Conférence de l’ABC sur le leadership pour professionnelles

  • 18 octobre 2019

Bonjour Ă  toutes et Ă  tous. C’est un plaisir pour moi d’ĂŞtre parmi vous aujourd’hui comme reprĂ©sentante de l’Association du Barreau canadien et de ses trente-six mille membres – dont près de la moitiĂ© sont des femmes.

Penelope Trunk, auteure de l’ouvrage The Brazen Careerist, affirme qu’il n’est jamais bon pour une carrière que de se trouver dans une pièce remplie de femmes – Ă  moins que vous soyez mannequin ou danseuse nue –, car qui dit femmes, dit salaires moins Ă©levĂ©s.

Aussi, toujours selon Mme Trunk, les femmes sont la cause de cette rĂ©alitĂ©. Apparemment, les femmes ne sont pas moins bien rĂ©munĂ©rĂ©es parce qu’elles sont des femmes, mais parce qu’elles choisissent des emplois moins bien payĂ©s. Elles sont mĂ©decins de famille au lieu de spĂ©cialistes, travailleuses sociales au lieu de psychiatres. Si elles veulent gagner plus d’argent, elles devraient viser des emplois mieux rĂ©munĂ©rĂ©s.

La logique de Mme Trunk suggère donc que les avocates devraient choisir de travailler pour de puissantes multinationales plutĂ´t que d’ĂŞtre des conseillères juridiques d’entreprise ou des employĂ©es du gouvernement. Ă€ première vue, l’idĂ©e se tient (bien qu’elle soit entachĂ©e). Toutefois, comme nous le savons tous, plusieurs facteurs pèsent dans le choix d’une carrière, et certains de ces facteurs ne vous laissent parfois pas les coudĂ©es franches. DĂ©solĂ©, Penelope, mais les recherches suggèrent que les conseillères juridiques d’entreprise gagnent moins que leurs homologues masculins. Meilleure chance la prochaine fois.

Le rĂŞve de l’Ă©galitĂ©, bien sĂ»r, c’est de se trouver dans un endroit oĂą votre identitĂ© de genre ne reprĂ©sente pas un facteur dans le type de travail que vous effectuez, dans la quantitĂ© d’argent que vous gagnez, dans la culture dominante du cabinet et dans les personnes qui se conforment le mieux Ă  cette culture.

Il nous reste encore du chemin Ă  faire pour atteindre cet idĂ©al, mais une des façons d’y arriver est en s’appuyant sur les communautĂ©s qui nous entourent.

Une communautĂ©, ce n’est pas seulement le nom de l’emplacement gĂ©ographique oĂą vous habitez, c’est une facette de tout ce que vous ĂŞtes. Aussi, il faut beaucoup de communautĂ©s pour produire une professionnelle accomplie.

Plusieurs des communautĂ©s auxquelles vous appartenez entretiennent un lien avec les adjectifs qui vous dĂ©crivent. Puisque je suis Noire et conseillère d’entreprise, mes communautĂ©s comprennent l’ABC, l’ACCJE, l’Association des avocats noirs du Canada… les avocates. Je fais aussi partie d’autres communautĂ©s qui dĂ©fendent des causes qui m’inspirent.

Les communautĂ©s peuvent ĂŞtre accidentelles ou intentionnelles, mais elles ne se dĂ©veloppent pas sans finalitĂ© et sans objectif commun, sans l’engagement de faire avancer ces objectifs.

Il y a de nombreux rĂ´les Ă  remplir dans chacune de ces communautĂ©s : celui de dirigeante est probablement le plus important, car sans leadership il est difficile d’accomplir quoi que ce soit. Sans rĂŞveur il n’y a pas d’objectifs. Sans entrepreneures et contribuables, il est ardu de financer les projets pour atteindre ces objectifs. Sans bâtisseuses et travailleuses, il est impossible de les achever. Tous les groupes interagissent les uns avec les autres Ă  diffĂ©rents endroits, tissant une toile qui Ă©taye une communautĂ© cohĂ©sive.

Imaginons un diagramme de Venn dans lequel nous plaçons les gens se trouvant dans cette pièce. Au centre se trouve le point plus grand de l’intersection : Ă  l’exception du seul homme qui, Ă  ma connaissance, s’est inscrit Ă  cette confĂ©rence (bonjour Ray!), nous sommes des femmes, c’est quelque chose que nous avons toutes en commun. Nous jouons toutes un rĂ´le dans une histoire qui se fonde sur ce point commun.

Les personnes qui sont ici aujourd’hui ne pratiquent pas toutes le droit, mais la plupart d’entre elles sont des professionnelles, avec tous les points de contact liĂ©s au fait de devoir composer avec un monde qui dans une grande mesure n’a pas Ă©tĂ© bâti pour nous… un monde que nous avons dĂ» façonner pour qu’il s’adapte Ă  nous ou auquel nous avons dĂ» nous adapter.

Un autre point commun est peut-ĂŞtre que nous formons un groupe d’avocates, qui se divise en sous-groupes de conseillères juridiques d’entreprise, d’avocates des secteurs public et privĂ© et de juristes Ĺ“uvrant dans un domaine de droit en particulier. Certaines entrepreneures recoupent quelques-uns de ces domaines de pratique, comme les politiciennes. L’ampleur des similitudes augmente Ă  mesure que la communautĂ© se prĂ©cise.

En 1993, le groupe de travail de l’ABC sur l’Ă©galitĂ© des genres a publiĂ© son rapport « Les Assises », dans lequel il rĂ©clamait l’Ă©galitĂ©, la diversitĂ© et la responsabilitĂ© au sein de la profession juridique. Le groupe de travail soulignait l’Ă©vidence du traitement inique auquel Ă©taient confrontĂ©es les avocates et dĂ©crivait les obstacles que devaient surmonter les femmes dĂ©sireuses de connaĂ®tre du succès dans la carrière qu’elles avaient choisie, des obstacles comme la discrimination dans les possibilitĂ©s d’emploi, le harcèlement sexuel et le manque d’accommodements aux responsabilitĂ©s familiales.

Et nous voilĂ  vingt-six ans plus tard : les femmes ont encore aujourd’hui la responsabilitĂ© première des soins Ă  la famille, elles se font encore harcelĂ©es en milieu de travail, et bon nombre d’entre elles quittent la pratique privĂ©e pour se trouver un meilleur environnement de travail, ou bien abandonnent tout simplement leurs carrières en droit.

Un rapport qu’a produit Catalyst Canada sur les femmes dans le domaine du droit souligne que 43 595 avocates pratiquaient le droit au Canada en 2016, alors que ce chiffre s’Ă©levait Ă  53 257 chez les hommes. Lorsqu’il est question des nouvelles personnes au sein de la profession, les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans la plupart des rĂ©gions. Cependant, lorsqu’il est question de cadres supĂ©rieurs, particulièrement dans les cabinets privĂ©s, les hommes surpassent les femmes par une large marge. Les femmes touchent seulement 93 % du salaire des hommes, indĂ©pendamment de l’Ă©tape oĂą elles en sont dans leur carrière.

Aussi, je n’ai pas Ă  vous le dire, mais je le fais quand mĂŞme, les personnes de couleur et les Autochtones sont toujours sous-reprĂ©sentĂ©s par rapport Ă  leur proportion dans la population gĂ©nĂ©rale.

Des femmes d’affaires et des politiciennes se trouvant dans cette pièce pourraient probablement conter leur propre version de cette histoire.

Plusieurs des jeunes femmes qui quittent les cabinets privĂ©s finissent par travailler au gouvernement ou comme conseillères juridiques d’entreprise, crĂ©ant ce que l’on appelle le ghetto rose, soit les emplois qui sont dominĂ©s par les femmes, souvent moins stressants et sous-payĂ©s, avec peu de possibilitĂ©s d’avancement.

Penelope Trunk a regardĂ© sa communautĂ© et a senti que celle-ci l’affaiblissait. Il nous faut renverser la vapeur en bâtissant des communautĂ©s qui nous valorisent.

Aujourd’hui, c’est la JournĂ©e de l’affaire « personne ». Le 18 octobre 1929, les femmes ont Ă©tĂ© officiellement reconnues comme Ă©tant des « personnes » au sens de la loi. Cela n’a pas Ă©tĂ© le fruit du hasard. En fait, il a fallu des annĂ©es et de nombreux courageux efforts de la part de Nellie McClung, Emily Murphy, Irene Parlby, Louise McKinney et Henrietta Muir Edwards, pour faire en sorte que les femmes se voient accorder le statut de « personne ». Ces femmes, les « cĂ©lèbres cinq », illustrent parfaitement le fait qu’il est possible pour les femmes d’amĂ©liorer les choses en s’Ă©paulant l’une l’autre.

Individuellement, nous ne pouvons pas changer la culture d’entreprise toxique qui rejette plusieurs d’entre nous, mais collectivement nous pouvons crĂ©er une pression qui rend cette pratique moins acceptable. Nous pouvons utiliser notre masse critique pour rendre cette culture plus plaisante. Nous pouvons lancer nos propres cabinets ou entreprises en y instaurant une culture diffĂ©rente afin de faire de notre rĂ©ussite la meilleure vengeance.

Une vieille fable utilise une brindille pour dĂ©montrer la force d’une communautĂ©. Il est facile d’en briser une, mais il est presque impossible d’en rompre un faisceau. Les hommes seront souvent nos alliĂ©s et nos parrains, mais les femmes constituent notre principale communautĂ©, celle qui est la plus importante. Toutefois, les femmes ne sont pas un groupe homogène. Nous devons aussi Ă©liminer les obstacles qui nous sĂ©parent, comme l’âge et la situation familiale, et travailler ensemble. Nous devons Ă©changer des conseils et, surtout, nous parrainer les unes les autres, crĂ©er une profession Ă  notre image oĂą nous pouvons faire de vrais choix de carrière et occuper un emploi qui nous satisfait, que ce soit dans le domaine des contentieux commerciaux ou de l’aide juridique, parce que c’est ce que nous voulons faire.

Les femmes qui occupent les fauteuils qui vous entourent aujourd’hui, voilĂ  votre communautĂ©. Tirez-en des forces. Mais contribuez. Ă€ votre tour, Ă  la renforcer.

Merci et bonne conférence.