Oui, mais en fait, non : malgré toutes ses bonnes intentions, le projet de loi C-51 n’améliorerait pas la justice dans les dossiers d’agression sexuelle

  • 15 novembre 2017

Les modifications proposĂ©es par le projet de loi C-51 au rĂ©gime des agressions sexuelles prĂ©vu par le Code criminel menacent de nuire Ă  la possibilitĂ© qu’a un accusĂ© de se dĂ©fendre pleinement, suggère la Section du droit pĂ©nal de l’ABC.

Le projet de loi propose d’abroger des articles inconstitutionnels ou dĂ©suets du Code criminel; objectif appuyĂ© sans rĂ©serve par l’ABC. Cependant, s’agissant d’autres parties du projet de loi, telles celles qui portent sur les cas d’agression sexuelle plus prĂ©cisĂ©ment, « la section de l’ABC est d’avis qu’une bonne partie de ce qui est proposĂ© n’amĂ©liorerait pas vraiment la justice, ni pour les plaignants, ni pour les accusĂ©s », Ă©crit-elle dans une lettre adressĂ©e au prĂ©sident du ComitĂ© permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.

Ainsi, non seulement les modifications projetĂ©es pour le paragraphe 153.1(5) et l’article 273.2 au sujet de la croyance au consentement sont inutiles puisqu’elles adressent un point dĂ©jĂ  couvert par le droit existant, mais l’ajout de l’alinĂ©a c) proposĂ©, qui fait peser le fardeau de la preuve du consentement sur l’accusĂ©, « pourrait ĂŞtre interprĂ©tĂ© comme une inversion du fardeau de la preuve contraire Ă  l’article 7 de la Charte », affirme la section. « Ce qu’il faut, c’est rendre une dĂ©cision raisonnable en tenant compte de ce que l’accusĂ© savait et de ce qu’il a fait pour confirmer le consentement. »

En outre, exiger de l’accusĂ© qu’il Ă©tablisse que le comportement du plaignant exprimait « de façon explicite » son consentement « amènerait non pas une prĂ©cision dans la loi, mais de l’incertitude ». Si l’alinĂ©a c) doit malgrĂ© tout demeurer dans la lĂ©gislation, la Section recommande d’en retirer l’expression « de façon explicite ».

Le paragraphe 276(4) Ă©largirait la dĂ©finition du terme « activitĂ© sexuelle » de façon Ă  englober les communications « Ă  des fins d’ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle ». Il y a une diffĂ©rence fondamentale entre l’activitĂ© sexuelle elle-mĂŞme et le fait d’en parler, affirme la section.

D’autre part, l’article 278.92 tel qu’il est proposĂ© susciterait un certain nombre de questions du point de vue de sa constitutionnalitĂ© puisqu’il limite la capacitĂ© de l’accusĂ© Ă  se fier Ă  des documents tels que des courriels ou autres communications avec le plaignant.

« Sous le rĂ©gime du projet de loi C-51, un accusĂ© ayant des dossiers pouvant rĂ©cuser le plaignant ou un tĂ©moin ne pourrait les invoquer sans en avoir d’abord sollicitĂ© l’autorisation du tribunal. L’accusĂ© ayant sous la main des preuves pertinentes et substantielles sur la crĂ©dibilitĂ© du plaignant serait ainsi forcĂ© d’en divulguer les dĂ©tails au tribunal, ce qui reviendrait Ă  informer la poursuite et le plaignant de toute incohĂ©rence dans la preuve », dĂ©clare la section avant d’ajouter que cela s’Ă©loignerait de la jurisprudence Ă©tablie par la Cour suprĂŞme dans R. c. Mills et n’empĂŞcherait pas les « expĂ©ditions de pĂŞche aux renseignements » nuisibles qui constituaient les principales prĂ©occupations dans ce dossier.

Le Code criminel protège les dossiers thĂ©rapeutiques des personnes allĂ©guant une agression sexuelle en limitant l’accès aux dĂ©clarations antĂ©rieures dans les cas oĂą le respect de la vie privĂ©e est attendu ou mĂŞme vital pour la relation avec le mĂ©decin. Cependant, le projet de loi C-51 Ă©tendrait ces dispositions pour accorder la mĂŞme protection aux dĂ©clarations ordinaires. « La dĂ©finition du terme “dossier” est assez large pour inclure les courriels, les messages textes et les autres messages de ce genre du plaignant Ă  l’accusĂ© », affirme la section. Les dĂ©clarations faites par le plaignant Ă  un tiers ne seraient pas non plus admissibles sans autorisation prĂ©alable du tribunal.

« Obliger l’avocat de la dĂ©fense Ă  faire une demande prĂ©alable procurerait des avantages Ă©vidents au plaignant et au procureur en les informant Ă  l’avance au sujet de ces preuves. […]La section de l’ABC s’interroge sur le caractère constitutionnel d’imposer cette obligation de divulgation Ă  l’accusĂ©, et sur les consĂ©quences possibles sur le droit de celui-ci Ă  une dĂ©fense et rĂ©ponse complètes, un droit garanti par la Charte. »

« Dans une sociĂ©tĂ© juste, libre et dĂ©mocratique, le procès doit respecter le principe fondamental voulant que le vaste pouvoir Ă©tatique soit contrebalancĂ© par le droit de l’accusĂ©, Ă  de rares exceptions près, de garder sa dĂ©fense secrète et de ne la rĂ©vĂ©ler Ă  la poursuite qu’au moment oĂą il dĂ©cide de la produire en cour. Le projet de loi C 51 viendrait rompre cet Ă©quilibre fondamental. »

Le projet de loi proposĂ© accorderait Ă©galement un pouvoir au plaignant de prendre des dĂ©cisions sur la manière de mener les poursuites, ce qui est contraire Ă  l’indĂ©pendance du procureur gĂ©nĂ©ral reconnue par la Constitution.

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