Gruger le capital n’est pas une solution

  • 27 octobre 2021

Le contingent des versements (CV) est la somme minimale qu’un organisme de bienfaisance doit verser pour ses activitĂ©s de bienfaisance et ses dons Ă  des donataires reconnus. Ce seuil a pour but de garantir que les fonds collectĂ©s par un organisme de bienfaisance sont consacrĂ©s Ă  des activitĂ©s de bienfaisance et non pas accumulĂ©s indĂ©finiment. Le CV est calculĂ© en fonction de la valeur des biens de l’organisme qui ne sont pas utilisĂ©s pour mener ou administrer ses activitĂ©s caritatives.

La Section du droit des organismes de bienfaisance et Ă  but non lucratif de l’Association du Barreau canadien s’oppose Ă  une majoration du CV. Dans une lettre adressĂ©e Ă  Finances Canada – et qui faisait suite Ă  une autre lettre adressĂ©e Ă  la ministre des Finances (les deux lettres sont disponibles uniquement en anglais et les citations qui en sont tirĂ©es sont des traductions) –, elle affirme qu’augmenter le CV dans le contexte actuel, oĂą les taux d’intĂ©rĂŞt sont très faibles, rendrait la vie difficile Ă  de nombreux organismes de bienfaisance.

Le CV a Ă©tĂ© introduit en 1975. En 2004, en raison des faibles taux d’intĂ©rĂŞt et des difficultĂ©s rencontrĂ©es par les organismes de bienfaisance pour respecter leur CV, il a Ă©tĂ© diminuĂ© pour les fondations privĂ©es et publiques, passant de 4,5 % Ă  3,5 %, un taux qui a Ă©tĂ© Ă©tendu aux organismes de bienfaisance.

Le rapport d’un comitĂ© sĂ©natorial prĂ©sentĂ© en 2019 soulevait des inquiĂ©tudes par rapport au CV. Le comitĂ© se demandait notamment si le fait de permettre aux organismes d’accumuler des fonds rĂ©pondait aux besoins du public, si les organismes ne pourraient pas faire preuve d’une plus grande transparence, et si le bien public ne devrait pas l’emporter sur les intĂ©rĂŞts privĂ©s dans la rĂ©partition des dĂ©penses.

La section est d’avis que l’augmentation du CV n’est pas une bonne façon de rĂ©pondre Ă  ces inquiĂ©tudes. Elle estime qu’avant de modifier le rĂ©gime, le gouvernement devrait s’assurer qu’il dispose des donnĂ©es nĂ©cessaires pour dĂ©terminer avec prĂ©cision la nature des problèmes Ă©ventuels.

« La principale source de donnĂ©es est la dĂ©claration annuelle T3010, que tous les organismes de bienfaisance doivent transmettre Ă  l’Agence du revenu du Canada et qui indique le CV de l’organisme et s’il a Ă©tĂ© respectĂ© », Ă©crit la section, ajoutant que la question n’est pas simplement de savoir si le CV a Ă©tĂ© respectĂ©.

« Par exemple, les placements dĂ©tenus par les grands organismes de bienfaisance faussent-ils le calcul du pourcentage moyen de versements? Comment les organismes dĂ©pensent-ils leurs fonds pour respecter leur CV? » La section recommande le lancement d’une Ă©tude approfondie pour dĂ©terminer si « augmenter le CV rĂ©pondrait Ă  l’objectif de mieux soutenir les organismes de bienfaisance et les organisations Ă  but non lucratif qui collectivement fournissent des services aux communautĂ©s locales ».

Complexité excessive

Pendant de nombreuses annĂ©es, les organismes de bienfaisance ont dĂ» supporter un lourd fardeau en matière d’observation de la loi, en raison de la complexitĂ© du rĂ©gime du CV.

Ă€ l’heure actuelle, le CV s’applique au niveau de l’organisme et non Ă  celui des fonds de dotation nommĂ©s ou des fondations individuelles. Certains proposent d’appliquer le CV au niveau des fonds individuels et d’exiger des versements minimaux pour chaque fonds dĂ©tenu par l’organisme. « S’il est vrai qu’une telle règle contribuerait Ă  une plus grande transparence, elle augmenterait aussi considĂ©rablement les coĂ»ts administratifs des organismes », Ă©crit la section, ajoutant qu’il faudrait d’abord dĂ©terminer si un problème existe rĂ©ellement avant de prescrire un remède qui pourrait ne pas ĂŞtre adaptĂ© Ă  la situation.

Durabilité et prévisibilité

Les organismes de bienfaisance utilisent parfois leurs actifs immobilisés pour générer des revenus qui sont ensuite affectés à des activités de bienfaisance. Une augmentation du CV aurait un impact important sur ces organismes en les obligeant à gruger leur capital de base.

« Les organismes de bienfaisance peuvent difficilement planifier leur avenir sans savoir s’ils disposent de fonds annuels, et dans quelle mesure le cas Ă©chĂ©ant, pour financer leurs programmes actuels et futurs, dĂ©clare la section. Les organismes doivent ĂŞtre en mesure d’investir leurs deniers prudemment, de façon Ă  financer leurs activitĂ©s tout en protĂ©geant la valeur de leur portefeuille contre l’inflation. Une majoration du CV menacerait cet Ă©quilibre et inciterait les organismes Ă  faire des placements plus risquĂ©s. »

Une possibilitĂ© serait d’Ă©largir notre conception de ce qu’est un « versement affectĂ© aux activitĂ©s de bienfaisance » aux fins du CV. Les placements qui permettent Ă  un organisme d’atteindre ses objectifs de bienfaisance tout en gĂ©nĂ©rant un rendement, comme les investissements Ă  vocation sociale, ne sont pas considĂ©rĂ©s actuellement comme des versements Ă  ce titre. Selon la section, cette non-reconnaissance dissuade les organismes de bienfaisance possĂ©dant d’importants actifs d’investissement de les utiliser pour remplir leur mission et servir la collectivitĂ©.

Le CV ordonne simplement aux organismes de dĂ©penser une part de leurs fonds; il ne dit rien sur la façon de dĂ©penser ces fonds. « Majorer le CV et augmenter les dĂ©penses et les versements immĂ©diats aura des consĂ©quences sur le financement disponible dans les annĂ©es Ă  venir. On ne peut pas prĂ©sumer que si un organisme dĂ©pense plus maintenant, son capital de base se reconstituera les annĂ©es suivantes, ou qu’il pourra compter sur d’autres formes d’aide. Ces questions sont complexes et appellent une approche nuancĂ©e et Ă©quilibrĂ©e. »