Rendre justice en ligne : le Tribunal de règlement des différends civils de la Colombie-Britannique donne-t-il un modèle… ou une leçon?

  • 09 octobre 2020

Lors de sa rĂ©union de septembre, le Groupe de travail de l’ABC sur la COVID-19 a dĂ©couvert les limites de la technologie alors qu’une vingtaine de tout nouveaux experts dans l’utilisation du logiciel Zoom (d’ailleurs très instruits) tentaient en vain, depuis toutes les rĂ©gions du pays, de se connecter Ă  l’audio afin de pouvoir participer Ă  la rĂ©union.

Après avoir Ă©changĂ© des messages, ĂŞtre sortis puis rentrĂ©s dans la rĂ©union, avoir discutĂ© frĂ©nĂ©tiquement avec le personnel de soutien des TI et regardĂ© le sinistre cercle bleu qui accompagnait le message « connecting to computer audio » pendant 15 minutes, le problème a Ă©tĂ© rĂ©glĂ© et la rĂ©union a eu lieu comme prĂ©vu.

Comme par coĂŻncidence, la confĂ©rencière invitĂ©e de septembre Ă©tait la prĂ©sidente de l’ABC-C.-B., Jennifer Brun, qui parlait du Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils de cette province et des enseignements que nous pouvons en tirer alors que nous dĂ©pendons de plus en plus sur la technologie pour fournir l’accès Ă  la justice.

Pour ceux qui ne le savent pas, la Colombie-Britannique a promulguĂ© une loi en 2012 pour Ă©tablir le Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils – le premier tribunal en ligne du pays en matière de règlement des diffĂ©rends civils –, afin de crĂ©er une option abordable et sans interruption pour rĂ©gler certains diffĂ©rends juridiques. Il a commencĂ© par entendre des litiges en matière de copropriĂ©tĂ© en 2016 et des litiges relevant des petites crĂ©ances pour des montants infĂ©rieurs Ă  5000 $ en 2017. De rĂ©centes modifications ont ajoutĂ© trois nouveaux domaines de compĂ©tence : les litiges portant sur les vĂ©hicules Ă  moteur portant sur la responsabilitĂ© et les prĂ©judices Ă  concurrence de 50 000 $, les dĂ©cisions portant sur les blessures mineures et le droit aux indemnitĂ©s en cas d’accident, ainsi que les diffĂ©rends sans limitation de valeur connexes Ă  la Societies Act et Ă  la Cooperative Associations Act.

Le tribunal fonctionne intĂ©gralement en ligne. Il n’a aucun bureau physique et les participants ne se rencontrent jamais, mĂŞme par tĂ©lĂ©phone ou vidĂ©oconfĂ©rence (sauf quelques exceptions). Un processus guidĂ© permet aux participants de suivre les Ă©tapes allant de la nĂ©gociation prĂ©alable au dĂ©pĂ´t Ă  la nĂ©gociation, en passant par le dĂ©pĂ´t du litige. Un tiers est nommĂ© pour faciliter le processus uniquement si la première Ă©tape ne dĂ©bouche pas sur un règlement. Une audience a lieu, les Ă©lĂ©ments de preuve et plaidoiries Ă©tant prĂ©sentĂ©s par Ă©crit, seulement si les parties ne peuvent s’entendre par l’entremise du tiers. Les dĂ©cisions du Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils sont sans appel. La Cour suprĂŞme de la Colombie-Britannique peut effectuer un contrĂ´le judiciaire des dĂ©cisions du Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils, mais respectera le fait que le tribunal tranche en tant que spĂ©cialiste en la matière.

Dans un Ă©noncĂ© de position en date de 2018 (uniquement en anglais), l’ABC-C.-B. a dĂ©clarĂ© appuyer le recours Ă  des discussions facilitĂ©es par un tiers et Ă  la mĂ©diation pour rĂ©gler les diffĂ©rends, l’utilisation de la technologie pour accroĂ®tre l’accès Ă  la justice hors des heures normales des tribunaux, et l’utilisation par le Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils s’efforce d’un langage simple, ce qui le rend plus accessible.

L’ABC surveille la situation et fait des suggestions pour amĂ©liorer le Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils depuis le dĂ©but, a dit Me Brun. La Division nourrit trois inquiĂ©tudes principales :

  • les restrictions de la reprĂ©sentation juridique,
  • des prĂ©occupations quant Ă  l’accessibilitĂ©,
  • le manque d’indĂ©pendance par rapport au gouvernement.

Le Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils a Ă©tĂ© Ă©tabli en l’absence d’apports de la magistrature ou du barreau, dit Me Brun. Les professionnels du droit auraient pu fournir d’importantes perspectives.

Alors que les personnes qui cherchent Ă  rĂ©gler un litige en ayant recours au Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils peuvent se faire assister, la lĂ©gislation qui Ă©tablit le tribunal exclut expressĂ©ment les juristes qui ne disposent pas d’une autorisation spĂ©ciale du Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils. Une exception a Ă©tĂ© faite pour autoriser les juristes Ă  reprĂ©senter les personnes impliquĂ©es dans les litiges au sujet d’un vĂ©hicule Ă  moteur puisque l’assureur dĂ©pendant du gouvernement a un avocat.

 C’est dans le but de rĂ©duire les coĂ»ts que les juristes sont ostensiblement exclus. Cependant, cela peut se traduire par le fait que les gens ont « accès au règlement, sans accès Ă  la justice », dit Me Brun. « Pour un grand nombre de personnes, le règlement suffit, mais en ce qui concerne des enjeux complexes dont les consĂ©quences sont plus importantes, la justice peut avoir une plus grande valeur. » La Division a demandĂ© que la restriction imposĂ©e Ă  la participation des juristes soit levĂ©e pour tous les dossiers.

Les prĂ©occupations quant Ă  l’accessibilitĂ© dĂ©coulent du fait que l’utilisation des plateformes en lignes n’est pas ouverte Ă  tous et que la maĂ®trise du langage  peut ĂŞtre une « variable importante » lorsque la nĂ©gociation, la facilitation et les audiences ont lieu par Ă©crit, dit Me Brun. Il n’est pas toujours suffisant d’avoir quelqu’un pour aider. Les demandeurs qui n’ont pas accès Ă  un ordinateur ou Ă  l’Internet peuvent se rendre dans l’un des 60 bureaux de Service C.-B. oĂą quelqu’un pourra les aider, mais cette personne ne sera pas forcĂ©ment la mieux placĂ©e pour le faire.

Le manque d’indĂ©pendance dĂ©coule du fait qu’il n’y a pas de sĂ©curitĂ© des mandats : les membres du tribunal sont engagĂ©s, rĂ©munĂ©rĂ©s et mis Ă  pied par le gouvernement mĂŞme qui les a nommĂ©s et qui peut ĂŞtre une partie Ă  certains litiges. Ce problème pourrait ĂŞtre rĂ©glĂ© en transfĂ©rant le Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils au pouvoir judiciaire, ce qui Ă©liminerait le conflit.

MaĂ®tre Brun a Ă©numĂ©rĂ© d’autres inquiĂ©tudes, dont les suivantes :

  • le manque d’examen au fond des dĂ©cisions du Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils, et le respect de ses dĂ©cisions alors mĂŞme que, selon l’avis de la Division, il ne s’agit pas d’un « tribunal spĂ©cialisĂ© » puisqu’il se prononce sur un vaste Ă©ventail de questions,
  • l’Ă©largissement de la compĂ©tence du Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils,
  • le fait que les tĂ©moignages ne sont pas donnĂ©s sous serment et ne sont pas remis en question : il n’y a pas de contre-interrogatoire rigoureux et le membre du tribunal lit les plaidoiries et les tĂ©moignages pour parvenir Ă  sa dĂ©cision,
  • les diffĂ©rends complexes comportant des demandes reconventionnelles ne sont pas faciles Ă  incorporer et il n’existe aucun moyen facile de transfĂ©rer ces dossiers Ă  un tribunal judiciaire,
  • le principe des audiences publiques : ni le public, ni les mĂ©dias n’ont accès aux « audiences » du Tribunal de règlement des diffĂ©rends civils.