Les nouvelles lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale reçoivent un accueil tiède

  • 27 fĂ©vrier 2017
  • Doug Beazley

investissements Ă©trangers

Il y a neuf ans, le gouvernement du premier ministre Stephen Harper a fait face Ă  un problème de relations publiques Ă©pineux. La sociĂ©tĂ© vancouvĂ©roise MacDonald, Dettwiler and Associates a voulu vendre pour 1,3 milliard de dollars sa division spatiale – responsable de la fabrication du Canadarm, du robot Dextre de la Station spatiale internationale et du satellite Radarsat-2 – Ă  une entreprise amĂ©ricaine.

Les critiques ont taillĂ© en pièces l’affaire, affirmant que la sociĂ©tĂ© vendait la souverainetĂ© technologique canadienne. VexĂ© par les rĂ©actions, le gouvernement Harper a empĂŞchĂ© que la vente ne soit conclue en ayant recours au seul outil dont il disposait alors : le critère de l’« avantage net » de la Loi sur Investissement Canada, la loi fĂ©dĂ©rale qui permet au gouvernement de soumettre tout investissement Ă©tranger Ă  un examen. Le critère de l’avantage net est un instrument inefficace, car les seuils dĂ©clencheurs d’examen, plutĂ´t spĂ©cifiques, sont limitĂ©s par la valeur de l’investissement proposĂ© et la provenance de l’investisseur Ă©tranger (les pays membres de l’OMC ont droit Ă  un seuil plus Ă©levĂ©). Un an plus tard, le gouvernement a modifiĂ© la loi en greffant un deuxième obstacle aux investissements Ă©trangers : l’examen relatif Ă  la sĂ©curitĂ© nationale.

Politiquement, il s’agit d’un geste habile qui donne au gouvernement fĂ©dĂ©ral une Ă©chappatoire dans les situations oĂą des investisseurs Ă©trangers tentent d’acquĂ©rir un actif canadien dont la nature est dĂ©licate en matière de sĂ©curitĂ©. Seulement, de nombreux investisseurs Ă©trangers, appuyĂ©s par leurs conseillers juridiques, ont sĂ©vèrement critiquĂ© l’examen relatif Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, le qualifiant de vague, confus et mĂŞme arbitraire, puisqu’il est impossible de savoir exactement ce qui provoque un tel examen, et encore moins ce qu’il faut faire pour en Ă©viter un.

« L’examen fait en sorte qu’il est très ardu d’Ă©valuer le risque que pose une transaction ou mĂŞme d’avoir une conversation intelligente avec un client sur le risque d’enfreindre la disposition », dit Michael Kilby, un associĂ© de Stikeman Elliott, s.r.l. qui prodigue des conseils Ă  des clients Ă©trangers sur les investissements au Canada.

Lorsque les libĂ©raux de Justin Trudeau ont pris les rĂŞnes du pouvoir, ils ont rapidement annoncĂ© leur intention de faire preuve de plus d’ouverture dans le domaine des investissements Ă©trangers. En 2015, O-Net Communications, une entreprise de Hong Kong, se prĂ©parait Ă  procĂ©der Ă  l’acquisition de la sociĂ©tĂ© montrĂ©alaise ITF technologies. Toutefois, le gouvernement Harper a suspendu la vente en invoquant, Ă  la suite d’un examen relatif Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, que les Chinois, en vertu de cet accord, pourraient avoir accès plus rapidement Ă  une technologie laser militaire de pointe. Le gouvernement Trudeau a annulĂ© cette dĂ©cision et a exigĂ© qu’un nouvel examen relatif Ă  la sĂ©curitĂ© nationale soit menĂ©.

Ă€ la fin du mois de dĂ©cembre 2016, le gouvernement a tenu sa promesse de publier des « lignes directrices » expliquant la portĂ©e des examens relatifs Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, notamment la façon dont ils peuvent ĂŞtre dĂ©clenchĂ©s, leur durĂ©e potentielle et les aspects sur lesquels ils se penchent. Ă€ ce jour, les professionnels du droit semblent rĂ©server un accueil tiède Ă  ces lignes directrices, qui ne sont pas aussi dĂ©taillĂ©es que ce qu’ils espĂ©raient.

« Je ne crois pas que les lignes directrices apportent une prĂ©cieuse orientation quant Ă  l’application de l’examen dans des contextes prĂ©cis », dĂ©clare Subrata Bhattacharjee, associĂ© chez Borden Ladner Gervais. « Je crois aussi que ces attentes auraient Ă©tĂ© trop Ă©levĂ©es. Les examens relatifs Ă  la sĂ©curitĂ© nationale sont de nature dĂ©licate et traitent des renseignements que le gouvernement ne se sent pas libre de dĂ©voiler. »

La majoritĂ© du contenu des lignes directrices est prĂ©visible, mĂŞme pour un profane. Les examens relatifs Ă  la sĂ©curitĂ© nationale sont indĂ©pendants du critère de l’avantage net. Le dĂ©clenchement d’un examen est une dĂ©cision que prend le cabinet, avec l’appui de SĂ©curitĂ© publique Canada et des services de sĂ©curitĂ© et de renseignements. Les renseignements commerciaux doivent ĂŞtre traitĂ©s de façon strictement confidentielle. Les parties citĂ©es dans les propositions d’investissement peuvent prĂ©senter des observations au ministre d’Innovation, Sciences et DĂ©veloppement Ă©conomique Canada.

Les facteurs susceptibles de dĂ©clencher un examen relatif Ă  la sĂ©curitĂ© nationale qui sont mentionnĂ©s dans les lignes directrices sont eux aussi assez Ă©vidents. Les investissements qui pourraient compromettre la capacitĂ© de dĂ©fense du Canada ou qui supposent la fabrication de biens ou de technologies militaires peuvent faire l’objet d’une rĂ©serve, tout comme les accords qui ont le potentiel de favoriser l’espionnage Ă©tranger, le terrorisme ou le crime organisĂ©, ou encore de miner les relations Ă©trangères du Canada.

Certains facteurs sont cependant plus opaques. Les lignes directrices laissent entendre que tout effet nĂ©gatif potentiel sur les « infrastructures essentielles » peut ĂŞtre considĂ©rĂ© comme un facteur de dĂ©clenchement d’un examen relatif Ă  la sĂ©curitĂ© nationale. Le sens de cette phrase est si large qu’il peut s’appliquer Ă  une grande variĂ©tĂ© de situations.

« La liste des “infrastructures essentielles” de SĂ©curitĂ© publique se divise en dix catĂ©gories et inclut des Ă©lĂ©ments relatifs Ă  l’alimentation. Est-ce que cela signifie que les accords impliquant des entreprises alimentaires sont sujets Ă  l’examen? » s’interroge Phil Harwood, de Harwood Strategic Consulting. M. Harwood a travaillĂ© comme conseiller en matière de politiques Ă©conomiques et fiscales pour Stephen Harper et lui prĂ©sentait notamment des rĂ©sumĂ©s sur les investissements directs Ă©trangers.

« Je crois que le gouvernement veut sincèrement fournir aux investisseurs les renseignements dont ils ont besoin, mais il y a des limites Ă  la transparence dont ils sont prĂŞts Ă  faire preuve. Si les règlements que vous crĂ©ez sont excessivement contraignants, que se passe-t-il lorsque la menace va au-delĂ  du cadre Ă©tabli? »

Les lignes directrices ne tiennent pas non plus compte des sociĂ©tĂ©s Ă  capitaux publics. La possibilitĂ© qu’un investisseur travaille pour un gouvernement Ă©tranger doit peser dans la dĂ©cision de procĂ©der ou non Ă  un examen relatif Ă  la sĂ©curitĂ© nationale. M. Bhattacharjee croit que le statut de sociĂ©tĂ© Ă  capitaux publics ne fait pas l’objet d’une mention dans les lignes directrices pour une raison bien prĂ©cise.

« Le gouvernement veut se donner la libertĂ© de dĂ©cider ce qui constitue une sociĂ©tĂ© Ă  capitaux publics ou de dĂ©terminer si un investisseur est influencĂ© par un État », soutient-il.

« Les attentes des investisseurs Ă  l’Ă©gard de ces lignes directrices sont souvent très Ă©levĂ©es. Le gouvernement a du mĂ©rite d’avoir publiĂ© ces lignes directrices, mais il ne fournit pas un aperçu vraiment clair des dĂ©tails du processus menant Ă  une prise de dĂ©cisions. »

Pourtant, les lignes directrices peuvent s’avĂ©rer très utiles pour les investisseurs et leurs conseillers juridiques, car elles peuvent leur permettre de constater que les examens ont tendance Ă  ĂŞtre ouverts tout en les encourageant Ă  consulter la Division de l’examen des Investissements avant de consacrer trop de temps et d’argent Ă  un accord qui pourrait ĂŞtre rejetĂ© Ă  la ligne d’arrivĂ©e.

« Les lignes directrices montrent que la porte est ouverte », affirme M. Kilby. « DĂ©posez un avis d’investissement sous le rĂ©gime de la Loi sur Investissement Canada plus tĂ´t que ce qui est requis. Il est possible que vous puissiez modifier un Ă©lĂ©ment susceptible de mettre votre transaction en pĂ©ril avant de conclure l’affaire. Ainsi, si vous croyez que votre affaire est risquĂ©e, vous gagnez un peu de temps. »

« Il est important de garder une vue d’ensemble », dit M. Kilby. « Les examens relatifs Ă  la sĂ©curitĂ© nationale qui mènent au blocage ou Ă  l’annulation d’un investissement sont dommageables et frustrants pour toutes les personnes impliquĂ©es. Ils sont aussi très rares. »

« Il n’y a eu que huit examens Ă  ce jour, et seulement six d’entre eux ont menĂ© au blocage ou Ă  l’annulation de la transaction après sa conclusion », prĂ©cise-t-il. « Et le gouvernement reçoit tous les ans environ 600 avis d’investissements Ă©trangers. Certaines des plaintes sur le processus ont Ă©tĂ© faites de façon un peu irrĂ©flĂ©chie. »

Doug Beazley rédige régulièrement des articles pour la publication EnPratique de l'ABC.

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