Les actes répréhensibles des sociétés : comment les traiter?

  • 14 dĂ©cembre 2017
  • Ann Macaulay

Les actes rĂ©prĂ©hensibles des sociĂ©tĂ©sLes juristes qui exercent dans ce domaine accueillent favorablement le plan du gouvernement fĂ©dĂ©ral pour amĂ©liorer le RĂ©gime d’intĂ©gritĂ© vis-Ă -vis des sociĂ©tĂ©s, y compris la possible introduction d’accords de poursuite suspendue.

Les règles existantes étaient conçues pour aider le gouvernement à traiter avec des sociétés intègres et à inciter les fournisseurs à se doter de normes déontologiques solides et de cadres de conformité efficaces. Une condamnation peut avoir des conséquences désastreuses pour une société qui souhaite traiter avec le gouvernement.

Selon John Bodrug, un avocat spĂ©cialisĂ© en droit de la concurrence qui exerce dans le cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg LLP Ă  Toronto, les changements proposĂ©s semblent « constituer une rĂ©ponse aux prĂ©occupations exprimĂ©es par les entreprises et le secteur au sujet des consĂ©quences gravissimes pour les sociĂ©tĂ©s dont les contrats sont principalement avec le gouvernement, qui risquent la radiation en vertu du RĂ©gime d’intĂ©gritĂ© ».

Me Bodrug est l’un des juristes qui, au nom de l’Association du Barreau canadien, ont fourni des commentaires au gouvernement au sujet des modifications proposĂ©es. L’exclusion du processus d’attribution en vertu d’un système strict et dĂ©nuĂ© de toute souplesse constitue une grave menace pour une sociĂ©tĂ©, affirme Me Bodrug. Il ajoute que le principal message vĂ©hiculĂ© par le commentaire de l’ABC est « qu’un programme plus souple s’impose et que les accords de poursuite suspendue sont un autre moyen d’assouplir le rĂ©gime ».

Le mĂ©moire de l’ABC rĂ©pond Ă  plusieurs questions, dont les principaux avantages et inconvĂ©nients des accords de poursuite suspendue en tant que moyen de traiter la responsabilitĂ© pĂ©nale des sociĂ©tĂ©s au Canada, les dĂ©lits auxquels ces accords pourraient ĂŞtre appliquĂ©s, le rĂ´le des tribunaux et les facteurs Ă  prendre en compte avant de proposer un accord de poursuite suspendue.

Selon Me Bodrug, le document de consultation reconnaĂ®t que les tiers innocents, dont « d’autres employĂ©s, actionnaires et franchement, mĂŞme les contribuables » qui n’ont en rien contribuĂ© aux actes rĂ©prĂ©hensibles, peuvent souffrir de l’exclusion du processus d’attribution imposĂ©e Ă  la sociĂ©tĂ© « dans la mesure oĂą il y a eu une rĂ©duction de la concurrence pour obtenir les contrats avec le gouvernement ». Bien qu’il existe un dĂ©sir très comprĂ©hensible de sanctionner les actes rĂ©prĂ©hensibles perpĂ©trĂ©s par les sociĂ©tĂ©s, « je pense que cela vaut la peine de remettre en cause le bien-fondĂ© du RĂ©gime d’intĂ©gritĂ© en tant que mĂ©canisme appropriĂ© pour y parvenir, particulièrement lorsqu’une sociĂ©tĂ© a pris les mesures disciplinaires appropriĂ©es Ă  l’encontre des employĂ©s en cause, en rajustant son programme de conformitĂ© et en offrant un dĂ©dommagement le cas Ă©chĂ©ant ». FrĂ©quemment, le temps que la sociĂ©tĂ© soit dĂ©clarĂ©e coupable de ces infractions, les personnes qui y ont participĂ© n’y sont plus employĂ©es. Dans certains cas, les actes rĂ©prĂ©hensibles sont le fait d’une succursale ou d’une filiale dont les hauts dirigeants n’avaient mĂŞme pas connaissance. « Dans ces circonstances, il semble disproportionnĂ© d’imposer Ă  une sociĂ©tĂ© une pĂ©nalitĂ© draconienne telle que l’exclusion du processus d’attribution. »

La proposition d’extension de l’exclusion du processus d’attribution Ă  un plus vaste Ă©ventail d’infractions commises par les sociĂ©tĂ©s, qui comporte actuellement des dĂ©lits connexes Ă  la corruption tels que le versement de pots-de-vin et les infractions prĂ©vues par la Loi sur la concurrence, dont le truquage d’offres et la fixation des prix, est l’une des questions soulevĂ©es par le document de consultation. Selon une suggestion, cela « devrait ĂŞtre Ă©tendu Ă  d’autres genres d’infractions comme celles commises dans les domaines de l’environnement et du travail », affirme Me Bodrug, ce qui pourrait Ă©largir le nombre des sociĂ©tĂ©s qui pourraient ĂŞtre frappĂ©es d’exclusion du processus d’attribution.

Me Bodrug est convaincu qu’il importe de veiller Ă  ce que le RĂ©gime d’intĂ©gritĂ© corresponde Ă  d’autres politiques gouvernementales. Ainsi, si une sociĂ©tĂ© profite d’une immunitĂ© car elle a divulguĂ© une infraction, il devrait ĂŞtre clair qu’en vertu du RĂ©gime d’intĂ©gritĂ© sa demande ne sera pas irrecevable et qu’elle ne sera pas exclue du processus.

De la lĂ©gislation similaire est en vigueur aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis maintenant un certain temps, affirme Grace Hession David, prĂ©sidente de la Section du droit pĂ©nal de l’Association du Barreau de l’Ontario, qui a participĂ© Ă  la rĂ©daction du mĂ©moire. « Elle a eu un succès relatif aux États-Unis et nous savons que le Royaume-Uni ne l’a utilisĂ©e qu’Ă  trois reprises, mais avec succès », dit-elle. « Si elle est mise en Ĺ“uvre correctement, je pense que cette lĂ©gislation sera extrĂŞmement utile. »

Le mĂ©moire de l’ABC « recommande fortement que nous adoptions le modèle britannique, soit que cela ne puisse pas ĂŞtre invoquĂ© en cas de blessure grave ou de dĂ©cès », affirme Me Hession David. Elle souligne qu’un accord de poursuite suspendue ne sera pas appropriĂ© dans une situation telle que la catastrophe qui a eu lieu dans la mine Westray en 1992 au cours de laquelle 26 mineurs ont trouvĂ© la mort. Il a Ă©tĂ© conclu que la sociĂ©tĂ© n’avait pas suivi les consignes de sĂ©curitĂ© et de santĂ© appropriĂ©es recommandĂ©es. « Si un accord de poursuite suspendue pouvait constituer une solution de rechange possible en cas de perte de vie, ce que nous tentons d’Ă©viter aurait ainsi lieu, soit que les gens diraient que la sociĂ©tĂ© s’est payĂ© une porte de sortie. C’est contraire Ă  l’objectif poursuivi. »

Le mĂ©moire souligne d’autres cas dans lesquels il serait inappropriĂ© de conclure un accord de poursuite suspendue, y compris lorsque les actes visĂ©s soulèvent des questions de sĂ©curitĂ© nationale ou connexes aux rapports avec d’autres États, ou que cela ne rĂ©pondrait pas Ă  l’intĂ©rĂŞt du public de façon gĂ©nĂ©rale, lorsque la sociĂ©tĂ© n’existe qu’en tant que composante d’une entreprise criminelle, ou lorsqu’elle a Ă©tĂ© prĂ©venue, sanctionnĂ©e ou que des accusations pĂ©nales ont Ă©tĂ© portĂ©es en l’absence de tout changement qui empĂŞcherait une rĂ©cidive.

Le modèle amĂ©ricain accorde au ministère public un pouvoir discrĂ©tionnaire absolu alors que dans le modèle britannique, s’il jouit d’un vaste pouvoir discrĂ©tionnaire, en fin de compte, l’accord en cause est portĂ© devant les tribunaux en vue d’une approbation. Me Hession David prĂ©fère le modèle britannique. « Je pense qu’il est bon d’y regarder Ă  deux reprises et d’avoir une autre personne ayant de plus vastes pouvoirs qui tranchera en dernier ressort. »

L’un des avantages de l’accord de poursuite suspendue c’est qu’il peut « encourager la divulgation volontaire et favoriser une culture de conformitĂ© tout en offrant un mĂ©canisme plus souple au ministère public », affirme Me Hession David. Il pourrait en outre « rĂ©duire les consĂ©quences nĂ©gatives pour les sociĂ©tĂ©s et pour les actionnaires ».

Alors que Me Hession David espère que les changements suggĂ©rĂ©s ne seront pas considĂ©rĂ©s comme une esquive offerte Ă  la sociĂ©tĂ©, ils permettraient de passer outre « un retentissant et très dĂ©plaisant procès pour passer directement au volet de l’imposition de la peine ». Ils donneraient la chance Ă  une sociĂ©tĂ© de prĂ©senter des informations dont elle a pris connaissance, de communiquer avec le ministère public, « de jouer cartes sur table en toute confidentialitĂ© et d’exposer ce qu’elle a dĂ©couvert, les mesures qu’elle a prises et ce qu’elle se propose de faire Ă  l’avenir. »

Ann Macaulay rédige fréquemment des articles pour EnPratique.