L’énigme cannabis : s’il est légalisé, pourquoi le traiter comme l’herbe du diable?

  • 18 octobre 2017

Depuis près de 40 ans, l’ABC est ouvertement favorable à la modification de la façon dont le droit traite le cannabis. Dans son premier mémoire remontant à 1978, l’Association exhortait le gouvernement à cesser de criminaliser la possession simple, et prônait le retrait de la marijuana de la Loi sur les stupéfiants pour plutôt l’inclure dans la Loi sur les aliments et drogues.

Alors qu’elle loue l’intention qui sous-tend le projet de loi C-45, Loi sur le cannabis, la Section du droit pénal souligne que la loi proposée est loin de constituer une régularisation de la consommation de la marijuana. Dans des commentaires exprimés à propos d’un document de discussion de 2016 (uniquement en anglais), la section faisait remarquer que l’approche adoptée par le gouvernement pourrait être taxée de pas vers la « décriminalisation », mais en tout état de cause ne peut être correctement décrite comme une « légalisation » car la loi demeure largement tributaire du droit pénal.

« Une chose est certaine : le projet de loi C-45 est un pas dans la bonne direction. Cela dit, sa timide « légalisation » reste fortement tributaire du droit pénal pour sa répression des conduites autres que celles passibles d’une amende », écrit la Section du droit pénal dans son mémoire le plus récent. Elle continue de prôner une approche de la possession, de la distribution et de la production de cannabis qui soit fondée sur la réglementation au lieu du droit pénal.

« En vertu du projet de loi C-45, une activité légale ne se distinguerait trop souvent d’un crime grave et sévèrement sanctionné qu’en raison d’une légère variation factuelle. »

Le gouvernement affirme que l’allègement du fardeau que représente le cannabis pour le système de justice pénale et l’une des justifications de sa légalisation. Et pourtant, la peine maximale prévue par le projet de loi C-45 pour certaines infractions de possession et de distribution est de 14 ans de prison. Eu égard au fait que les peines maximales prévues pour des infractions comparables connexes à l’alcool et au tabac seraient beaucoup moins sévères, un emprisonnement de 14 ans semble quelque peu disproportionné et pourrait ouvrir la porte à des contestations fondées sur la Charte.

« Les peines proposées éclipsent celles qui sont en vigueur, en vertu desquelles même les opérations à grande échelle ne conduisent normalement pas à 14 ans d’emprisonnement. Bien que des sanctions sévères puissent être appropriées dans certains cas comme la distribution de grandes quantités de cannabis illicite, elles devraient être d’exception dans un régime de légalisation. S’il faut traiter le cannabis comme le tabac ou l’alcool, les infractions liées à ces substances devraient être comparables. »

L’élimination des ventes sur le marché noir est l’une des autres raisons invoquées pour la légalisation du cannabis. Cependant, dans ce domaine aussi, la section considère que la législation proposée comporte des lacunes : pour éliminer le marché noir, affirme-t-elle, le produit doit être abordable et facile d’accès.  En outre, la législation proposée ne tient pas compte des Canadiens et Canadiennes pour lesquels le cannabis peut ne répondre ni à l’une ni à l’autre de ces conditions.

« Quiconque transporte plus de 30 grammes de cannabis en vue d’en faire la distribution à d’autres adultes consentants, quelle que soit la durée de cette situation, commet une infraction grave. Or, les habitants de zones rurales ou éloignées où le cannabis est moins accessible peuvent être tentés de s’en faire une réserve lors d’un passage en ville pour consommation sur une longue période. L’alcool et le tabac ne font pas l’objet de peines et d’interdictions de la sorte : on peut les acheter en toute quantité et les transporter n’importe où. » (Nous soulignons.)

Selon la section, les restrictions imposées quant au nombre et à la taille des plantes en cas de culture à domicile pour la consommation personnelle diffèrent également largement de celles imposées par les lois actuelles visant la production d’alcool et de tabac à domicile.

« La légalisation de la culture à domicile, conjuguée à la création d’une industrie robuste, réglementée et capable de répondre à la demande, pourrait éliminer le marché noir. Qui plus est, les cultivateurs à domicile seraient moins tentés de surproduire, et le crime organisé de revenir à la charge. »

Le mémoire présente les trois recommandations suivantes de modifications du projet de loi C-45 :

  1. que les procédures par mise en accusation dans le projet de loi C-45 soient considérablement réduites;
  2. qu’en attendant la légalisation du cannabis, des mesures provisoires soient prises afin d’éviter l’emprisonnement en conséquence de comportements qui seront sous peu légaux;
  3. que le libellé de l’article 51 du projet de loi C-45 soit renforcé pour faire en sorte qu’un agent de police doive (plutôt que puisse) envisager l’imposition d’une contravention avant le dépôt d’une accusation.

Le mémoire porte sur un certain nombre d’autres points, dont les licences et permis pour la vente de la marijuana, le programme pour la marijuana médicinale et la nécessité de la création d’un régime de règlementation issu d’une collaboration entre les divers ordres de gouvernement.

« La section de l’ABC appuie l’adoption de lois rendant le cannabis et les produits du cannabis plus accessibles aux adultes et visant à écarter le crime organisé et les autres criminels du marché du cannabis en les privant de profits. Comme pour l’alcool et le tabac, rien ne devrait inciter les individus à produire eux-mêmes du cannabis en vue de tirer profit d’un marché illicite. Il reste cependant beaucoup à faire afin que soient réalisés les objectifs du gouvernement, et que l’encadrement du cannabis soit soustrait aux procédés sans nuance du droit pénal. »

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