Ma première visite à la CSC : une avocate raconte

  • 27 juin 2018
  • Gwenyth S. Stadig

Cet article, rĂ©digĂ© Ă  la demande d’Eugene Meehan, a Ă©tĂ© publiĂ© pour la première fois dans le numĂ©ro du 18 janvier de Supreme Advocacy (en anglais). Il est reproduit avec autorisation.

Il y a Ă  peine quelques semaines, j’ai assistĂ© Ă  ma première audience en personne Ă  la Cour suprĂŞme du Canada. Cela a Ă©tĂ© une expĂ©rience incroyable et j’ai envie de vous faire part, ainsi qu’Ă  vos lecteurs, de quelques-unes de mes impressions.

Un lien personnel

En ma qualitĂ© d’avocate, je lis les arrĂŞts des juristes de la Cour suprĂŞme depuis des annĂ©es. Leurs diverses approches de l’analyse juridique ont Ă  très bon escient influencĂ© mes compĂ©tences et connaissances professionnelles. Pour cette raison, j’ai un peu l’impression d’avoir une relation personnelle avec eux. Ils s’efforcent constamment d’aider Ă  informer et Ă  guider le processus dĂ©mocratique au Canada. J’ai Ă©tĂ© tout particulièrement heureuse de voir madame la juge en chef Beverley McLachlin « Ă  l’Ĺ“uvre » avant son dĂ©part en retraite. Cela a Ă©tĂ© un honneur unique en son genre.

Diversité

C’Ă©tait un honneur de constater qu’un tel nombre de points de vue Ă©taient reprĂ©sentĂ©s devant « The Court! La Cour! » le 30 novembre et le 1er dĂ©cembre par les avocats des parties et maints intervenants. Ces jours-lĂ , la Cour entendait les affaires Trinity Western University c. Barreau du Haut-Canada et Law Society of British Columbia c. Trinity Western University. Au fil de la progression de ces dossiers dans les systèmes judiciaires de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, la myriade d’enjeux qu’ils soulèvent a suscitĂ© de forts sentiments et de vives passions, sans parler d’un intĂ©rĂŞt soutenu Ă  l’Ă©gard de maintes facettes de notre sociĂ©tĂ©. Il n’Ă©tait donc pas surprenant que la salle d’audience de la CSC elle-mĂŞme fĂ»t Ă  ce point comble, ainsi que la partie du foyer rĂ©servĂ© au public et les salles d’audience de la Cour fĂ©dĂ©rale dans le bâtiment de la CSC.

Au cours d’une intense audience d’une durĂ©e de deux jours, j’ai rencontrĂ© un grand nombre de personnes prĂ©sentes pour apporter leur soutien Ă  leurs avocats, conjoints, partenaires, amis collègues et chères connaissances. Moi, c’Ă©tait mon mari que je soutenais. Il Ă©tait très agrĂ©able d’avoir ce point commun avec les autres personnes et de dĂ©couvrir que toutes celles que j’ai rencontrĂ©es Ă©taient personnellement investies dans l’affaire et Ă  bon droit prĂ©occupĂ©es par ce que la dĂ©cision des plus hauts magistrats du pays va signifier pour notre dĂ©mocratie.

Passion

Les observations prĂ©sentĂ©es Ă  la Cour Ă©taient aussi très personnelles, ce qui n’est pas surprenant. Il Ă©tait manifeste que tous les juristes prĂ©sents, et il y en avait plus de 70, pensaient dĂ©fendre une cause des plus importantes. C’Ă©tait une formidable expĂ©rience de voir une reprĂ©sentation si passionnĂ©e et pourtant mesurĂ©e. Les divers arguments et observations des avocats et avocats touchaient manifestement le public et la Cour, comme les rĂ©actions en attestaient : Ă©change de hochements de tĂŞte, sourires, regards rĂ©probateurs, approbateurs ou carrĂ©ment dĂ©goĂ»tĂ©s, et mĂŞme quelques rires aux moments appropriĂ©s. Il Ă©tait Ă©galement manifeste que la Cour se passionnait elle aussi pour ce dossier. Le reprĂ©sentant de TWU en Colombie-Britannique, Kevin Boonstra, n’a mĂŞme pas rĂ©ussi Ă  tenir une minute avant que les juges commencent Ă  lui poser des questions, interrompant ses observations.

Enjeux complexes

Les premières questions des magistrats visaient Ă  clarifier le fait que les affaires TWU ne portent pas sur un seul enjeu. Cela s’est avĂ©rĂ© d’autant plus manifeste le second jour lorsqu’un nombre sans prĂ©cĂ©dent d’intervenants ont prĂ©sentĂ© leurs observations. Ils reprĂ©sentaient un grand nombre d’associations et de communautĂ© canadiennes, notamment la communautĂ© des LGBTQ2, des humanistes, athĂ©es, juristes, Ă©vangĂ©listes, sikhs, adventistes du septième jour, catholiques, partisans de l'État laĂŻc, membres du corps professoral, organismes de bienfaisance, organismes de reprĂ©sentation et de dĂ©fense des libertĂ©s civiles. Chaque intervenant cherchait Ă  aider la Cour Ă  comprendre les effets de la dĂ©cision sur le pays et plus particulièrement sur les personnes ayant un lien avec son client.

La démocratie de notre nation

J’ai rĂ©alisĂ© que je n’envie pas les juges de la CSC. La dĂ©cision rendue dans les affaires TWU aura des incidences considĂ©rables sur la population canadienne Ă  de beaucoup plus nombreux Ă©gards que la plupart des gens ne le rĂ©alisent, je pense. Certaines questions touchant la dĂ©mocratie au sein de notre nation Ă©taient des enjeux essentiels de ces affaires.

  • Que cela signifie-t-il vĂ©ritablement pour le Canada d’ĂŞtre une « mosaĂŻque » Ă  ce moment de notre histoire?
  • Quels sont les paramètres appropriĂ©s du pluralisme dans notre sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique?
  • Que signifie la diversitĂ© et Ă  qui incombe-t-il de dĂ©terminer les diffĂ©rences qui sont reconnues sur la « place publique »?
  • Quand un gouvernement « avalise-t-il » les actes et mesures d’une association privĂ©e et comment cela influence-t-il notre « mosaĂŻque » sur la « place publique »?

Ce pour quoi je suis reconnaissante

Dans l’ensemble, je suis vraiment heureuse de vivre dans un pays dĂ©mocratique et libre oĂą les questions sont rĂ©glĂ©es, sans recours Ă  la violence ou Ă  la force, par un groupe diversifiĂ© de porte-parole chevronnĂ©s. C’est un bienfait qu’il faut prĂ©server. Dans la mĂŞme veine, de pair avec mes homologues juridiques canadiens, les personnes appartenant aux multiples communautĂ©s religieuses du Canada (y compris les partisans de l'État laĂŻc, humanistes et athĂ©es) ainsi que les nombreuses personnes du monde entier, j’attends avec impatience de savoir comment la Cour va trancher les affaires TWU, et de voir comment ces dĂ©cisions vont façonner l’avenir de la nation que j’aime profondĂ©ment et qui est la mienne.

N.D.L.R. Le 15 juin, la Cour suprĂŞme a rendu sa dĂ©cision dans les deux pourvois portant sur TWU qu’elle devait examiner, donnant gain de cause au Barreau du Haut-Canada (son nom d’alors) et Ă  la Law Society of British Columbia, les autorisant Ă  refuser d’agrĂ©er la proposition de crĂ©ation d’une facultĂ© de droit par Trinity Western University.

Gwenyth S. Stadig est avocate dans le cabinet Lennox & Penney LLP. gstadig@cambridgelaw.ca.