Ah, les jeunes d’aujourd’hui…

  • October 12, 2011
  • Nicolas Ritoux

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Ils sont ambitieux. Frondeurs. Questionnent les décisions de leurs aînés. Prennent leur réussite pour un droit acquis. Comble d’audace, ils réclament plus de temps pour leur vie personnelle. La nouvelle génération confond-elle le beurre et l’argent du beurre, ou a-telle juste mieux compris ce qu’est un avocat heureux?

« Quand je compare les collègues de mon âge avec ceux de la génération émergente, je les envie », confie André Morrissette, 50 ans, président du conseil d’administration de BCF à Montréal. « Ils vivent mieux que nous vivions. Nous avons littéralement consacré nos vies à nos carrières. Ils ont les mêmes besoins d’accomplissement, mais sont plus intelligents dans leur sens des priorités, car ils sacrifient moins certains aspects de leur vie au profit de la carrière. Ils veulent réussir, mais aussi rester en santé, être des êtres sociaux, s’exposer à la culture. Si c’était à refaire, je ferais comme eux! »

Alors la question qu’il faut se poser: Quelles sont les clés de leur succès?

Priorité à la qualité de vie

En cabinet comme en entreprise, la pression de faire des longues heures n’a aucunement diminué. Mais les avocats de la nouvelle génération ont nettement moins le goût du sacrifice que leurs aînés.

« Je crois en l’auto-détermination », déclare Pascale Pageau, présidente fondatrice du cabinet Delegatus, compose en grande partie d’avocats dans la trentaine. Les grands cabinets où elle a commencé sa carrière l’empêchaient de s’occuper de ses deux enfants. « J’ai donc choisi de changer moimême les règles du jeu », dit l’avocate de 36 ans, qui a fait deux enfants de plus depuis cette transition.

« Notre cabinet reflète les aspirations de notre génération. Nous n’imposons pas de quantité d’heures minimales, chacun fait son propre horaire et travaille chez lui, à nos bureaux ou chez le client » explique Me Pageau. « Certains avocats font beaucoup d’heures, d’autres débrayent pour une période donnée. Bien sûr, ceux qui travaillent moins vont gagner moins, mais l’essentiel est de leur offrir le choix. »

Outre la vie personnelle, cette « auto-détermination » permet à certains avocats de Delegatus de s’impliquer intensément à l’extérieur du droit, comme son vice-président Paul St-Pierre Plamondon (34 ans) qui a fondé le regroupement Génération d’idées, ou Marc Tanguay (38 ans) qui préside le Parti libéral du Québec.

Si les plus jeunes ne se jettent plus corps et âme dans le travail, ce n’est pas juste une question de génération, mais aussi de changement d’époque, selon Dominique Tardif, 33 ans, directrice du bureau montréalais de la firme de recrutement ZSA.

« Ces changements s’expliquent en partie par la place des femmes dans la profession, qui a énormément changé », observe Me Tardif. « Chez les trentenaires, la proportion des sexes est de 50-50, et les jeunes femmes dominent dans les facultés de droit. Les hommes ont maintenant des épouses qui ont des carrières, avocates ou non. Le double revenu leur donne une marge de manoeuvre qui n’existait pas il y a 20 ans. »

Exode corporative

Autre tendance typique des X-Y: leur goût pour l’entreprise plutôt que le cabinet.

« Le travail en contentieux est idéal quand on cherche un meilleur équilibre entre les vies professionnelle et personnelle. On ne travaille pas moins fort en entreprise, mais on travaille différemment », témoigne Jean-François Théorêt, 33 ans, associé au bureau de recrutement juridique Haney, à Montréal.

« En contentieux, on fait des heures très productives en comparaison des cabinets où il faut se consacrer au développement de clientèle, au réseautage ou encore à des lunchs interminables. Beaucoup d’avocats de ma génération font le saut en entreprise pour se concentrer sur l’aspect juridique de leur travail. »

« Les entreprises recrutent davantage à l’interne par une volonté économique qui n’a rien à voir avec la volonté des trentenaires », renchérit Dominique Tardif. « Mais ce qui est sûr, c’est que les jeunes sont moins impressionnés par le presume prestige de la pratique privée et s’intéressent à se rapprocher du monde des affaires. Cela leur permet de voir les conséquences à long terme de chaque dossier dans l’ensemble de l’entreprise. »

Polyvalence et infidélité

Un jour ici un jour ailleurs. Nos jeunes avocats ne s’intéressent plus seulement au droit. Beaucoup développent des compétences extrajuridiques pour se donner la chance d’évoluer plus librement dans leur carrière.

« J’en vois de plus en plus chercher une éducation connexe avec un MBA, par exemple, dans l’espoir d’accéder à des postes de direction sans lien avec le juridique », observe Jean-François Théorêt. « Ils veulent garder leurs options ouvertes pour ne pas se sentir menottés dans le domaine du droit. » « Les doubles formations et les études supérieures sont de plus en plus fréquentes », seconde Dominique Tardif. « Les jeunes arrivent en pratique avec un bagage plus étendu qu’auparavant; et comme ils étudient quelques années de plus, ça donne des candidats plus matures. »

En revanche, les X-Y seront moins enclins à rester fidèles au même employeur pendant de longues périodes. Comme dans d’autres domaines professionnels, cette génération est plus mobile que jamais et n’a pas peur de passer d’une job à l’autre. Raison de plus pour apprendre à bien les traiter!

Méritocratie

Les jeunes avocats sont d’autant plus difficiles à fidéliser qu’ils n’ont pas toujours la même échelle de valeurs que leurs aînés. Autres temps, autres moeurs: ces jeunes-là sont délicats. Quand vient le temps de les diriger, mieux vaut s’armer de patience et d’arguments.

« Faites attention: de plus en plus, les jeunes avocats vont valoriser la compétence plutôt que l’expérience. Ils ne se laisseront plus impressionner par l’âge, le titre ou le statut », prévient Émilie Germain-Villeneuve, 31 ans, associée chez Robinson Sheppard Shapiro.

« Ils s’attribuent beaucoup de valeur, très rapidement, et ne se gênent pas une seconde pour juger la compétence de leurs supérieurs », poursuit-elle. « Je vois des jeunes s’adresser aux plus vieux comme si tout leur était dû après un an de pratique. Des nouveaux qui répondent à un senior:“le travail que tum’as demandé pour demain, ça ira au jour d’après parce que j’ai un souper ce soir”. Ou qui s’adressent à des juges sur un ton familier sans être le moindrement impressionnés. Certains commencent même à évoquer leur avenir d’associé après 6 mois…»

Pour les plus vieux, le choc arrive dès l’entrevue d’embauche, selon la recrutrice Dominique Tardif. « Certains me rappellent pour me dire : est-ce que c’est moi qui posais les questions, ou bien le candidat? Ils sont surpris de voir à quell point les jeunes scrutent en détail le poste qu’on leur offre, selon leurs intérêts. »

Réalisme

Question de contexte économique, selon Caroline Haney, qui dirige la firme de recrutement juridique Haney en partenariat avec M. Théorêt. L’avocate de 42 ans pense que les périodes difficiles traversées par sa génération ont forgé une sagesse et un relativisme qui manque cruellement aux jeunes.

« Nous sommes plus réalistes qu’eux, car nous avons commencé dans la tourmente des années 90. Ceux d’après 2000 n’ont eu qu’à se baisser pour trouver des stages, des gros salaires de départ et des bonis à l’embauche, encouragés par la concurrence entre cabinets », raconte Me Haney.

« Quand la nouvelle récession est arrivée en 2010, l’univers s’est soudainement arrêté de tourner autour d’eux. Je rencontre des jeunes qui sont courtisés depuis l’université et je dois leur expliquer que leur gros salaire n’est pas acquis, que des récessions peuvent arriver et qu’ils doivent baisser leurs attentes en attendant que ça passe. »

Souplesse dans le leadership

Qu’arrive-t-il quand les trentenaires deviennent à leur tour leaders? Savent-ils mieux que personne inspirer les avocats de la génération X-Y?

« À ce moment, ils réalisent que c’est une chose de demander, mais c’en est une autre de livrer. Ils découvrent des impératifs, des responsabilités. C’est une prise de conscience qui consacre en quelque sorte leur passage à l’âge adulte », estime Me Haney.

« Ils vont être plus souples sur des choses comme les horaires et la présence physique au bureau, et plus sensibles à la satisfaction globale des employés au-delà des dossiers », ajoute Dominique Tardif.

Pour Me Pageau, qui dirige des gens de sa génération, tout est dans l’écoute et la communication ouvertes. « Nous offrons des rétroactions en permanence. Tout le monde doit se sentir important dans l’organisation. Si l’on impose sans engager les autres dans le processus de décision, ils se seront moins motivés. Quand on prend leur point de vue en considération, ils s’approprient les projets. »

Sacrifice en option

Si les valeurs et aspirations des plus jeunes gagnent à être épousées, certaines contraintes n’ont pas changé dans le monde qui les entoure. Comme par exemple, les attentes des clients.

« Notre génération est choyée. Nous avons le choix de refuser de travailler le soir ou d’organiser nos horaires selon nos préférences. Et les filles ont maintenant droit à des congés maternité d’un an. Mais la pratique, elle, n’a pas tant changé », prévient Me Germain-Villeneuve. « Nous avons des clients à satisfaire et une entreprise à rentabiliser.

Si vous voulez des gros salaires sur des dossiers importants, vous ne pourrez pas quitter le bureau à 16h30 », poursuit la jeune associée.

« Quand les clients commenceront à nous donner plus de 24 heures pour obtenir une réponse, quand ils quitteront tôt leur bureau en disant: “on s’en reparle demain”, alors nous pourrons peut-être relaxer. Pour le moment, nous sommes encore en transition. Tant que le client en demande, il faut lui en donner. »

Cet article a d'abord paru dans le plus récent numéro du magazine National de l'ABC (octobre/novembre 2011).