Les décisions du Conseil canadien de la magistrature assujetties à des examens judiciaires

  • 27 novembre 2018
  • Christopher Wirth et Cameron Taylor

Dans l’affaire Girouard c. Canada (Procureur gĂ©nĂ©ral), 2018 CF 865, le juge NoĂ«l de la Cour fĂ©dĂ©rale a dĂ©terminĂ© que toute recommandation du Conseil canadien de la magistrature de rĂ©voquer un juge est assujettie au contrĂ´le judiciaire.

Contexte

L’affaire a surgi d’un rapport que le CCM a fait parvenir Ă  la ministre de la Justice dans lequel il recommande la rĂ©vocation de l’honorable juge Michel Girouard de la Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec. Le rapport du CCM est le rĂ©sultat d’une recommandation qu’a dĂ©posĂ© le ComitĂ© d’enquĂŞte du CCM Ă  l’Ă©gard du juge Girouard. Celui-ci a dĂ©posĂ© quatre demandes de contrĂ´le judiciaire en lien avec le rapport initial du ComitĂ© d’enquĂŞte de la Cour fĂ©dĂ©rale, le rapport du CCM et d’autres dĂ©cisions rendues dans le cadre de l’enquĂŞte. La procureure gĂ©nĂ©rale du Canada a rĂ©agi en prĂ©sentant une motion visant la radiation des demandes de contrĂ´le judiciaire. Le CCM s’est vu octroyer la qualitĂ© de partie aux seules fins de dĂ©terminer si la Cour fĂ©dĂ©rale a compĂ©tence pour examiner sa dĂ©cision.

Décision de la Cour fédérale

Le CCM a prĂ©sentĂ© trois arguments expliquant les raisons pour lesquelles sa dĂ©cision de recommander la rĂ©vocation du juge Girouard ne peut faire l’objet de contrĂ´le judiciaire, que la cour a traitĂ© de la façon suivante :

(1) Le CCM et son ComitĂ© d’enquĂŞte ne sont pas des conseils, des commissions ou d’autres tribunaux fĂ©dĂ©raux. Ă€ ce titre, ils ne peuvent faire l’objet d’un examen aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fĂ©dĂ©rales.

La Cour fĂ©dĂ©rale a dĂ©terminĂ© que le CCM est « un conseil, une commission ou un autre tribunal » aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fĂ©dĂ©rales. Pour en arriver Ă  cette conclusion, la cour a rejetĂ© l’argument du CCM voulant qu’il ne soit pas assujetti Ă  l’article 18, car il se compose de juges en chef nommĂ©s en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle, 1867.

Le CCM soutient que si l’article 18 de la Loi sur les Cours fĂ©dĂ©rales s’appliquait, il exercerait l’effet inacceptable d’assujettir les juges des cours supĂ©rieures aux procĂ©dures de contrĂ´le judiciaire de la Cour fĂ©dĂ©rale. La cour en est venue Ă  la conclusion que les membres du CCM n’agissent pas en tant que juges, mais plutĂ´t Ă  titre de juges en chef et, ce faisant, qu’ils exercent un rĂ´le administratif se fondant sur un pouvoir statutaire, et non sur la Constitution. Les pouvoirs que dĂ©tient le CCM l’autorisent Ă  mener des enquĂŞtes sur le comportement des juges et la source de ces pouvoirs est dĂ©crite dans la Loi sur les juges. Le pouvoir du CCM ne constitue pas une codification d’un pouvoir constitutionnel.

(2) Le CCM et le ComitĂ© d’enquĂŞte possèdent un statut de cour supĂ©rieure.

L’argument du CCM selon lequel il possède un statut de cour supĂ©rieure repose en grande partie sur le paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges, qui stipule que « le Conseil ou le comitĂ© formĂ© pour l’enquĂŞte est rĂ©putĂ© constituer une juridiction supĂ©rieure » (italique ajoutĂ©) et qui Ă©numère les pouvoirs particuliers que le CCM peut exercer.

La Cour fĂ©dĂ©rale soutient que, en contradiction avec cet argument, le CCM ne possède pas les attributs ou les qualitĂ©s d’une cour supĂ©rieure. Notamment, les pouvoirs d’une cour supĂ©rieure ne peuvent ĂŞtre totalement suspendus ou transfĂ©rĂ©s Ă  un autre organisme, une cour supĂ©rieure a une large compĂ©tence qui lui permet d’effectuer la surveillance de tribunaux infĂ©rieurs et de garantir la lĂ©galitĂ© de prises de dĂ©cisions de l’État, et une cour supĂ©rieure possède un ressort de common law rĂ©siduel. Le CCM ne possède pas ces qualitĂ©s.

La Cour fĂ©dĂ©rale a dĂ©terminĂ© que le Parlement inclut le paragraphe 63(4) afin de fournir une protection judiciaire aux juges menant les enquĂŞtes et aux juges faisant l’objet d’une enquĂŞte, mais aussi pour octroyer au CCM le pouvoir de mener Ă  terme son mandat d’enquĂŞte. Par consĂ©quent, le CCM et le comitĂ© formĂ© pour l’enquĂŞte ne sont pas destinĂ©s Ă  possĂ©der un statut de cour supĂ©rieure et n’en ont pas non plus un dans les faits.

(3  Les rapports et les recommandations du CCM et du ComitĂ© d’enquĂŞte ne sont pas assujettis au pouvoir de contrĂ´le judiciaire de la Cour fĂ©dĂ©rale.

Le CCM affirme que la dĂ©cision dĂ©finitive de rĂ©voquer le juge est la responsabilitĂ© du Parlement, que le rapport du CCM ne constitue qu’une simple recommandation et que, Ă  ce titre, il ne s’agit pas d’une dĂ©cision rendue sous le rĂ©gime de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fĂ©dĂ©rales. Toutefois, la cour soutient qu’une constatation dĂ©terminant qu’un juge est devenu inapte Ă  exĂ©cuter dĂ»ment sa profession est dĂ©crite par le CCM comme la « peine capitale » pour la carrière du juge concernĂ©. Compte tenu de l’importance du rapport et de la recommandation Ă  l’Ă©gard du juge, la Cour fĂ©dĂ©rale n’accepte pas l’argument du CCM voulant que ses rapports et recommandations ne constituent pas une dĂ©cision sous le rĂ©gime de la Loi sur les Cours fĂ©dĂ©rales. La gravitĂ© de la recommandation signifie que, dans une grande mesure, l’Ă©quitĂ© procĂ©durale est requise et qu’un contrĂ´le judiciaire est donc nĂ©cessaire. Aussi, un contrĂ´le judiciaire sous le rĂ©gime de l’article 18.1 ne se limite pas aux dĂ©cisions ou aux ordonnances, mais s’applique Ă©galement aux rapports des conseils, des commissions et des autres tribunaux fĂ©dĂ©raux.

Conclusion

ConsĂ©quemment, la cour a conclu que les dĂ©cisions du CCM et du ComitĂ© d’enquĂŞte sont sujettes au contrĂ´le judiciaire puisque le Parlement n’a pas l’intention de crĂ©er une nouvelle cour ayant une autoritĂ© de dernière instance et, si cela Ă©tait le cas, il l’aurait fait de façon expresse.

Le CCM a indiquĂ© son intention d’interjeter appel de cette dĂ©cision.

Christopher Wirth est un associé et Cameron Taylor stagiaire chez Keel Cottrelle LLP