CSC : la norme à utiliser pour le contrôle d’un arrêté du ministre en matière d’extradition est celle de la décision raisonnable

  • 22 décembre 2017
  • Christopher Wirth and Maneet Sadhra

Dans l’arrêt Inde c. Badesha, la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable s’appliquera au contrôle judiciaire d’un arrêté d’extradition pris par le ministre. Cet arrêt rétablit un arrêté d’extradition visant deux citoyens canadiens accusés d’avoir organisé un crime d’honneur en Inde.

Contexte

En juin 2000, le corps de Jaswinder Kaur Sidhu a été découvert dans un village en Inde. Le gouvernement de ce pays soutenait qu’elle avait été victime d’un crime d’honneur organisé par son oncle, Surjit Singh Badesha, et sa mère, Malkit Kaur Sidhu. Le gouvernement indien demandait au Canada d’extrader ces deux personnes accusées, en vertu de l’Indian Penal Code, de complot en vue de commettre un meurtre.

Lorsque l’extradition fait courir à la personne visée un grave risque de subir des tortures ou des mauvais traitements dans l’État d’accueil, le ministre de la Justice est tenu de la refuser car elle violerait les principes de justice fondamentale. En l’absence de tout risque important de torture ou de mauvais traitements, et lorsque l’extradition respecte les principes énoncés par la Charte, le ministre doit néanmoins en rejeter la demande s’il est convaincu que compte tenu des circonstances dans leur ensemble, elle serait par ailleurs injuste ou tyrannique.

À l’issue d’une audience d’extradition, le ministre a ordonné que M. Badesha et Mme Sidhu soient extradés vers l’Inde, affirmant que cela ne serait ni injuste ni tyrannique. M. Badesha et Mme Sidhu ont déposé une demande de contrôle judiciaire de l’arrêté du ministre. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a annulé la décision du ministre et ordonné le renvoi de l’affaire devant le ministre. La majorité a conclu que les promesses des autorités indiennes concernant la santé et la sécurité des deux personnes visées ne pouvaient raisonnablement être acceptées et que l’arrêté du ministre était par conséquent déraisonnable. Le procureur général du Canada a déposé un pourvoi devant la CSC.

Décision de la CSC

La question en appel était celle de savoir s’il était raisonnable pour le ministre de conclure, en se fondant sur les promesses faites par le gouvernement indien, à l’absence de risque important de torture ou de mauvais traitements qui violerait les principes de justice fondamentale.

La CSC a affirmé que la décision du ministre se situait dans les limites des issues raisonnables, le ministre ayant tenu compte des faits pertinents et tiré une conclusion pouvant être justifiée à la lumière de ces faits. Par conséquent, les arrêtés d’extradition pris par le ministre ont été rétablis.

Dans le cadre du contrôle de la décision du ministre, la CSC a utilisé la norme de la décision raisonnable et a confirmé que le rôle d’une cour de révision est de déterminer si une décision se situe dans les limites des issues raisonnables et non d’évaluer de nouveau les facteurs pertinents et de substituer sa propre opinion à celle du ministre. La Cour a ajouté qu’une décision prise par le ministre d’extrader une personne revêt essentiellement un caractère politique, et qu’étant donné l’expertise supérieure du ministre dans le domaine des relations internationales et des affaires étrangères, il est le mieux placé pour déterminer si les facteurs militent en faveur de l’extradition ou à son encontre.

Il est intéressant de noter qu’après l’arrêt rendu par la CSC, Mme Badesha et M. Malik ont déposé une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique le 21 septembre 2017 et ont obtenu une ordonnance provisoire sursoyant à leur extradition jusqu’à ce que la Cour puisse tenir une audience en bonne et due forme.

Enseignements

  1. La norme de contrôle judiciaire d’un arrêté d’extradition pris par le ministre est celle de la décision raisonnable.
  2. Pour déterminer si la décision du ministre était raisonnable, un tribunal ne peut substituer son propre point de vue à celui du ministre, mais doit plutôt déterminer si ce dernier a examiné les faits pertinents et si, compte tenu de ces faits, sa décision se situait dans les limites des issues raisonnables.
  3. Cette affaire illustre à nouveau le fait que la Cour est prête à respecter dans une très large mesure les décisions prises par un décideur administratif spécialisé.

Christopher Wirth est associé et Maneet Sadhra est stagiaire dans le cabinet Keel Cottrelle LLP