Des « frontières saines » : un moyen essentiel d’éviter l’épuisement professionnel

  • Amy Jo Ehman

Après avoir exercé le droit pendant plus de trente ans, Malcolm savait qu’il avait un problème. Il avait beaucoup trop travaillé aux dépens de sa famille, ramenant à la maison l’animosité et les conflits souvent liés à la réussite dans le domaine juridique.

Toute la bravade et le sentiment d’invincibilité du jeune avocat ont laissé place aux doutes et au désenchantement d’un homme qui a consacré sa vie à sa carrière pour découvrir que le prix à payer était beaucoup trop élevé.

« Un évènement est survenu dans ma vie qui m’a forcé à m’arrêter et à réfléchir », relate Malcolm (nom fictif), parlant sous couvert de l’anonymat. « J’ai réalisé que, année après année, il y avait eu une érosion de la connexion que j’avais avec ma femme et mes enfants, et je ne voulais plus continuer comme ça. »

En septembre, Malcolm s’est inscrit à un atelier de douze semaines dans la région de Vancouver pour juristes épuisés et souffrant d’un manque d’équilibre dans leur vie. « Certains verraient ça comme un signe de faiblesse », dit-il. « En revanche, ceux qui reconnaissent l’importance d’une vie équilibrée approuveraient probablement une telle initiative. »

Le prix de l’inaction est élevé : la profession juridique connaît un taux de divorce, de maladie et de suicide plus élevé que les autres professions; les avocats et les avocates ont deux fois plus de chances que les autres professionnels de succomber à l’abus d’alcool, et trois fois plus de chances de souffrir de dépression et d’autres formes de maladie mentale.

« Les avocats s’épuisent. Ils tombent malades. Ils souffrent, et meurent », déclare John Starzynski, directeur général du Programme d’aide aux avocats de l’Ontario.

« Les jeunes juristes nous disent : “Ce n’est pas ce pour quoi nous avons signé. Nous ne savions pas qu’il fallait donner sa vie pour exercer le droit.” »

Combattre l’épuisement professionnel

L’épuisement professionnel est un symptôme, pas un syndrome. La cause profonde de l’épuisement est l’incapacité de tracer des limites claires avec les clients, le cabinet et les attentes extérieures, selon Robert Bircher, coordonnateur de programme au Lawyers Assistance Program de la Colombie-Britannique.

C’est M. Bircher qui a mis sur pied l’atelier de douze semaines, intitulé « Creating Balance Through Healthy Boundaries » (« atteindre l’équilibre au moyen de limites saines »), qui est offert pour la première fois cet automne à Vancouver.

Les participants et les participantes à ce programme apprennent à tracer des limites et à élaborer des stratégies pour dire « non » lorsque ces limites sont transgressées. L’objectif est de leur permettre de se donner du temps pour ce qu’ils aiment.

« Plusieurs avocats et avocates ont peur de déplaire. Ils négligent leurs frontières et leur vie perd alors son équilibre », explique M. Bircher. « Trop souvent, les jeunes avocats et avocates sont tellement empressés et enthousiastes qu’ils oublient de prendre soin d’eux-mêmes. Ils décrochent de leurs amitiés et de leurs activités physiques. C’est très malsain. »

En fait, le glas sonne assez tôt : les étudiants en droit ont eux aussi plus de chances que les autres de souffrir de dépression. « Il y a quelque chose dans le droit qui est “dépressogénique” », selon Robert Bircher. « Le droit est centré sur les conflits et plusieurs avocats et avocates ont du mal à s’y faire. Si vous êtes sujet ou sujette à la dépression, le droit empirera les choses. »

Et il est souvent difficile de ne pas ramener à la maison ce sens du conflit.

« C’est difficile de fermer cet interrupteur-là », remarque Malcolm. « Il faut travailler dur pour perdre cette mentalité de conflit, parce que la famille ne veut pas que vous soyez un avocat quand vous êtes à la maison. »

Des stratégies pour une vie équilibrée

Il faut de l’engagement pour conserver un équilibre entre le travail et la vie personnelle dans une profession qui bien souvent récompense les travailleurs compulsifs. Voici quelques trucs de personnes qui sont passées par là :

  • Mangez bien et faites de l’activité physique. Faites de l’exercice sur l’heure du dîner, par exemple, même si votre cabinet le désapprouve.
  • Ne laissez pas aller vos amitiés et votre réseau social. Trouvez-vous un mentor ou un confident à qui vous pourrez parler tous les jours.
  • Changez de cabinet jusqu’à ce que vous trouviez celui qui convient à vos besoins. « Chaque cabinet d’avocats a sa propre culture. Certaines cultures sont mentalement toxiques, d’autres non », selon M. Bircher.

« Dans les dix premières années de votre carrière, vous devriez avoir changé de place au moins trois fois, à moins que vous ne soyez vraiment heureux ou heureuse là où vous êtes. »

  • Ne prenez pas de médicaments, de drogues ou d’alcool pour vous permettre de travailler très tard. Ces substances créent rapidement une dépendance.
  • Chaque semaine, placez vos projets personnels dans votre agenda avant d’y mettre vos engagements professionnels.
  • Faites une chose spéciale pour vous-même chaque jour.
  • Entretenez votre spiritualité personnelle.

Déplacement de frontière

Bien que les jeunes avocats et avocates subissent le stress lié à l’exercice du droit, ils sont en général plus susceptibles que leurs collègues chevronnés de conserver un équilibre entre le travail et la vie personnelle et de faire appel aux conseils de professionnels, selon M. Starzynski.

Ce dernier ajoute que plusieurs cabinets prennent aussi graduellement conscience de l’importance d’une vie équilibrée pour la santé des membres de l’entreprise.

Malcolm, l’avocat de Vancouver, regrette de ne pas avoir appris plus tôt dans sa carrière à tracer des limites et à dire « non ».

« J’aurais aimé que ce genre de formation soit offert il y a vingt-cinq ans et avoir la volonté d’y participer », dit-il. « J’aurais eu tort de ne pas le faire. »

Amy Jo Ehman est rédactrice indépendante.