Gérer l’effet Trump

  • 24 aoĂ»t 2017
  • Ann Macaulay

Donald Trump n’est prĂ©sident des États-Unis que depuis huit mois, mais plusieurs juristes du Canada commencent dĂ©jĂ  Ă  constater les consĂ©quences de ses politiques protectionnistes sur leur pratique. Et il est probable que ces consĂ©quences continuent d’exercer une incidence sur les entreprises canadiennes et leurs juristes lors du dĂ©voilement d’autres politiques.

OĂą de nombreuses personnes n’y voient que des nuages sombres, au moins une avocate canadienne y voit une chance dont il faut profiter.

« Il s’agit du meilleur moment pour faire du droit commercial et pour apporter une contribution importante au monde qui nous entoure », dĂ©clare Cyndee Todgham Cherniak, de LexSage, un petit cabinet de Toronto qui se spĂ©cialise en droit commercial international et en taxes de vente. Elle affirme que la renĂ©gociation de l’Accord de libre-Ă©change nord-amĂ©ricain, les problèmes constants avec le bois d’Ĺ“uvre rĂ©sineux et la politique de Trump « Achetez aux États-Unis » ont rĂ©cemment entraĂ®nĂ© une forte augmentation du travail juridique.

Le penchant protectionniste de Trump fait en sorte que certaines sociĂ©tĂ©s canadiennes cherchent Ă  dĂ©mĂ©nager aux États-Unis, alors que des entreprises amĂ©ricaines qui mènent des activitĂ©s commerciales au Canada envisagent de plier bagage et de retourner Ă  la maison, selon Mme Todgham Cherniak. « Aussi, si les rĂ©formes fiscales vont de l’avant aux États-Unis, les entreprises canadiennes vont ĂŞtre encore plus motivĂ©es Ă  y ouvrir une succursale pour mener leurs affaires. »

MĂŞme les sanctions de Trump Ă  l’endroit de l’Iran, de la CorĂ©e du Nord et de la Russie ont eu des rĂ©percussions sur les sociĂ©tĂ©s canadiennes, ce qui pousse les juristes Ă  passer en revue leurs programmes de conformitĂ©.

ALENA, rĂ©glementation et politique « Achetez aux États-Unis »

La renĂ©gociation de l’ALÉNA pourrait ĂŞtre une bonne chose pour le Canada, croit Mme Todgham Cherniak. Dans certains domaines, comme les textiles, les règles ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©es de façon très restrictive, alors que celles d’autres secteurs, comme le commerce Ă©lectronique, n’avaient mĂŞme pas encore Ă©tĂ© conçues lorsque l’accord a vu le jour au dĂ©but des annĂ©es 1990. « Il y a beaucoup d’amĂ©liorations Ă  apporter. Et ces amĂ©liorations peuvent profiter grandement aux entreprises canadiennes. »

Le mĂ©canisme de règlement de diffĂ©rends est l’un des domaines que les juristes devraient examiner de très près lors de la renĂ©gociation de l’ALÉNA, affirme David McFadden, avocat-conseil au bureau torontois de Gowling WLG, et qui Ĺ“uvre dans le secteur de l’Ă©nergie et des infrastructures. Il s’agit d’un aspect crucial de l’accord original et « le Canada n’aurait jamais signĂ© l’Accord de libre-Ă©change Canada-États-Unis en 1988 sans un mĂ©canisme de règlement de diffĂ©rends. Si le mĂ©canisme est rĂ©siliĂ©, la possibilitĂ© de laisser les tribunaux amĂ©ricains gouverner le Canada et le Mexique pourraient rĂ©ellement soulever l’inquiĂ©tude de ces pays », ajoute-t-il.

M. Trump a aussi exigĂ© l’expansion des partenariats publics-privĂ©s dans le secteur des infrastructures, ce qui, selon M. McFadden, « pourrait donner plus de travail Ă  des cabinets de juristes canadiens qui travaillent pour des sociĂ©tĂ©s dĂ©sireuses d’accĂ©der au marchĂ© du dĂ©veloppement des infrastructures aux États-Unis dans les domaines du financement, de la construction, de l’exploitation ou de la gestion ».

Le dĂ©cret prĂ©sidentiel de M. Trump visant l’achat de produits amĂ©ricains et l’embauche de travailleurs amĂ©ricains est l’une des questions qui engendreront des consĂ©quences nĂ©gatives, prĂ©cise Mme Todgham Cherniak. Elle s’attend Ă  ce qu’il y ait plus de dispositions sur l’acquisition de produits amĂ©ricains, ce qui empĂŞcherait des sociĂ©tĂ©s canadiennes de faire des affaires aux États-Unis, et Ă  ce que cela ait un effet d’entraĂ®nement sur les entreprises canadiennes et leurs juristes.

Un autre domaine Ă  surveiller est la possible abrogation de certaines rĂ©glementations gouvernementales par l’administration Trump. Les deux pays ont parlĂ© d’harmonisation de rĂ©glementations, explique Cyndee Todgham Cherniak. Dans cette foulĂ©e, elle se demande lesquelles le Canada devra supprimer ou harmoniser pour Ă©viter les consĂ©quences nĂ©gatives sur les sociĂ©tĂ©s canadiennes ou les filiales d’entreprises amĂ©ricaines qui souhaitent rester au Canada.

Immigration, NEXUS et projet de loi canadien sur le précontrôle

L’une des modifications de politique qui alimente possiblement le plus les discussions est celle relative Ă  l’immigration, qui fait suite Ă  l’interdiction d’entrĂ©e des États-Unis des ressortissants de plusieurs pays.

Henry Chang, coprĂ©sident du groupe des activitĂ©s Ă©conomiques et commerciales internationales de Blaney McMurtry Ă  Toronto, croit que les consulats amĂ©ricains ont concrĂ©tisĂ© la promesse de M. Trump de mener des enquĂŞtes plus poussĂ©es, tandis que les agents des services frontaliers « font preuve de plus agressivitĂ© que d’ordinaire ». M. Chang et ses collègues constatent que les examens sont plus approfondis lorsque vient le temps d’octroyer des permis aux points d’entrĂ©e. Les demandes, autrefois facilement approuvĂ©es, sont maintenant rejetĂ©es au moins une fois ou deux.

Mme Todgham Cherniak mentionne que plusieurs de ses clients canadiens se sont vus retirer leur carte NEXUS aux douanes amĂ©ricaines au cours des derniers mois, mĂŞme s’ils n’avaient rien fait justifiant la rĂ©vocation de leur laissez-passer. Depuis que M. Trump a accĂ©dĂ© au pouvoir, elle n’a pas Ă©tĂ© en mesure d’infirmer les dĂ©cisions qu’ont prises les États-Unis relativement Ă  la rĂ©vocation de permis NEXUS. Il est extrĂŞmement difficile pour ces gens de rĂ©cupĂ©rer leur permis, affirme-t-elle, « et il est presque impossible de trouver la vĂ©ritable raison pour laquelle les agents commettent ces gestes ».

Bien qu’elle ne possède pas de preuve irrĂ©futable Ă  cet Ă©gard, elle croit qu’une politique qui cible des personnes en particulier a Ă©tĂ© adoptĂ©e et que le gouvernement amĂ©ricain ignore ce qui a jadis Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© d’un commun accord par les gouvernements du Canada et des États-Unis.

Selon M. Chang, l’un des enjeux importants qui n’a pas Ă©tĂ© abordĂ© de façon prioritaire est le projet de loi canadien sur le prĂ©contrĂ´le. Ce projet de loi modifie la lĂ©gislation existante permettant aux agents douaniers des États-Unis et aux agents de protection frontalière en sol canadien d’avoir un droit de regard sur les voyageurs avant qu’ils montent Ă  bord d’un avion. Le nouveau projet de loi leur donnerait de vastes pouvoirs, soutient-il.

Actuellement, les voyageurs peuvent dĂ©cider de ne pas se rendre aux États-Unis. Aussi, les agents « ne peuvent les forcer Ă  rĂ©pondre Ă  leurs questions et ne peuvent les arrĂŞter s’ils se trouvent en sol canadien ». Toutefois, sous le rĂ©gime du nouveau projet de loi canadien, si quelqu’un considère une question comme inappropriĂ©e, les agents amĂ©ricains ont le droit de dire : « Vous ne pouvez pas refuser de rĂ©pondre. Vous ĂŞtes juridiquement dans l’obligation de rĂ©pondre Ă  cette question », explique M. Chang. « Une fois que le nouveau projet de loi sera adoptĂ©, si vous ne rĂ©pondez pas Ă  une question, vous pourrez faire face Ă  des accusations criminelles pour obstruction au travail d’un agent de prĂ©contrĂ´le. »

Si le projet de loi sur le prĂ©contrĂ´le est adoptĂ©, M. Chang entrevoit la possibilitĂ© de litiges constitutionnels pour violation de la Charte des droits et libertĂ©s. « Le projet de loi a Ă©tĂ© soumis alors que Barack Obama Ă©tait prĂ©sident », ajoute-t-il, « mais les politiques anti-immigration de Trump ont fait en sorte que plusieurs Canadiennes et Canadiens, et mĂŞme des personnes possĂ©dant la rĂ©sidence permanente ou un permis de travail, se retrouvent sur cette liste. Ils seraient assujettis Ă  un examen plus approfondi s’ils proviennent d’un pays musulman. Il est dĂ©jĂ  assez lamentable de voir ces choses se produire aux frontières et dans les aĂ©roports des États-Unis. Souhaitons-nous rester les bras croisĂ©s et leur permettre d’agir de la mĂŞme façon au Canada? »

(Note : Pour en savoir plus sur le projet de loi sur le prĂ©contrĂ´le, consultez le mĂ©moire de l’ABC et le blogue Influence de l’ABC.)

En dĂ©pit de l’incertitude et de l’angoisse que provoquent les modifications constantes qu’apporte l’administration Trump aux politiques, les juristes du Canada devraient continuer Ă  se concentrer sur les occasions qui s’offrent Ă  eux, soutient Mme Todgham Cherniak. « Nous ne pouvons pas considĂ©rer tout ce que fait l’administration Trump d’un Ĺ“il nĂ©gatif. Toute semence peut germer et donner une abondance de possibilitĂ©s. »

Ann Macaulay contribue rĂ©gulièrement au contenu d’EnPratique de l’ABC.