dĂ©lĂ©gation de certains travaux Ă  du personnel moins rĂ©munĂ©rĂ©. « Il serait tĂ©mĂ©raire de nier que l’innovation qui permet de rĂ©duire le coĂ»t de l’exploitation d’un cabinet peut s’avĂ©rer ĂŞtre le juste Ă©quilibre », dit-il.

Cependant, selon Me Semple, l’innovation ne se limite pas Ă  une amĂ©lioration du rendement, il s’agit aussi d’amĂ©liorer la qualitĂ©. Et c’est un point particulièrement intĂ©ressant pour les juristes spĂ©cialisĂ©s en droit des particuliers. Il suffit de regarder la diffĂ©rence entre le transfert d’un immeuble rĂ©sidentiel et le divorce. Pour le premier, « vous voulez Ă©viter toute erreur et vous ne voulez pas prendre de risque en tant que propriĂ©taire. Votre seul autre objectif est d’obtenir un service aussi bon marchĂ© que possible », affirme-t-il. Dans le cas d’un divorce en revanche, ce qui est exigĂ© du juriste excède frĂ©quemment la compĂ©tence technique.

« Du point de vue Ă©conomique, les services juridiques dans le domaine du droit des particuliers sont dĂ©crits comme des services panachĂ©s et non comme des marchandises. On pourrait dire que la rĂ©daction d’un testament est une marchandise et que dans le contexte d’un marchĂ© fondĂ© sur les marchandises, la concurrence fondĂ©e sur les prix est rude et l’innovation fait baisser les coĂ»ts. Lorsque les services ne sont pas identiques, ce qui est le cas dans le domaine du droit des particuliers, les consommateurs ont alors tendance Ă  accorder une moins grande importance au prix qu’aux diffĂ©rences de qualitĂ© entre divers professionnels prĂ©sents sur le marchĂ©, ce qui accroĂ®t la rentabilitĂ© de ceux qui peuvent innover au niveau de la qualitĂ© au lieu de s’arrĂŞter aux coĂ»ts. »

Selon Me Semple, il existe effectivement une disparitĂ© des degrĂ©s de recours Ă  l’innovation entre les juristes exerçant depuis longtemps dans des cabinets florissants et ceux qui se lancent dans la profession et ne reculent devant rien pour trouver du travail et qui innovent pour ce faire. Cependant, ceux qui sont les mieux placĂ©s pour innover sont frĂ©quemment les moins bien outillĂ©s pour concrĂ©tiser leurs idĂ©es, et une fois que leur cabinet a pris son essor, leurs besoins et motivations pour innover diminuent, crĂ©ant ainsi un cercle vicieux.

« Plus l’Ă©volution sera durable et transformatrice, plus accessibles seront les services, plus grande sera leur qualitĂ©, et plus rentable sera la pratique », Ă©crit Me Semple dans le livre. « Les principales innovations visent la structure de tarification, la variĂ©tĂ© des services, et la division du travail. C’est une occasion sans pareil qui se prĂ©sente aux cabinets, et Ă  la profession en gĂ©nĂ©ral, pour atteindre l’Ă©quilibre idĂ©al dans le domaine du droit des particuliers. »

Kim Covert est rĂ©dactrice, Publications, Ă  l’ABC.