Le Web peut surprendre les avocats imprudents

  • 01 aoĂ»t 2014
  • James Careless

Pour maints avocats, le travail en ligne est synonyme d'avenir. D'ailleurs, le Web pourrait bien simplifier une grande partie de leurs tâches.

Cependant, le Web est truffĂ© de pièges pour ceux qui ne s'en mĂ©fient pas, comme David Ian Amber, un avocat d'Ottawa, l'a appris Ă  ses dĂ©pens. C'est par inadvertance, alors qu'il Ă©tait Ă  la recherche d'un logiciel qui l'aiderait Ă  gĂ©rer la paperasse d'une affaire, qu'il a publiĂ© sur le site freelancer.com un mĂ©moire de divulgation de la preuve de la Couronne provenant du dossier de fraude d'une cliente. Celui-ci contenait son nom, une photo d'elle, son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone, sa date de naissance, son historique d'emploi, le numĂ©ro de ses cartes de crĂ©dit, son numĂ©ro de permis de conduire, ainsi que d'autres renseignements personnels.

« C'est une perte de temps que d'avoir Ă  demander Ă  un juge d'ordonner Ă  l'autre partie d'annuler un caviardage », a publiĂ© Me Amber sur freelancer.com. « J'aurais besoin d'un programme simple pouvant me permettre d'effacer le caviardage dans un document et d'en sauvegarder la version non caviardĂ©e en format PDF. »

Le Service de police d'Ottawa, informĂ© du manquement non intentionnel Ă  l'obligation de confidentialitĂ© de Me Amber, a procĂ©dĂ© Ă  une vente surveillĂ©e lors de laquelle un agent d'infiltration a offert Ă  Me Amber de lui vendre le programme recherchĂ©. L'avocat a acceptĂ© de l'acheter au prix de 500 $.

Dès que l'avocat de la Couronne a eu vent de l'opĂ©ration d'infiltration de la police, il s'est rendu en cour pour demander que le mĂ©moire de divulgation de la preuve lui soit retournĂ©. Le juge de la Cour supĂ©rieure de l'Ontario, Robert Maranger, est mĂŞme allĂ© plus loin en ordonnant Ă  Me Amber de rendre tous les mĂ©moires de divulgation de la preuve lui ayant Ă©tĂ© fournis par la Couronne, et ce, non seulement pour l'affaire en question, mais aussi pour toutes les autres affaires. Qualifiant la conduite de Me Amber de « scandaleuse », le juge Maranger lui a aussi ordonnĂ© de se soumettre Ă  un programme de mentorat auprès de trois avocats chevronnĂ©s au moins une heure par semaine pendant trois mois.

En cette ère de l'Internet, tous les avocats peuvent tirer une leçon du cas de Me Amber. Son erreur, bien que sans mauvaises intentions, aurait pu ĂŞtre Ă©vitĂ©e s'il avait simplement demandĂ© de l'aide Ă  un avocat en personne plutĂ´t que de le faire en ligne. « Le problème, c'est qu'en publiant quoi que ce soit sur un forum en ligne, mĂŞme un forum que l'on croit privĂ© et protĂ©gĂ©, les implications lĂ©gales ne sont pas les mĂŞmes que lors d'une conversation en personne », explique Me David Fraser, avocat spĂ©cialisĂ© en droit de l'Internet, de la technologie et de la protection de la vie privĂ©e chez McInnes Cooper, Ă  Halifax. « Dès que vous cliquez sur “Envoyer”, le monde entier peut lire la question ou le commentaire que vous avez publiĂ© et vous en perdez tout le contrĂ´le. »

Sur Internet, « la confidentialitĂ© n'existe pas », explique Me Kirsten Thompson, conseillère juridique du groupe national du droit de la technologie de McCarthy TĂ©trault. « Comme tout ce qui se retrouve sur le Web peut devenir public, vous devez tenir pour acquis que ce sera le cas pour toutes vos communications Ă©lectroniques et agir en consĂ©quence. Autrement dit, l'avocat qui navigue sur le Web continue de porter la toge, mĂŞme sur ses comptes Facebook et Twitter personnels. »

Voici comment les choses peuvent se corser davantage : « Le simple fait qu'Internet soit une nouvelle technologie ne signifie pas que de nouvelles règles s'appliquent Ă  son utilisation par les avocats », ajoute Me Fraser. « En fait, les codes de conduite et de dĂ©ontologie de longue date prĂ©valent toujours. »

Cela est assurément le cas en Ontario.

« Les avocats doivent respecter des normes de conduite, notamment en ce qui concerne le professionnalisme, l'Ă©thique et la confidentialitĂ©, lorsqu'ils communiquent Ă  l'aide d'un mĂ©dium, y compris le Web », renchĂ©rit Me Zeynep Onen, directrice de la rĂ©glementation professionnelle au Barreau du Haut-Canada (BHC). « Les avocats ont un devoir lĂ©gal et professionnel de protĂ©ger, et donc de ne pas divulguer, les renseignements privilĂ©giĂ©s et les communications confidentielles, ainsi que les autres renseignements personnels d'un client. »

Compte tenu des incertitudes entourant le travail sur le Web, particulièrement pour les avocats plus âgés et moins à l'aise avec ce médium que leurs jeunes collègues, certains avocats se retrouvent à enfreindre le Code de déontologie du BHC.

Le BHC reçoit des plaintes concernant des sites Web ou des communications Ă©lectroniques d'avocats, mais Me Onen n'a pas voulu discuter de cas particuliers.

« Dans certains cas, ces plaintes concernent la courtoisie. Dans d'autres, elles sont relatives Ă  de la publicitĂ© que le plaignant perçoit comme Ă©tant trompeuse ou constituant un Ă©cart de professionnalisme. Le BHC a aussi reçu des plaintes concernant des renseignements confidentiels ayant Ă©tĂ© publiĂ©s sur le site Web d'un avocat. »

Le BHC traite la plupart des cas d'erreurs commises en ligne sans avoir recours Ă  des mesures disciplinaires formelles, explique Me Onen.

« Lorsque le problème est grave ou si l'avocat agrĂ©Ă© n'apprĂ©cie pas la manière dont le BHC traite le problème de conduite, nous pourrions aller jusqu'Ă  prendre des mesures disciplinaires formelles. »

Me Amber a volontairement informĂ© le Barreau du Haut-Canada de son erreur. Le groupe de trois experts examinant son cas au BHC l'a rĂ©primandĂ© pour sa « terrible erreur » et lui a imposĂ© une amende de 7 205 $, laquelle couvrait les coĂ»ts liĂ©s Ă  son audience. Il ne l'a pas condamnĂ© Ă  la suspension de deux mois demandĂ©e par la procureure du Barreau, Me Suzanne Jarvie, qui avait elle-mĂŞme soulignĂ© le fait que Me Amber avait plaidĂ© coupable et tentĂ© de faire amende honorable. En fait, la dĂ©cision du groupe d'experts s'inscrivait dans les termes de la pĂ©nalitĂ© demandĂ©e par le conseiller juridique de Me Amber, Me Micheal Johnston, car Me Amber ne voulait pas que les membres du Barreau aient Ă  payer pour son audience.

La règle gĂ©nĂ©rale Ă  suivre est la suivante : s'il y a le moindre risque d'enfreindre la confidentialitĂ© des renseignements d'un client ou tout autre aspect d'un code de dĂ©ontologie que vous devez respecter, abstenez-vous de publier quoi que ce soit.

« De plus, n'oubliez pas d'ĂŞtre prudent sur Twitter », recommande Me Thompson. « La limite de 140 caractères par tweet en fait un mauvais mĂ©dium pour les communications Ă  caractère juridique. »

En rĂ©sumĂ© : « Lorsque vous publiez quelque chose sur Internet, vous devez tenir pour acquis que cette publication y restera pour toujours », conclut Me Fraser. « C'est pourquoi vous devez suivre votre code de dĂ©ontologie Ă  la lettre. S'il y a le moindre risque qu'une publication l'enfreigne, y compris pour des raisons de conflit d'intĂ©rĂŞts, ne la publiez pas! »

James Careless est un journaliste pigiste.