Pour une réforme efficace

  • 26 avril 2022

Bien qu’il soit mort au Feuilleton, le projet de loi C-32 dĂ©posĂ© Ă  la Chambre des communes en 2021 soulève des inquiĂ©tudes parmi les membres de la Section des juristes d’expression française de common law de l’Association du Barreau canadien.

En prĂ©vision du dĂ©pĂ´t d’un nouveau projet de loi visant la modernisation de la Loi sur les langues officielles (dĂ©posĂ© depuis l’envoi de la lettre), la section partage ses inquiĂ©tudes face Ă  la rĂ©forme avec la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor, le ministre de la Justice et procureur gĂ©nĂ©ral du Canada David Lametti et la prĂ©sidente du Conseil du TrĂ©sor Mona Fortier.

La section est d’avis que la nĂ©cessaire modernisation de la Loi en fasse un outil efficace qui rĂ©pond Ă  la rĂ©alitĂ© contemporaine de la dualitĂ© linguistique canadienne.

En octobre 2018, l’ABC avait, dans un mĂ©moire prĂ©sentĂ© au ComitĂ© sĂ©natorial permanent des langues officielles, plusieurs recommandations dont la modification du paragraphe 16(1) de la Loi sur les langues officielles afin d’assujettir la Cour suprĂŞme du Canada Ă  l’obligation relative Ă  la comprĂ©hension des langues officielles sans l’aide d’un interprète.

Aujourd’hui, la section recommande au gouvernement de maintenir son engagement Ă  renforcer et Ă©largir les pouvoirs du Conseil du TrĂ©sor, notamment la coordination de la mise en Ĺ“uvre de la Loi sur les langues officielles. L’ABC demande aussi que l’on confie le rĂ´le stratĂ©gique de la coordination horizontale Ă  un seul ministre.

« MalgrĂ© ces engagements Ă  première vue prometteurs, peut-on lire dans la lettre de l’ABC, le projet de loi C-32 proposait un rĂ©gime linguistique qui continue de partager la responsabilitĂ© de coordonner la mise en Ĺ“uvre de la Loi sur les langues officielles entre le ministère du Patrimoine canadien et le Conseil du TrĂ©sor. » La section est d’avis que cette architecture est insoutenable.

La partie VII de la Loi sur les langues officielles

Le projet de loi C-32 ne règle en rien les problèmes liĂ©s Ă  la partie VII de la Loi, dont les consĂ©quences sont dĂ©taillĂ©es dans l’arrĂŞt de la Cour fĂ©dĂ©rale dans l’affaire FĂ©dĂ©ration des francophones de la C-B c. Canada (Emploi et DĂ©veloppement social).

Le problème tourne autour du vocabulaire utilisĂ© au paragraphe 41(2), qui suggère une obligation gĂ©nĂ©rale de prendre des « mesures positives » sans pour autant Ă©tablir un seuil minimal de mesures positives Ă  atteindre.

« Le libellĂ© imprĂ©cis de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, dit la section, fait donc obstacle Ă  sa mise en Ĺ“uvre. Nous vous exhortons Ă  revoir son libellĂ© afin d’empĂŞcher que la partie VII demeure inerte et sans effets juridiques concrets. »

Faillite, magistrature, Constitution, jugements bilingues

La section s’inquiète de l’absence de garanties lĂ©gislatives assurant le bilinguisme judiciaire en matière de faillite et d’insolvabilitĂ©. Il semble Ă©trange, dit la lettre, « de ne pas avoir profitĂ© du contexte de l’importante rĂ©forme en matière de langues officielles que vous promettez pour enfin rĂ©gler le problème de l’unilinguisme dans le domaine de la faillite et de l’insolvabilitĂ©. »

La section se dit aussi déçue de ce que la Loi sur les langues officielles proposĂ©e soit silencieuse sur l’Ă©valuation des compĂ©tences linguistiques des candidats Ă  la magistrature. Nous aurions prĂ©fĂ©rĂ© « que votre gouvernement s’engage Ă  lĂ©gifĂ©rer un processus obligatoire d’Ă©valuation rigoureuse des compĂ©tences linguistiques des candidats Ă  la magistrature qui ont prĂ©cisĂ© leur niveau de capacitĂ© linguistique dans leur fiche de candidature afin d’assurer une capacitĂ© bilingue appropriĂ©e au sein des tribunaux. C’est une demande de longue date de l’ABC. »

L’autre grande absente de la rĂ©forme est la version française de la Constitution. « Alors que la Constitution du Canada garantit l’Ă©galitĂ© de statut du français et de l’anglais et prĂ©voit que les lois du Parlement doivent ĂŞtre promulguĂ©es dans les deux langues officielles, la nette majoritĂ© des textes constitutionnels du Canada, incluant son texte fondateur (c’est-Ă -dire la Loi constitutionnelle de 1867), ne sont officiels qu’en anglais. C’est afin de remĂ©dier Ă  cette incongruitĂ© que le constituant a adoptĂ© l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel encadre l’obligation de rĂ©diger et de dĂ©poser pour adoption la version française des parties de la Constitution canadienne qui ne sont officielles qu’en anglais. Cette promesse solennelle du constituant demeure inachevĂ©e. »

La section est consciente que la traduction de dĂ©cisions judiciaires requiert une importante affectation de ressources humaines. Mais elle Ă©met un avertissement quant Ă  l’article 12 du projet de loi C-32 qui aurait pour effet de restreindre la portĂ©e de l’obligation universelle de publier les dĂ©cisions dĂ©finitives des tribunaux fĂ©dĂ©raux dans les deux langues officielles.

« Il s’agit d’une dilution ou d’un recul qui s’inscrit en porte-Ă -faux avec l’orientation gĂ©nĂ©rale de progrès ou d’avancement sous-tendant le projet de loi. Ă€ notre avis, une telle mesure doit faire l’objet d’un examen attentif et ĂŞtre abordĂ©e avec prudence. »

La section se range derrière une recommandation formulĂ©e par le commissaire aux langues officielles du Canada, qui mettrait en place un système d’examen des dĂ©cisions pour ne traduire que celles ayant valeur de prĂ©cĂ©dent ou prĂ©sentant une importance pour le public.