Initiation à la planification de l’accessibilité pour les cabinets d’avocats

  • 12 mars 2014
  • Jean Cumming

Il n’existe pas de différence marquée entre une politique favorisant l’intégration des personnes handicapées et une politique visant à obtenir un milieu de travail sain — les cabinets d’avocats et d’avocates auraient tout intérêt à s’en rappeler lorsqu’ils évaluent des questions d’accessibilité pour des avocats handicapés. Une accessibilité accrue profite non seulement à l’ensemble du cabinet et à ses membres, mais également aux clients et clientes.

Yvonne Peters, avocate de Winnipeg et défenseur des droits des personnes handicapées, est d’avis que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est un principe des droits de la personne qui est reconnu par la Cour suprême du Canada et qui s’applique aux cabinets d’avocats et aux organismes juridiques. Elle déclare en outre que ce principe exige des employeurs ou des fournisseurs de services qu’ils éliminent les obstacles et mettent en place des mesures permettant l’intégration totale des personnes handicapées.

Analyse de rentabilisation liée à l’accessibilité

Des besoins peuvent se manifester avec le temps

En plus de permettre à l’entreprise d’assumer ses responsabilités fondamentales en matière de droits de la personne et d’égalité, un plan d’accessibilité comporte des avantages. Les décideurs des cabinets d’avocats et d’avocates croient peut-être qu’ils n’ont pas besoin de plan d’accessibilité si aucun de leurs avocats n’est handicapé. Toutefois, cette logique comporte une faille. En effet, avec l’âge, les avocats peuvent développer différentes incapacités.

En outre, un très grand nombre de personnes, à un moment ou à un autre de leur vie, souffrent d’une incapacité temporaire qui résulte d’une maladie ou d’un accident, ce qui vient diminuer leurs aptitudes à exécuter leur travail. Ainsi, il est très important de mettre en place une conception « universelle » qui permette à tous les employés, employées, d’utiliser plus facilement les équipements collectifs. Ce type de conception s’intègre également parfaitement à un plan d’accessibilité. On ne sait jamais quand un avocat ou une avocate aura besoin des mesures d’accessibilité déjà en place.

Recrutement et fidélisation des meilleurs employés

Logiquement, si les cabinets établissent un plan d’accessibilité, les avocats et avocates handicapés seront plus susceptibles d’y postuler. Présentement, les avocats handicapés demeurent souvent à l’emploi de ministères ou d’organismes gouvernementaux parce que l’accessibilité y est garantie. De plus, selon Carole Willans-Théberge, avocate au ministère de la Justice, le secteur public offre plus d’occasions aux personnes handicapées d’établir des réseaux d’entraide. Les cabinets d’avocats font fausse route s’ils ne prennent pas les moyens d’accueillir convenablement les avocats les plus qualifiés, qu’ils soient handicapés ou non.

Augmentation de la productivité de tous employés

Une planification en matière d’accessibilité peut avoir une incidence positive sur la satisfaction et le moral des employés, employées, en plus d’accroître la productivité en facilitant la collaboration et la communication au sein du personnel. Avec ce genre de planification, tous les employés (handicapés ou non) peuvent travailler aux mêmes projets, partager des fichiers et échanger des renseignements plus facilement.

Amélioration de la communication et des services à la clientèle

La planification de l’accessibilité permet de garantir que vos services répondent aux besoins de tous vos clients et clientes d’aujourd’hui et de demain, et que ces clients peuvent communiquer avec votre personnel, comprendre vos documents d’information et accéder à vos bureaux. Ainsi, une telle planification constitue un avantage commercial évident parce qu’elle élargit immédiatement votre clientèle éventuelle.

L’absence de planification peut entraîner des clients frustrés, des retards, une diminution d’efficacité et des risques de plaintes d’infractions aux droits de la personne pouvant être déposées contre votre cabinet. De plus, tous ces problèmes peuvent engendrer une publicité de bouche à oreille négative pour votre entreprise.

Aspect financier

Les cabinets d’avocats et d’avocates s’inquiètent souvent des « obstacles » financiers accompagnant une planification d’accessibilité. Toutefois, dans une multitude de cas, ce type de planification peut aider à réduire les coûts à long terme. Par exemple, lorsqu’un employé ou une employée subit une incapacité temporaire, les cabinets non préparés peuvent perdre du temps et de l’argent qu’ils pourraient autrement économiser en mettant en place des équipements et une technologie accessibles.

Yvonne Peters, avocate à Winnipeg, indique qu’il existe encore des obstacles importants dans la profession juridique pour les personnes handicapées. Elle affirme que certains de ces obstacles viennent des comportements négatifs inhérents à la façon de pratiquer le droit. La valeur des membres d’un cabinet d’avocats et d’avocates est habituellement mesurée par rapport aux revenus qu’ils peuvent générer. Le fait de devoir payer pour certaines mesures d’adaptation peut faire en sorte qu’on considère une avocate ou un avocat handicapé comme un membre contribuant moins au succès financier du cabinet.

D’après elle, la plupart des mesures d’adaptation ne sont pas très onéreuses et ne diffèrent pas du soutien déjà offert. Toutefois, puisque ces mesures d’adaptation sont associées à une personne handicapée en particulier, on peut les percevoir comme étant spéciales, supplémentaires ou différentes. Certains types de mesures d’adaptation n’exigent que des dépenses initiales comme celles destinées à rendre le lieu de travail accessible.

Cinq étapes pour rendre votre cabinet d’avocats accessible

Une fois que vous avez pris l’engagement de rendre votre cabinet plus accessible, certaines étapes sont recommandées :

1. Choisir une personne ou un groupe responsable

Pour garantir une démarche de planification d’accessibilité efficace, harmonieuse et uniforme, désignez une personne ou un groupe pour assurer la direction du projet. Un bon candidat ou une bonne candidate devrait connaître les politiques, les mesures d’adaptation et la technologie du cabinet, en plus de bien comprendre les questions touchant les personnes handicapées. La personne ou le groupe choisi doit également posséder un certain pouvoir décisionnel au sein du cabinet (plus spécialement lorsqu’il s’agit de questions financières) afin de s’assurer qu’on donnera suite aux recommandations. L’appui des associés, associées, est essentiel pour assurer un engagement de l’ensemble du personnel dans le processus de planification de l’accessibilité.

2. Élaboration d’une politique en matière d’accessibilité

Les cabinets d’avocats et d’avocates devraient avoir une politique d’accessibilité claire et précise, élaborée en collaboration avec des personnes handicapées et des personnes qui s’intéressent aux droits de la personne. Généralement, cette politique devrait inclure un engagement en matière d’égalité et de mesures d’adaptation, ainsi qu’un processus déterminant comment ces mesures d’adaptation seront mises en œuvre au sein du cabinet.

Alan Cantor, expert-conseil et directeur de Cantor Access Incorporated, conseille aux avocats qui se demandent par où commencer de tout d’abord consulter les politiques d’accessibilité des organismes qui sont tenus d’en avoir en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi du Canada ou des lois provinciales. Cette loi fédérale vise tous les employeurs du secteur privé régis par le gouvernement fédéral et les sociétés d’État qui comptent au moins 100 employés, employées, ainsi que tous les ministères et organismes fédéraux dont le Conseil du Trésor est l’employeur. Les lois provinciales visent les organismes d’État et organismes apparentés.

Votre plan d’accessibilité devrait comprendre les éléments suivants :

  • un rapport indiquant les mesures que le cabinet a prises afin d’éliminer les obstacles pour les personnes handicapées;
  • les mesures en place pour s’assurer que le cabinet évalue ses propositions de règlements, de politiques, de programmes, de pratiques et de services;
  • une liste des règlements, politiques, programmes, pratiques et services que le cabinet évaluera dans l’année à venir afin de repérer les obstacles;
  • un plan indiquant comment le cabinet prévoit repérer, éliminer et prévenir les obstacles.

Les cabinets d’avocats qui emploient couramment des avocats handicapés devraient indiquer leurs exigences en matière de mesures d’adaptation dans leur planification. Par ailleurs, ils doivent se garder de généraliser puisque les avocats handicapés ont tous des besoins différents.

3. Repérage des obstacles à l’accessibilité

Une politique doit définir l’engagement à repérer les obstacles courants. Après avoir formulé le plan de votre cabinet, vous devriez commencer à rechercher des obstacles particuliers. Accessibilité Ontario définit un « obstacle » comme « toute chose qui empêche une personne handicapée de participer pleinement à toutes les facettes de la société en raison de son handicap. » Les obstacles peuvent se présenter sous différentes formes, dont les suivantes :

  • obstacle physique – par exemple, une porte difficile à ouvrir pour une personne avec une force limitée au niveau du thorax;
  • obstacle architectural – par exemple, l’absence d’ascenseur dans un bâtiment de plus d’un étage;
  • obstacle communicationnel – par exemple, une publication qui n’est pas disponible en gros caractères d’imprimerie;
  • obstacle comportemental – par exemple, le fait de supposer que les personnes handicapées ne peuvent pas effectuer certaines tâches alors qu’elles en sont capables;
  • obstacle technologique – par exemple, un logiciel ou un site Web qui ne respecte pas les normes élémentaires en matière d’accessibilité;
  • obstacle créé par des politiques ou des pratiques – par exemple, le fait de ne pas permettre de passer un examen de façon différente lorsqu’on recrute du personnel.

Un grand nombre d’obstacles sont faciles à éliminer ou à prévenir, le plus difficile étant d’abord les repérer. La loi de l’Ontario décrit six façons de repérer les obstacles :

  1. Établir la liste des obstacles précédemment constatés.
  2. Établir, par la tenue d’une séance de remue-méninges, une liste des obstacles connus et possibles.
  3. Demander la participation des membres du personnel.
  4. Consulter plusieurs intervenants au sein de la collectivité.
  5. Évaluer l’accessibilité à l’aide de guides et de listes de contrôle.
  6. Embaucher, le cas échéant, des professionnels de l’évaluation de l’accessibilité.

4. Élaboration d’un plan visant à éliminer et à prévenir les obstacles

Une fois les obstacles repérés, il faut les classer par ordre de priorité en évaluant dans quelle mesure ils nuisent à l’accessibilité et quelle est leur incidence sur les personnes handicapées. Avec cette information en mains, vous devez choisir les obstacles qu’il faut éliminer immédiatement, et ceux auxquels il faut s’attaquer plus tard. Il convient d’établir un échéancier réaliste pour l’élimination de tous les obstacles. Vous devez ensuite définir des critères d’évaluation du rendement pour vous assurer d’éliminer et de prévenir les obstacles de façon adéquate. Ces critères doivent correspondre à un résultat plutôt qu’à un dénouement. Par exemple, au lieu de planifier l’installation de portes automatiques pour l’entrée principale du bâtiment, votre objectif de rendement devrait être de modifier cette entrée afin qu’elle soit accessible aux personnes handicapées.

Enfin, il est essentiel de désigner la personne responsable d’éliminer l’obstacle et de lui allouer les ressources nécessaires pour atteindre cet objectif. Au moment de faire une demande de fonds, assurez-vous de mettre l’accent sur les questions de droits de la personne et les avantages économiques à long terme qui sont associés à la mise en œuvre du plan.

5. Élaboration d’un système de suivi des progrès

Il est primordial d’évaluer l’efficacité des recommandations une fois qu’elles ont été mises en œuvre. Il est recommandé de demander aux avocates et avocats handicapés et aux clients et clientes, ainsi qu’à des membres d’associations de personnes handicapées (si cela est possible), d’évaluer l’efficacité des mesures d’élimination et de prévention des obstacles depuis que le plan a été mis en œuvre. Les personnes responsables devraient régulièrement rendre compte de l’avancement des travaux d’élimination de tous les obstacles présents dans le milieu de travail.

Embauche d’experts de l’extérieur

Vous pouvez recourir aux services de différents experts et expertes pour vous guider dans l’élaboration, la planification et la mise en œuvre d’une politique en matière d’accessibilité dans votre milieu de travail. En règle générale, ces experts se rendent sur le lieu de travail de la personne handicapée, évaluent les mesures qui sont prises, puis font des recommandations à l’employeur au sujet des modifications que ce dernier doit apporter pour améliorer l’accessibilité.

Les experts-conseils peuvent également recommander l’utilisation de technologies adaptées destinées aux personnes handicapées, comme une boule de commande plutôt qu’une souris (pour ceux souffrant du syndrome de tension répétée) ou un logiciel de reconnaissance vocale. Pour les avocats et les avocates, le coût des technologies adaptées nécessaires est plus élevé en raison de la nature de leur travail. Par exemple, les systèmes de numérisation par balayage exigent un niveau de précision maximal de la part des avocats qui les utilisent. Par conséquent, les cabinets sont plus susceptibles de devoir acheter des modèles plus coûteux. De plus, un terminal d’affichage en braille peut coûter entre 8 000 $ et 12 000 $. Il existe différents programmes d’aide pour l’achat d’équipements adaptés qui remboursent une partie des coûts pour les plus petits cabinets d’avocats.

Pierre Barclay, vice-président ventes et marketing au bureau de Vancouver de la société Aroga Marketing Group, affirme qu’il existe une quantité effarante de technologies adaptées sur le marché. Ainsi, si vous envisagez embaucher une personne handicapée, vous pouvez simplement évaluer les qualités de cette personne sans vous soucier de son handicap. Toutes sortes de moyens sont disponibles pour aider les personnes à être productives dans leur milieu de travail.

En résumé

Un plan d’accessibilité n’est utile que si votre cabinet adopte de saines attitudes vis-à-vis des avocates et avocats handicapés. En 2001, le comité Disability Research Working Group of the Equity and Diversity du barreau de la Colombie-Britannique a présenté un rapport au sujet des attitudes et des mesures d’adaptation qui sont présentes dans les facultés de droit et dans l’ensemble de la profession. Voici certaines conclusions de ce rapport :

« Les pratiques discriminatoires empêchent non seulement les personnes handicapées d’accéder à des postes plus importants, mais elles leur imposent un niveau de stress si élevé qu’il se traduit souvent par un surmenage, un épuisement professionnel et une incapacité de fonctionner, et ce, que ce soit dans le secteur privé ou public. On garde rarement les avocats handicapés une fois leur stage terminé. Ces personnes ont énormément de difficulté à se trouver un emploi. On considère qu’il est trop coûteux de prendre des mesures d’adaptation pour les avocats handicapés et qu’il existe très peu d’incitatifs financiers ou d’allègements fiscaux pouvant motiver de telles mesures. Si on considère que le handicap d’un avocat nuit aux résultats économiques du cabinet, il a fort à parier qu’on lui montrera la sortie. Même si la mesure consistant à autoriser le travail à temps partiel pour les personnes handicapées est maintenant courante, elle n’est pas bien acceptée dans la profession. Puisque le dévoilement d’un handicap entraîne généralement des comportements discriminatoires, les avocats concernés ont tendance à cacher leur handicap ou à en minimiser l’importance. Plus de la moitié des avocats à l’étude ont expliqué que la discrimination dont ils ont fait l’objet les a ultimement menés à la perte de leur emploi, à une marginalisation vers le travail autonome ou à une retraite prématurée.

Les préjudices, dépréciations et stéréotypes qui associent le terme « handicap » au mot « incompétence » sont des comportements négatifs répandus dans la profession. Les répondants ont indiqué comment ces préjudices deviennent enracinés et de quelle façon ces comportements viennent diminuer leur estime de soi et les empêchent de demander des mesures d’adaptation particulières afin de ne pas projeter une image de faiblesse. Certaines personnes interrogées ont exprimé leurs inquiétudes en relatant des occasions où des juges ou autres personnes ont fait preuve d’impatience, d’intolérance et de manque de sensibilisation par rapport aux questions liées aux personnes handicapées. Des répondants ont également désigné certains obstacles d’accessibilité qui sont présents dans les salles d’audience et dans d’autres secteurs propres au milieu de travail juridique. Il s’agit d’obstacles liés à la communication, à des éléments physiques ou d’impression, ainsi qu’à une marginalisation sociale. Plusieurs répondants ont décrit la pratique juridique comme une profession très conservatrice qui résiste au changement.

Malgré ces obstacles, les personnes interrogées ont nommé différentes ressources mises à la disposition des avocats handicapés. Un grand nombre d’avocats handicapés ont eu des expériences professionnelles positives. Les répondants ont donné des exemples de situations dans lesquelles ils ont pu profiter de mesures d’adaptation appropriées. Ils ont indiqué qu’ils avaient pu compter sur le soutien de mentors comme d’autres avocats handicapés, des collègues compréhensifs et des membres du personnel de palais de justice, ainsi que sur l’aide d’alliés comme des avocats spécialisés dans les droits des personnes handicapées et des groupes faisant la promotion de l’équité et de la diversité dans la profession juridique. Un grand nombre de répondants ont également indiqué que les initiatives personnelles, le travail ardu et l’autonomie sociale (y compris le dévoilement d’un handicap) sont des éléments qui font une différence positive dans une profession exigeante comme celle d’avocat. De plus, ils ont raconté des expériences de discrimination qu’ils ont transformées en nouvelles occasions professionnelles.

L’objectif principal de cette recherche était de repérer les obstacles et non pas de faire des suggestions pour les éliminer. Toutefois, un certain nombre des personnes interrogées ont quand même fait des suggestions. La suggestion la plus courante précisait que la profession juridique devrait reconnaître l’existence de la discrimination et rechercher des solutions qui permettront d’assurer une équité aux avocats handicapés, comme le garantit la Charte des droits et libertés. Les solutions peuvent comprendre des modifications à la politique, des initiatives de financement et une volonté des gouvernements. » [Traduction]

Cela devrait vous inspirer à rendre votre cabinet plus accessible.

Ressources supplémentaires

Répertoire d’accès facile de la Marche des dix sous de l’Ontario
Il s’agit d’un guichet unique pour trouver des entreprises et des organismes en Ontario qui fournissent des services ou de l’aide aux personnes handicapées.
http://www.accessibilitydirectory.ca

Trace R&D Center de la University of Wisconsin-Madison
Ce centre publie une base de données contenant plus de 18 000 produits qui sont disponibles aux personnes handicapées, ainsi qu’un livre de ressources qu’on peut commander en ligne (en anglais seulement).
http://trace.wisc.edu/

Sites de fournisseurs de technologies d’accessibilité (en anglais seulement)
IBM
http://www.ibm.com/able/

Microsoft
http://www.microsoft.com/enable/

Apple
http://www.apple.com/disability/

Jean Cumming est rédactrice pigiste spécialisée en affaires juridiques, à Toronto.