Bhasin c. Hrynew : le devoir d’être honnête et d’agir de bonne foi dans l’exécution d’un contrat

  • 15 octobre 2015
  • Damon Stoddard

Article paru à l’origine dans le bulletin électronique Constructive Views de Heal & Co., abrégé et reproduit avec la permission de l’auteur.

Par Damon Stoddard

Dans sa décision de principe de novembre 2014, Bhasin c. HrynewNote de bas de page1, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’un principe directeur de bonne foi élémentaire gouverne les contrats de common law au CanadaNote de bas de page2, et qu’il en découle une obligation d’honnêteté dans leur exécutionNote de bas de page3.

Selon la Cour, ce n’est pas une règle autonome, mais plutôt une norme qui sous-tend des règles de droit particulières par lesquelles elle se manifeste, et à laquelle on peut accorder plus ou moins d’importance selon la situation. Elle ajoute que reconnaître l’obligation d’exécution honnête qui en découle directement est une étape modeste et progressiveNote de bas de page4.

À notre avis , cependant, ce principe directeur et l’obligation distincte d’honnêteté pourraient involontairement introduire une part d’incertitude dans l’exécution des contrats de construction, car dans ce secteur, les allégations de manquement à ces nouvelles obligations risquent de rendre moins certaine l’issue des procès ou de la médiation.

Les parties et les faits

La pomme de discorde, dans l’affaire Bhasin, est un contrat commercial de concession, conclu en 1998 entre Harish Bhasin et la Canadian American Financial Corp (Can-Am). Cette dernière vend des régimes d’épargne-études aux investisseurs par l’intermédiaire de détaillants, appelés directeurs des souscriptions, dont la réussite dépend de leur capacité d’établir une force de vente. M. Bhasin, après plus de 10 ans de labeur à établir la sienne, était devenu l’un des meilleurs directeurs des souscriptions de Can-Am.

Le contrat de M. Bhasin n’étant pas un contrat de franchisage, il n’est pas visé par l’obligation de négocier équitablement prévue à l’article 7 de la Franchises ActNote de bas de page5 de l’Alberta. Il s’agit d’un contrat sur trois ans qui contient aussi une clause d’intégralité stipulant l’absence d’entente, expresse, implicite ou légale, autre que ce qui y figure explicitement, ainsi que les dispositions au cœur du litige : la clause de renouvellement. En vertu de cette clause, le contrat se renouvelle automatiquement au bout des trois ans, sauf préavis contraire de six mois dûment signifié par l’une des partiesNote de bas de page6.

Également directeur des souscriptions pour Can-Am et concurrent de M. Bhasin, Larry Hrynew convoite la part du marché de ce dernier et l’approche personnellement à de nombreuses reprises pour lui proposer de fusionner leurs agences.

Fin 1999, Can-Am se voit ordonner par la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta de nommer un agent commercial provincial pour vérifier que ses directeurs des souscriptions se conforment aux lois sur les valeurs mobilières. Elle nomme M. Hrynew. En juin 2000, la société présente ses plans à la Commission, selon lesquels M. Bhasin ira travailler pour l’agence de son concurrent. Or, elle néglige d’en informer M. Bhasin, et l’induit même en erreur à répétition.

Ce dernier persistant à refuser que M. Hrynew vérifie ses registres, Can-Am le menace de résilier son contrat. En mai 2001, elle s’exécute, donnant un préavis de non-renouvellement conforme à l’entente de 1998. Arrivée l’échéance, M. Bhasin se voit priver de sa force de vente, qui constituait la valeur de son entreprise, et l’agence de son concurrent en recrute la majorité. M. Bhasin intente alors une poursuite contre Can-Am et M. Hrynew.

Les jugements en première instance et en appel

La juge de première instance a conclu que Can-Am avait recouru de façon malhonnête et trompeuse à la clause de non-renouvellement, manquant à la condition, qu’elle voit comme implicite au contrat, comme quoi une telle décision serait prise de bonne foi.

La Cour d’appel de l’Alberta a, quant à elle, jugé que la société n’avait commis aucun manquement, les dispositions de non-renouvellement étant pour elle sans équivoque, et que la juge du procès avait erré dans son interprétation de l’obligation implicite de bonne foi vu la clause d’intégralité de l’ententeNote de bas de page7.

La décision de la Cour suprême

La Cour suprême a accueilli le pourvoi de M. Bhasin, mais sur des bases différentes qu’en première instance. Selon elle, bien que les parties commerciales n’entretiennent aucun lien de dépendance et ne soient pas assujetties à des obligations de nature fiduciaire, un niveau minimal de conduite honnête est nécessaire à la bonne conduite des affairesNote de bas de page8. La Cour partageait l’avis de la juge du procès comme quoi Can-Am avait fait un usage malhonnête de la clause de non-renouvellement, contrevenant ainsi à son obligation d’honnêteté dans l’exécution du contrat.

La Cour a brossé à grands traits un principe directeur général de bonne foi sous-jacent au droit des contrats en common law, qui se manifeste par l’obligation d’agir honnêtement dans l’exécution des obligations contractuellesNote de bas de page9. Elle affirme notamment que :

  • le principe directeur de bonne foi veut que, de façon générale, les parties doivent exécuter leurs obligations contractuelles de manière honnête et raisonnable, et non abusive ou arbitraireNote de bas de page10;
  • ce principe ne devrait pas servir de prétexte à un examen approfondi des intentions des parties contractantesNote de bas de page11;
  • la nouvelle obligation d’honnêteté n’impose pas un devoir de loyauté ou de divulgation, ni n’exige qu’une partie renonce aux avantages découlant du contratNote de bas de page12;
  • elle constitue une doctrine générale du droit des contrats qui trouve application sans égard aux intentions des parties et, en ce sens, est analogue au principe d’iniquitéNote de bas de page13;
  • la teneur précise de l’obligation d’exécution honnête variera selon le contexteNote de bas de page14, mais les parties n’ont pas la faculté de l’exclure, et elle ne pourra être modifiée qu’en termes explicitesNote de bas de page15.

Conclusion

L’arrêt Bhasin crée une nouvelle cause d’action en common law entre les parties d’un contrat commercial : la violation de l’obligation d’honnêteté. Dans le secteur de la construction, il est aisé d’imaginer comment un sous-traitant pourrait intenter un procès contre un entrepreneur, ou un entrepreneur contre un propriétaire, pour non-respect de cette obligation.

Les entreprises du domaine seraient donc prudentes de revoir leurs contrats afin de s’assurer que ceux-ci respectent les exigences minimales de la nouvelle obligation et définissent correctement les limites comme la portée de la divulgation attendue entre les parties.

Damon Stoddard est associé à Heal & Co. LLP

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