Protection des renseignements personnels aux postes frontaliers : un téléphone intelligent s’apparente-t-il plus à une lettre ou à un porte-documents?

  • 18 octobre 2017

L’accent mis sur le besoin de sĂ©curitĂ© depuis le 11 septembre 2001 a encore compliquĂ© l’atteinte d’un Ă©quilibre entre le droit de toute personne Ă  la protection de ses renseignements personnels et le droit de regard de l’État, particulièrement aux postes frontaliers. L’appareil Ă©lectronique personnel, qu’il s’agisse d’un ordinateur portable, d’une tablette ou d’un tĂ©lĂ©phone intelligent, est en train de devenir le point d’Ă©quilibre de ces deux Ă©lĂ©ments.

Il fut un temps oĂą c’Ă©tait notre carte de crĂ©dit dont nous ne pouvions pas nous passer. De nos jours, ce sont nos appareils Ă©lectroniques, et plus particulièrement nos tĂ©lĂ©phones intelligents. Ils nous sont devenus indispensables lorsque nous voyageons, spĂ©cialement depuis que les billets et les cartes d’embarquement sont maintenant disponibles sous forme numĂ©rique.

Dans un mĂ©moire prĂ©sentĂ© au ComitĂ© permanent de l'accès Ă  l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'Ă©thique Ă  la fin septembre, divers groupes de l’ABC soulignent les multiples Ă©checs de la lĂ©gislation Ă  suivre le rythme de l’Ă©volution de la technologie et les rĂ©percussions de ces Ă©checs sur la population canadienne aux postes frontaliers, y compris les juristes qui invoquent le secret professionnel.

« Leur capacitĂ© de stockage et les questions de protection de la vie privĂ©e qui en dĂ©coulent n’ont rien Ă  voir avec le contrĂ´le des bagages physiques, initialement visĂ© par les principes de droit rĂ©gissant le contrĂ´le des bagages », indique le mĂ©moire.

Les porte-documents ne peuvent rĂ©vĂ©ler que de rares informations Ă  votre sujet, vous pouvez en modifier le contenu, vĂ©rifier ce qu’il y a dans les diffĂ©rentes poches, y passer l’aspirateur le cas Ă©chĂ©ant et sauf si vous y collectionnez les autocollants des lieux visitĂ©s, ils ne rĂ©vèlent en rien vos allĂ©es et venues. En revanche, un tĂ©lĂ©phone intelligent est un rĂ©pertoire de toutes vos activitĂ©s : les lieux visitĂ©s et la date de ces visites, les personnes contactĂ©es par tĂ©lĂ©phone et par messagerie (et Ă  quelle frĂ©quence), les pages Web que vous aimez consulter, vos finances, l’historique de vos achats. Si vous y avez synchronisĂ© votre Fitbit, votre tĂ©lĂ©phone peut mĂŞme rĂ©vĂ©ler des dĂ©tails sur votre santĂ©, y compris la frĂ©quence de vos activitĂ©s de conditionnement physique et ce que vous mangez. C’est un mouchard expert tapi au fond de votre poche.

« Cette rĂ©alitĂ© contemporaine n’existait pas quand les dispositions de la Loi sur les douanes qui nous intĂ©ressent furent rĂ©digĂ©es », ajoute le mĂ©moire.

« La Cour suprĂŞme a clairement affirmĂ© qu’en cas d’intrusion dans la vie privĂ©e, la protection constitutionnelle et l’obligation de justification sont Ă  la mesure de l’ampleur de l’intrusion. S’il est vrai que le droit Ă  la vie privĂ©e est rĂ©duit aux frontières, ce droit existe toujours. »

La pratique des « fouilles en l’absence de soupçon » attirant une attention croissante, le commissaire Ă  la protection de la vie privĂ©e a entamĂ© une enquĂŞte sur les fouilles d’appareils Ă©lectroniques effectuĂ©es par l’Agence des services frontaliers du Canada. Pendant sa comparution au sujet du projet de loi C-23, le commissaire Therrien a soulignĂ© que le projet de loi C-23 reconnaĂ®t le « caractère sensible » d’autres types de fouilles, notamment la fouille Ă  nu, mais omet de reconnaĂ®tre que la fouille d’un tĂ©lĂ©phone intelligent pourrait ĂŞtre beaucoup plus indiscrète en raison du genre de renseignements qu’il peut contenir.

Le mĂ©moire examine la question de savoir si un tĂ©lĂ©phone intelligent peut ĂŞtre considĂ©rĂ© comme une « marchandise » au sens de la Loi sur les douanes et affirme que cette loi « ne prĂ©voit rien concernant les donnĂ©es Ă©lectroniques stockĂ©es dans un appareil ou accessibles Ă  partir de celui-ci ». Le groupe soutient que le tĂ©lĂ©phone intelligent s’apparente plutĂ´t au courrier postal. Les agents des douanes peuvent examiner une enveloppe, mais il leur est interdit de l’ouvrir s’ils n’ont pas de motifs raisonnables de soupçonner qu’elle contient des marchandises d’importation prohibĂ©e, contrĂ´lĂ©e ou rĂ©glementĂ©e.

« D’incalculables quantitĂ©s de donnĂ©es Ă©lectroniques traversent la frontière canadienne par les câbles optiques sans que l’ASFC en sache quoi que ce soit. Tout examen de ces donnĂ©es sans mandat serait inconstitutionnel aux termes de la Charte, et aucun tribunal ne consentirait Ă  autoriser par mandat une chasse tous azimuts Ă  ces donnĂ©es. En quoi les donnĂ©es contenues dans un appareil Ă©lectronique que transporte un voyageur sont-elles diffĂ©rentes? Force est de conclure qu’il faut un mandat ou une autre autorisation judiciaire pour pouvoir examiner, Ă  la frontière, les donnĂ©es stockĂ©es dans un appareil ou accessibles Ă  partir d’un appareil. »

Le mĂ©moire contient 17 recommandations qui portent sur un vaste Ă©ventail de sujets notamment les prĂ©occupations exprimĂ©es dans des mĂ©moires antĂ©rieurs au sujet du projet de loi C-21 et plus particulièrement dans celui au sujet du projet de loi C-23, le projet de loi sur le prĂ©contrĂ´le, qui y est dĂ©crit comme une profonde atteinte au droit Ă  la protection des renseignements personnels. Elles portent en outre sur le besoin qu’un groupe de travail Ă©labore une politique dĂ©finie pour les fouilles aux postes frontaliers qui recouvrent des renseignements protĂ©gĂ©s par le secret professionnel de l’avocat, et que cette politique soit mise Ă  la disposition du public sur le site Web de l’ASFC, ainsi que sur la nĂ©cessitĂ© d’un contrĂ´le efficace de l’ASFC et de mĂ©canismes de dĂ©pĂ´t de plaintes et que toute communication de renseignements personnels recueillis Ă  la frontière soit assujettie aux règles applicables en matière de protection des renseignements personnels.

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