Soigner la forme : ce que font des cabinets juridiques pour une génération soucieuse de santé

  • Amy Jo Ehman

Le cliché de l’avocat qui pourchasse une ambulance est usé et injuste, mais au moins cet avocat faisait de l’exercice. De nombreux cabinets juridiques reconnaissent à quel point le conditionnement physique peut améliorer le rendement au travail, le marketing, la rétention du personnel et le moral. C’est au point où il n’est pas inhabituel de trouver des cabinets qui subventionnent l’abonnement à un gymnase à titre d’avantage social.

Cependant, tout le monde ne prend pas plaisir à faire de l’exercice dans un gymnase. Comme de nombreux cabinets juridiques canadiens le prouvent, il y a des façons créatives d’offrir des avantages en termes de conditionnement physique, de sorte que tout le monde y trouve son compte et, plus encore, que le cabinet puisse favoriser une atmosphère où les employés de soutien autant que les avocats tiennent à participer.

Récompenser l’activité physique

Miller Canfield – Windsor (Ontario)

Ce n’est pas en travaillant sans s’arrêter pour déjeuner qu’on marque des points chez Miller Canfield à Windsor (Ontario). De fait, ce serait plutôt en quittant son bureau pour aller courir... ou participer à une classe de yoga... ou faire une promenade en patins à roues alignées. Afin d’encourager l’activité physique, Miller Canfield a institué une carte de pointage sur laquelle les membres du cabinet consignent volontairement leurs activités physiques et échangent leurs points pour des prix tels que chaussettes de sport, podomètre, sac de sport ou blouson.

« Nous offrons un vaste choix de récompenses pour le seul fait de bouger et faire de l’exercice, dit la gestionnaire du bureau Patricia Mayea. Le nombre d’employés qui participent est formidable. »

Le programme de conditionnement physique de Miller Canfield s’appelle MC Fitness Club, et la participation y est bien récompensée. Outre les articles, on peut obtenir 100 $ de contribution à un abonnement à un gymnase, 150 $ pour un programme de perte de poids et jusqu’à 150 $ pour arrêter de fumer en recourant par exemple au timbre à la nicotine ou à l’hypnose. L’incitatif financier pour renoncer au tabac est d’ailleurs offert trois fois.

« Ainsi, si vous essayez en vain mais voulez de nouveau le tenter un an plus tard, nous remboursons encore, dit Mme Mayea. Parce que si vous essayez une deuxième ou troisième fois, nous pensons que vous êtes pas mal décidé. »

Une fois par mois, un massothérapeute vient au bureau pour prodiguer de rapides massages relaxants du dos, des épaules et des mains. Une fois l’an, une infirmière autorisée vient vérifier les signes vitaux tels que pression artérielle, cholestérol, réserves lipidiques et poids. La participation est volontaire, mais tous ceux qui s’y prêtent reçoivent 150 $ à dépenser à leur guise.

Les résultats restent confidentiels. L’infirmière communique directement avec toute personne qui devrait y porter une attention particulière. Par contre, les données moyennes permettent de dresser un bilan des progrès réalisés par les 24 avocats et 40 employés de soutien du bureau de Windsor. Par exemple entre 2003 et 2004, selon Mme Mayea, la proportion de personnes ayant un excédent de poids a baissé de 46 % à 35 %. Les personnes ayant un taux de cholestérol élevé sont passées de 34 % à 17 %, et les fumeurs, de 26 % à 17 %. En même temps, la participation totale au programme a augmenté de 44 personnes à 52.

« C’est totalement volontaire, insiste Mme Mayea. Nous mettons tout à disposition, mais nous n’imposons rien. »

Elle travaille maintenant à un livre de cuisine « choix santé de MC », qui présente une collection de recettes proposées par des membres du cabinet. La publication a été retardée en raison du grand nombre de suggestions. Le club santé MC a valu au cabinet une médaille d’or pour la participation, décernée par la régie régionale de santé de Windsor.

Approche descendante ou ascendante

Les options santé offertes aux membres du cabinet relèvent de deux grandes catégories : celles qui, comme le club santé MC, sont créées par la direction et offertes à tous les membres qui souhaitent en profiter, et les activités proposées par les membres et appuyées par le cabinet.

Mme Mayea explique que le club santé MC a été créé par le siège social de Miller, Canfield, Paddock and Stone à Detroit (Michigan) afin d’améliorer la santé de ses employés aux États-Unis et de réduire le coût à long terme des soins de santé. Bien que ce coût soit moins préoccupant au Canada où chacun bénéficie de l’assurance-santé universelle, d’autres avantages se sont rapidement révélés : une plus grande énergie au bureau, une réduction des jours d’absence pour maladie ainsi qu’une plus grande camaraderie entre avocats et employés de soutien.

En plus du programme officiel, le bureau de Windsor a lancé des initiatives comme le patin sur glace et des randonnées en vélo au profit d’œuvres de bienfaisance. Un groupe d’employées s’entraîne ensemble au YWCA. Un associé principal joue au basketball à l’heure du déjeuner et un autre offre des démonstrations d’autodéfense. Le tout donne un lieu de travail actif où les cadres supérieurs montrent l’exemple à suivre et presque tout le monde, jusqu’au commis subalterne, emboîte volontiers le pas.

Prêcher par l’exemple

Siskinds – London (Ontario)

Même le plus athlétique des jeunes avocats aurait de la peine à suivre le train de Mike Peerless, associé chez Siskinds à London (Ontario). Alors qu’il avoue avoir été un téléphage jusqu’en 2000, il est aujourd’hui un fervent adepte du conditionnement physique, courant des marathons et participant à des triathlons Ironman de Hawaï jusqu’en Floride. Telle n’était pourtant pas sa priorité quand il est entré au cabinet.

« Quand j’ai débuté ici en 1991 comme étudiant stagiaire, je ne faisais aucune sorte de conditionnement, dit-il. J’ai travaillé très très fort, sans doute trop fort, pendant cinq à six ans, jusqu’au point où je pesais 250 livres et j’avais besoin de chirurgie au dos. J’étais assis à mon bureau 18 heures par jour, et ce n’était pas bon. »

M. Peerless a découvert le conditionnement et aujourd’hui, il prêche par l’exemple dans un cabinet juridique où l’activité physique fait partie de la culture d’entreprise. L’athlétisme appuie divers buts du cabinet, depuis le développement du travail en équipe jusqu’au marketing, à la conciliation travail-vie personnelle et à la participation à des bonnes œuvres.

« Si tous les cadres supérieurs passaient leur temps dans un fauteuil à fumer le cigare ou à jouer au golf, nous aurions plus de gens dans toute la hiérarchie qui feraient de même, dit M. Peerless. Les avocats comprennent vite ce qui est valorisé dans le cabinet. »

Le cabinet offre des abonnements subventionnés au gymnase, des installations convenables pour prendre une douche et se changer ainsi qu’une attitude souple envers les exercices durant la journée de travail. Des activités sont initiées par des membres individuels du cabinet et soutenues par le cabinet.

C’est ainsi que Siskinds en est venu à commanditer une course annuelle au profit de la recherche sur la rétine et la course « Faites-le pour papa! » (activité de financement pour la recherche sur le cancer de la prostate), en fournissant des volontaires, des t-shirts, des prix et un effectif de coureurs. Il reste assurément que certains des 75 avocats du cabinet se prélassent ou jouent au golf à la retraite annuelle, mais bon nombre d’entre eux choisissent plutôt d’enfiler leurs espadrilles et de courir ensemble une saine distance.

« Si ces choses ne se font pas au sommet, les autres ne les feront pas non plus, selon M. Peerless. Vous ne pouvez pas leur dire de se mettre en forme, puis ne pas vous mettre en forme vous-même. Si je peux les encourager à le faire, et ce, d’une façon qu’ils trouveront amusante, c’est bon pour mes affaires. Je n’ai aucun doute que je suis plus efficace quand je suis en forme, et je crois que c’est vrai pour tout le monde. »

Si vous vivez à London, il y a de bonnes chances que vous ayez déjà vu la voiture de course orange et blanche en partie commanditée par Siskinds. Elle est présente à de nombreux événements commandités par Siskinds. Le cabinet appuie aussi une équipe de lacrosse et le hockey local. Émanation du cabinet, Siskinds Sports Management a été créé pour représenter les athlètes professionnels sous la direction de Brian MacDonald, ancien éclaireur et directeur général dans la LNH. De toute évidence, l’accent mis sur l’athlétisme n’est pas seulement bon pour les employés, mais aussi pour le marketing.

« Ce sont des choses que les gens remarquent, dans une ville comme London, conclut M. Peerless. Personne n’engage un avocat parce que le cabinet commandite une course à pied ou une voiture de course; c’est quand même un facteur de plus qui entre dans la prise de décisions des gens. »

L’approche holistique

Bull, Housser & Tupper – Vancouver (Colombie-Britannique)

Si le conditionnement n’est pas seulement une affaire physique, alors les avantages du conditionnement ne concernent pas seulement le rythme cardiaque et la sueur. De nombreux cabinets, y compris Siskinds et Miller Canfield, offrent des programmes de mieux-être qui visent aussi l’alimentation, la réduction du stress, l’ergonomie et la santé mentale.

« Nous avons une approche plus holistique de la santé et du mieux-être, qui ne se limite pas au conditionnement physique même si celui-ci en fait certainement partie, dit Ann Johnston, directrice des ressources humaines chez Bull, Housser & Tupper à Vancouver (Colombie-Britannique). Je crois que cette vision plus vaste contribue au faible taux de départs de notre personnel. Nous avons des employés qui sont ici depuis plus de 30 ans. »

De toute évidence, les 100 avocats et 150 employés de soutien de Bull, Housser & Tupper apprécient cette approche. Dans un sondage sur les lieux de travail publié par le magazine BC Business, les membres du cabinet l’ont si bien coté qu’il a été nommé un des 25 meilleurs endroits où travailler en Colombie-Britannique. L’an dernier, il était 22e au palmarès, et cette année, 12e. Il est le seul cabinet d’avocats dans les 25 premiers. Mme Johnston affirme que la culture de mieux-être et de forme physique est un important facteur de cette réussite.

« Nous avons une attitude très souple envers le conditionnement physique, de sorte que nos employés puissent trouver le moyen de faire une bonne séance d’exercice – que ce soit une course dans le parc Stanley ou une classe de yoga, dit-elle. De nombreuses femmes travaillent ici, et elles peuvent avoir une heure ou une heure et demie pour faire leurs exercices, prendre une douche, sécher leurs cheveux et revenir au travail rafraîchies. Cela fait une grande différence. »

Le programme officiel santé et mieux-être de Bull, Housser & Tupper offre divers avantages et activités afin d’encourager le conditionnement physique et la conciliation du travail et de la vie personnelle. Il y a ainsi des abonnements subventionnés au gymnase, des collations santé au bureau et des conférenciers du midi qui parlent de sujets comme la santé physique, mentale, émotive, financière et familiale.

En outre, le cabinet encourage et soutient les initiatives des employés individuels. Il y a par exemple une équipe de basketball et une équipe de hockey, un tournoi de curling, l’escalade hebdomadaire du « Grouse Grind » (randonnée en montagne très appréciée) et la participation en groupe à des courses au profit de bonnes œuvres.

« Une personne a une idée, et le cabinet l’adopte et apporte l’appui nécessaire, dit Mme Johnston. Il peut s’agir aussi bien d’acheter de la pizza après une partie de baseball, d’acheter des chandails et des maillots ou de payer des entrées. Nous sommes souples et nous nous adaptons aux besoins et aux passions des membres de notre cabinet. C’est une grande partie du succès de notre programme santé et mieux-être. »

L’an dernier, certains membres du cabinet ont organisé une équipe d’aviron pour une activité de bienfaisance. Les participants comptaient aussi bien un commis qu’un associé principal. Même s’ils avaient de l’enthousiasme en abondance, peu d’entre eux avaient de l’expérience de l’aviron. À la surprise générale, ils ont gagné le tournoi.

« Pour les participants, l’expérience a été très bénéfique. Mais de plus, elle a aussi été bénéfique pour le cabinet, dit Mme Johnston. Nous sommes 250 à travailler ici ensemble, cinq jours par semaine, souvent dans des conditions stressantes et pendant de longues heures, et des activités de ce genre nous unissent. Elles donnent un sentiment de solidarité avec tout le monde au cabinet. »

Mme Johnston ajoute qu’il est important de faire participer les membres de la famille aux activités physiques, parce que ceux qui travaillent toute la semaine tiennent à passer de bons moments avec leurs êtres chers pendant leurs heures de repos.

« Nous trouvons que cet aspect prend une importance croissante, donc nous recherchons les occasions de faire participer les membres de la famille. Pas seulement les conjoints, mais aussi les enfants. Ils apprécient réellement que nous organisions des événements pour toute la famille. »

Un budget en forme

Epstein Cole – Toronto (Ontario)

De nombreux cabinets qui offrent des avantages en termes de conditionnement physique considèrent que c’est un bon investissement. Par exemple, M. Peerless estime que Siskinds dépense 50 000 $ à 70 000 $ par année pour les activités de conditionnement et les commandites du cabinet, mais ce n’est pas un poste qui le préoccupe au moment de dresser le budget.

« Si quelqu’un proposait des dépenses judicieuses supplémentaires de 5 000 $ ou 10 000 $ dans ce domaine, nous n’hésiterions pas, dit-il. C’est bon pour mes affaires. Les gens en forme sont en santé, et les gens en santé sont plus efficaces au travail, ce qui nous apporte plus d’argent. C’est l’investissement le plus facile à faire. »

Chez Bull, Housser & Tupper, la directrice des ressources humaines Ann Johnston affirme qu’il n’y a pas de budget précis pour le conditionnement physique et qu’elle ne connaît pas le total de ce que le cabinet y a dépensé dans le passé. « Nous n’avons jamais refusé une bonne idée. Nous n’avons jamais rejeté une demande. »

Mais les activités de conditionnement physique ne sont pas nécessairement coûteuses. Les petits et moyens cabinets peuvent trouver des façons créatives d’encourager le conditionnement sans faire gonfler le budget. La clé consiste à façonner l’activité selon les besoins du cabinet, sa collectivité et les intérêts personnels des employés de soutien et des avocats.

Chez Epstein Cole, un cabinet boutique du centre-ville de Toronto spécialisé dans le droit de la famille, le conditionnement est encouragé sans grande infusion de fonds. Il y a deux ans, le cabinet a déménagé dans une tour de bureaux possédant un centre de conditionnement au rez-de-chaussée; les locataires bénéficient d’un prix de faveur pour les abonnements. Un membre du personnel, technicien juridique mais aussi instructeur certifié de yoga, a initié des classes de yoga et d’étirements au bureau, pendant la journée (sur la terrasse du toit de l’immeuble à l’été). Le cabinet appuie ces projets, mais les participants en paient eux-mêmes le coût.

« La majorité de nos employés sont des femmes, et une fois qu’elles sont rentrées à la maison et qu’elles ont soigné les enfants, il est difficile pour elles de sortir de nouveau pour aller au gymnase. Si elles peuvent faire de l’exercice pendant la journée ou sur le chemin du retour, c’est plus intéressant pour elles », dit Catherine O’Neill, l’administratrice des ressources humaines pour les 25 avocats et 45 employés de soutien d’Epstein Cole.

Le cabinet permet une période souple de deux heures pour le déjeuner, de sorte qu’il est possible de faire de l’exercice même après un repas tardif. L’hiver, on voit souvent un groupe d’employés et d’avocats emporter leurs patins et se diriger vers la patinoire de l’hôtel de ville de Toronto. « On voit nettement une différence à leur retour. Ils sont revigorés », dit Mme O’Neill.

« Pour moi, ajoute-t-elle, ceci alimente la culture, surtout dans un cabinet faisant du droit de la famille. Nous sommes très unis. Nous avons encore la mentalité du petit cabinet, la culture du petit cabinet; nous avons des activités sociales et elles comprennent souvent de l’activité physique. »

« Je ne crois pas que la taille du cabinet doive être un obstacle. Elle peut simplement obliger à un effort de créativité », dit Sally Scotland, directrice nationale des ressources humaines chez Grant Thornton, un cabinet de comptabilité et de conseils en gestion qui travaille auprès de petites et moyennes entreprises de services professionnels partout au Canada.

Elle offre certains conseils. Les avantages monétaires devraient être flexibles, pour que les employés puissent les utiliser pour les activités de leur choix – que ce soit un cours de Pilates, un abonnement à un gymnase ou un vélo d’exercice à la maison. Les options offertes devraient faire partie d’un ensemble plus vaste qui encourage un mode de vie sain et un bon équilibre entre travail et vie personnelle. Les activités devraient être adaptées en fonction des buts du cabinet et des intérêts de ses membres individuels. Il est bon de combiner activités sociales et activité physique. Le fait de combiner le conditionnement et la bienfaisance peut servir divers objectifs en même temps.

« Tout le monde y trouve son compte, parce que vous favorisez le bien-être physique dans votre bureau, ce qui devrait mener à une meilleure santé et une meilleure productivité, avec en prime le fait d’assumer votre responsabilité sociale dans votre milieu, dit Mme Scotland. Les employeurs ayant de tels programmes assument aussi leur responsabilité sociale en aidant à réduire les coûts des soins de santé au pays. »

Par-dessus tout, elle ajoute que c’est une façon proactive de montrer aux membres du cabinet que l’important n’est pas seulement le travail, que leur bien-être personnel est en jeu.

Amy Jo Ehman est une rédactrice pigiste à Saskatoon.