Quel est l’intérêt des mandats à portée limitée?

  • Carolynne Burkholder-James

Les mandats Ă  portĂ©e limitĂ©e sont prĂ©sentĂ©s comme un moyen de favoriser l’accès Ă  la justice tout en Ă©largissant la clientèle des avocats, mais certains juristes se montrent sceptiques.

Aussi appelĂ©s services juridiques dĂ©groupĂ©s, les mandats Ă  portĂ©e limitĂ©e permettent de fournir des services limitĂ©s Ă  un client, c’est-Ă -dire de ne le reprĂ©senter que pour une partie d’un dossier. Un avocat pourrait par exemple rĂ©diger des plaidoiries pour son client sans toutefois le dĂ©fendre en cour.

Ken Walker, prĂ©sident de la Law Society of British Columbia, compare cela Ă  la sous-traitance en construction : « On fait appel Ă  vous non pour bâtir la maison entière, mais uniquement pour installer l’Ă©lectricitĂ© ou encore les cloisons sèches. »

M. Walker, qui pratique Ă  Kamloops, en Colombie-Britannique, raconte qu’il a offert des services dĂ©groupĂ©s par le passĂ©, notamment dans une affaire de juridiction provinciale oĂą on lui a demandĂ© de ne prĂ©senter que l’exposĂ© introductif.

« Je pense qu’il y a lĂ  l’occasion pour les juristes de non seulement faire de l’argent, mais aussi d’aider des gens qui ne pourraient pas autrement se payer leurs services », argumente-t-il.

Lorne Sossin, doyen de l’Osgoode Hall Law School, est d’avis qu’un des grands avantages des services dĂ©groupĂ©s est que plus de clients peuvent se les permettre.

« Ces services permettent Ă  plus de clients d’avoir accès Ă  plus de services auprès d’un bassin Ă©largi d’avocats, et ainsi de choisir les services dont ils ont vraiment besoin en fonction de ce qu’ils peuvent payer, explique M. Sossin. Par exemple, certains requièrent surtout des conseils ou de l’aide pour prĂ©parer leurs arguments, tandis que d’autres ont besoin qu’on les aide Ă  prĂ©senter leurs arguments. »

Jamie Maclaren, directeur gĂ©nĂ©ral de l’organisation vancouvĂ©roise Access Pro Bono, est aussi d’avis que le principal avantage des mandats Ă  portĂ©e limitĂ©e pour les clients est le rapport coĂ»t-efficacitĂ©.

« Si un client impliquĂ© dans un litige peut embaucher un avocat pour en rĂ©gler seulement une partie, il en ressortira gagnant, dĂ©clare-t-il. En outre, il aura la tranquillitĂ© d’esprit d’ĂŞtre conseillĂ© par un professionnel et de se savoir sur la bonne voie. »

M. Sossin loue aussi les services dégroupés pour leur transparence.

« Ces mandats favorisent la transparence. Ils clarifient les diverses Ă©tapes d’une procĂ©dure judiciaire, ainsi que ce qui entre en jeu lors de chacune, les attentes du client envers l’avocat, et les limites de ce que celui-ci peut faire. » Il ajoute qu’ils sont souvent facturĂ©s selon un prix fixe, plutĂ´t qu’Ă  l’heure.

« Je pense que le groupe qui en profitera le plus, c’est la classe moyenne – dont beaucoup de membres disposent d’un budget limitĂ© pour des services juridiques. »

M. Maclaren, ardent dĂ©fenseur de l’accès Ă  la justice, dit avoir gĂ©nĂ©ralement une opinion très positive des services dĂ©groupĂ©s, mais reconnaĂ®t toutefois qu’ils peuvent « très bien paraĂ®tre en thĂ©orie, mais ĂŞtre plus difficiles Ă  mettre en pratique ».

« Il peut ĂŞtre difficile de prendre en charge un dossier au beau milieu d’une affaire, car il faut s’informer de tout ce qui s’est passĂ© depuis le dĂ©but des procĂ©dures, observe-t-il. Sans compter qu’il peut ĂŞtre ardu de boucler le dossier alors que le litige est loin d’ĂŞtre rĂ©glĂ©. »

Beaucoup d’avocats s’inquiètent aussi de leur part de responsabilitĂ©.

Selon M. Sossin, « les clients pourraient croire l’avocat responsable de toutes les facettes du dossier, mĂŞme si son rĂ´le a Ă©tĂ© clairement dĂ©fini. Comment dire non s’ils demandent conseil sur un point hors mandat? »

MM. Walker et Sossin s’accordent pour dire qu’afin d’Ă©viter de tels problèmes, le mieux est de s’entendre sur la portĂ©e de ses services avec son client.

« Le client doit savoir exactement ce pour quoi il vous a engagĂ©, prĂ©vient M. Walker. Dans mon bilan, j’explique exactement ce que j’ai fait, ce que je ne ferai pas et ce qu’il aura Ă  faire lui-mĂŞme. Cela limite ma responsabilitĂ© tout en lui indiquant clairement Ă  quoi s’attendre. »

« Il faut ĂŞtre prĂ©voyant : prĂ©parer une lettre qui Ă©nonce la portĂ©e du mandat et en discuter en termes clairs avec le client, ajoute M. Sossin. Cela sert Ă  protĂ©ger les clients, mais surtout, Ă  expliciter leurs attentes envers nous. La jurisprudence montre bien qu’en cas d’ambiguĂŻtĂ© ou d’affirmations contradictoires quant Ă  la portĂ©e du mandat d’un juriste, et en l’absence de preuve Ă©crite, c’est au client qu’est accordĂ© le bĂ©nĂ©fice du doute. »

Voilà pourquoi certaines autorités de réglementation canadiennes ont établi des lignes directrices sur les services dégroupés.

Le Barreau du Haut-Canada a modifiĂ© ses règles en 2011 dans le but d’Ă©clairer les juristes Ă  ce sujet.

« En reconnaissant explicitement l’option, les règles la lĂ©gitiment tout en ouvrant la porte Ă  plus d’expĂ©rimentation autour des modèles de mandats Ă  portĂ©e limitĂ©e », relate M. Sossin. Il indique toutefois qu’il reste encore Ă  prouver si les modifications sont « efficaces et suffisantes ».

Afin qu’il soit plus facile d’offrir des services dĂ©groupĂ©s, la Law Society of British Columbia a retouchĂ© son code de dĂ©ontologie en 2013, clarifiant les Ă©tapes Ă  suivre pour limiter sa responsabilitĂ© et Ă©viter d’autres problèmes potentiels.

Conseiller de la Law Society of B.C., M. Maclaren voit cette avancĂ©e d’un très bon Ĺ“il.

« Je pense que nous, juristes qui nous prĂ©occupons de l’accès Ă  la justice et aux services juridiques, nourrissions beaucoup d’espoirs quant aux effets positifs de ces changements sur ce plan », soutient-il.

Il admet toutefois que les effets n’ont pas eu toute l’envergure escomptĂ©e.

« Nous espĂ©rions tout spĂ©cialement voir les services dĂ©groupĂ©s offerts plus souvent en droit de la famille, afin que les gens puissent choisir parmi un plus grand nombre d’options abordables. Cela ne s’est pas concrĂ©tisĂ© Ă  la hauteur de nos espoirs. »

M. Maclaren demeure tout de mĂŞme optimiste quant Ă  l’avenir des mandats Ă  portĂ©e limitĂ©e.

« Je pense que nous saurons venir Ă  bout des rĂ©serves, principalement par la sensibilisation, l’Ă©ducation et la formation sur le recours appropriĂ© et efficace Ă  ce type de mandat », conclut-il. 

Ancienne journaliste, Carolynne Burkholder-James est avocate adjointe Ă  Heather Sadler Jenkins LLP, Ă  Prince George, en Colombie-Britannique, et contribue rĂ©gulièrement Ă  EnPratique de l’ABC.