Congé de maternité et condition parentale : pour une vision à long terme

  • Valerie Mutton

Les mamans avocates en pratique privĂ©e — celles qui tiennent en Ă©quilibre interrogatoires et services de garde, rĂ©unions d’associĂ©s et rencontres parents-professeurs — ont de quoi cĂ©lĂ©brer. Apprendre Ă  jongler avec toutes ces tâches peut ĂŞtre un dĂ©fi solitaire, un dĂ©fi qui pousse d’ailleurs plusieurs d’entre elles Ă  changer de carrière.

Mais un rapport du Barreau du Haut-Canada sur le maintien des avocates en pratique privĂ©e annonce un soulagement sous la forme de recommandations concrètes pour aider les femmes Ă  gĂ©rer les rĂ´les exigeants de parent et de juriste. Ces recommandations innovatrices, Ă©laborĂ©es par un groupe de travail du Barreau et publiĂ©es en mai 2008, proposent d’aider les grands cabinets Ă  adopter des programmes pour le maintien et l’avancement des femmes, de dĂ©velopper un rĂ©pertoire de supplĂ©ants pour aider les femmes Ă  maintenir leur pratique durant leur congĂ©, de crĂ©er un programme pilote de prestations de congĂ© parental de 3000 $ pour trois mois, et d’offrir des ressources en ligne et des conseils en gestion de la pratique et en perfectionnement professionnel.

Claire Wilkinson, avocate chez Martin & Hillyer Ă  Burlington, en Ontario, et mère de deux garçons et d’une fille, accueille très favorablement ce rapport. Elle approuve tout particulièrement l’idĂ©e des prestations de congĂ© parental, qui complèteraient ainsi les prestations actuelles des mères travaillant dans de petits cabinets qui n’offrent pas de prestations complĂ©mentaires maison. « Je n’ai pris que quatre mois pour chacun de mes trois congĂ©s de maternitĂ© », dit-elle, prĂ©cisant que sa charge de travail ne lui permettait pas d’en prendre plus. « Mais en plus, il y avait un coĂ»t financier certain Ă  prendre ces congĂ©s de maternitĂ©, surtout mon dernier congĂ©, en 2004, lorsque j’Ă©tais Ă  mon propre compte », ajoute-t-elle. « Je devais continuer de payer les frais gĂ©nĂ©raux de mon bureau, comme le loyer, les dĂ©penses communes et le salaire de mes deux employĂ©s Ă  temps plein pour toute la pĂ©riode de mon congĂ©. »

Kristen Bucci, avocate chez Buset & Partners s.r.l., un petit cabinet de Thunder Bay, se rappelle avoir eu Ă  prendre part Ă  une audience alors que son premier enfant n’avait que trois semaines. « Elle Ă©tait allaitĂ©e, alors je l’allaitais avant l’audience et Ă  l’heure du dĂ®ner. »

Ancienne prĂ©sidente de son association d’avocats et d’avocates locale et aujourd’hui membre de la CDLPA (County and District Law Presidents’ Association), Mme Bucci a contribuĂ© Ă  la rĂ©daction de la rĂ©ponse de la CDLPA aux recommandations du Barreau concernant le maintien des femmes. Elle qualifie ces recommandations d’excellentes et a bon espoir qu’une fois mises en Ĺ“uvre, elles aideront les jeunes mères Ă  prendre le temps dont elles ont besoin pour crĂ©er l’attachement avec leur enfant.

Elle dit avec une pointe de regret : « Si le Barreau m’avait offert 3000 $ par mois pour trois mois de congĂ© de maternitĂ©, je les aurais pris. » La mise sur pied d’un rĂ©pertoire de supplĂ©ants pourrait aussi ĂŞtre extrĂŞmement utile, ajoute-t-elle — si l’initiative peut attirer le nombre important d’avocats et d’avocates nĂ©cessaire Ă  son succès.

Un équilibre délicat

Quel que soit le genre d’aide offerte au travail, les stratĂ©gies personnelles sont primordiales pour l’Ă©quilibre travail-famille. Claire Wilkinson offre ce conseil pour les jeunes mamans avocates : « Je donne Ă  mes techniciens une Ă©norme quantitĂ© de responsabilitĂ©s, mais je les supervise », explique-t-elle. « La dĂ©lĂ©gation de responsabilitĂ©s est un bon moyen d’Ă©tendre votre portĂ©e. » Et ne paniquez pas en pensant Ă  la quantitĂ© de travail Ă  faire. « Pour me permettre de garder le contrĂ´le sur mon travail, j’Ă©vitais d’exiger de moi-mĂŞme la perfection. »

Le rapport du Barreau ne porte pas seulement sur les inquiĂ©tudes des femmes exerçant Ă  leur propre compte ou dans de petits cabinets. Les recommandations du groupe de travail reconnaissent aussi la nĂ©cessitĂ© pour les grands cabinets d’adopter des programmes visant le maintien et l’avancement des femmes. (Le projet pilote de trois ans intitulĂ© « laboratoire Justicia » est un tel programme qui, depuis la publication du rapport, a reçu l’appui de 40 cabinets d’avocats en Ontario.)

Kirby Chown, associĂ©e directrice rĂ©gionale de l’Ontario chez McCarthy TĂ©trault Ă  Toronto, approuve cette orientation. Elle considère que les grands cabinets pourraient faire beaucoup plus pour soutenir les jeunes mères. Dans son cabinet, dit-elle, une future mère est associĂ©e Ă  une « accompagnante », une avocate d’expĂ©rience au sein du mĂŞme groupe qui peut agir comme mentor. Mme Chown se dit particulièrement fière d’une initiative rĂ©cente, celle d’offrir six heures de consultation sur les questions de conciliation travail-vie privĂ©e qui se posent lorsqu’une carrière en pleine ascension est combinĂ©e Ă  la maternitĂ©. Une personne formĂ©e en thĂ©rapie familiale et qui a une bonne connaissance de la culture des cabinets d’avocats a Ă©tĂ© embauchĂ©e pour mettre sur pied ce programme.

Les recherches du groupe de travail du Barreau ont montrĂ© que les cabinets d’avocats ont du mal Ă  maintenir leurs employĂ©es, pour plusieurs raisons. L’une de ces raisons revient constamment : plusieurs avocates quittent leur poste après avoir conclu qu’il n’Ă©tait pas possible, en pratique privĂ©e, d’avoir une carrière juridique productive tout en Ă©tant une mère dĂ©vouĂ©e.

Mais si l’industrie a mis du temps Ă  rĂ©agir Ă  ce problème, ce n’est certes pas en raison d’un manque d’outils disponibles, affirme Deborah Epstein Henry, conseillère auprès des cabinets d’avocats et prĂ©sidente fondatrice de Flex-Time Lawyers LLC. Mme Henry propose Ă  l’industrie de profiter davantage des outils culturels et pas seulement des outils institutionnels. Les cercles de mentorat, par exemple, oĂą des groupes de huit Ă  quinze femmes se rencontrent sur une base rĂ©gulière, peuvent fournir une aide indispensable. « Il y a plus de chances d’Ă©tablir un rapport personnel, et une plus grande continuitĂ© dans la relation », dit-elle.

Selon Mme Henry, les avocates peuvent aussi provoquer des changements en choisissant des cabinets qui rĂ©pondent Ă  leurs besoins. Un guide qu’elle a rĂ©digĂ© pour aider les Ă©tudiantes en droit Ă  relever ce dĂ©fi est maintenant utilisĂ© par les cabinets qui dĂ©sirent motiver et maintenir leurs avocates.

Mme Chown, pour sa part, dĂ©clare qu’elle aimerait voir plus de cabinets d’avocats faire preuve d’une vision Ă  long terme sur les questions touchant le congĂ© de maternitĂ© et la condition parentale. « Si une femme prend deux ou trois ans de plus Ă  devenir associĂ©e parce qu’elle est une mère, sur une carrière de vingt-cinq ans, ce n’est vraiment pas une quantitĂ© de temps très importante, et les cabinets d’avocats devraient ĂŞtre plus conciliants. »

L’enjeu est trop grand pour que les femmes voulant faire carrière en pratique privĂ©e cèdent Ă  la pression sociale les incitant Ă  ĂŞtre moins ambitieuses, selon Mme Chown. « C’est important que les femmes sachent qu’il est possible d’ĂŞtre une mère tout en aimant son travail. »

Valerie Mutton est rédactrice indépendante.