Forcer les associés à se faire face lors de la retraite du cabinet

  • 07 janvier 2014
  • Edward Poll

Au cours des derniers vingt ans depuis que la Cour suprĂŞme du Canada a rendu l’arrĂŞt Black c. Law Society of Alberta en 1989, qui a ouvert la voie aux fusions de cabinets d’avocats de diffĂ©rentes provinces, les cabinets se regroupent de façon rĂ©gulière au Canada.

Il y a moins de fusions de ce genre ici qu’aux États-Unis, oĂą il y a eu plus de 70 fusions de cabinets d’avocats en 2007 et plus de 400 fusions de ce genre depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000. Toutefois, la force motrice de la concurrence mondiale qui a engendrĂ© les « mĂ©gacabinets », tels les « Seven Sisters » au Canada, le « Magic Circle » au Royaume-Uni et le « AmLaw Top 20 » aux États-Unis, continuera sans doute de prendre de l’essor.

Une question demeure : en regroupant les cabinets d’avocats pour les rendre plus grands, est-ce qu’ils deviennent, du mĂŞme coup, meilleurs? La rĂ©ponse dĂ©pend souvent du fait qu’il s’agisse d’un fusionnement ou d’une acquisition. Dans le premier cas, il existe, de toute Ă©vidence, un accord ou arrangement indiquant que la fusion se fait sur la base d’Ă©galitĂ© entre les parties. Dans le deuxième cas, la sociĂ©tĂ© qui acquiert l’autre, est normalement plus grande et a le plus d’influence financière. Cette dernière dĂ©tient alors la plus grande part de contrĂ´le quant aux arrangements et au processus d’intĂ©gration. Dans les deux cas, le regroupement ne peut ĂŞtre fructueux que si les parties adoptent systĂ©matiquement des stratĂ©gies d’intĂ©gration et de communication.

Au cours de la procĂ©dure de regroupement de cabinets d’avocats ou de la recherche d’une plus grande cohĂ©sion au sein de tout cabinet, l’outil le plus utile est la communication face Ă  face entre les avocats lors d’une retraite pour tous les membres du cabinet fusionnĂ©.

L’importance de la culture et de la communication

La culture d’un cabinet juridique est le facteur dĂ©terminant du succès dont jouira celui-ci. Il est d’une importance primordiale que les gens aiment leur travail et leurs collègues. Les avocats, membres d’un mĂŞme cabinet, doivent partager un esprit de camaraderie qui jouera un rĂ´le dĂ©cisif dans l’Ă©tablissement d’une culture de cabinet commune. Plusieurs facteurs entrent en jeu, dont le partage d’idĂ©es et la formation de certains avocats par leurs collègues. Ces derniers sont des Ă©lĂ©ments cruciaux quant au succès du cabinet d’avocats et de ses membres.

Dans nombre de ces cabinets qui sont le rĂ©sultat de fusionnement, mais qui demeurent Ă©loignĂ©s sur le plan gĂ©ographique, les associĂ©s ne figurent que dans le nom du cabinet. La gestion de ces grands cabinets repose sur les Ă©paules de seulement quelques personnes au sein de la sociĂ©tĂ© (le comitĂ© de gestion). Les autres associĂ©s n’ont souvent presque pas d’interaction Ă  l’extĂ©rieur de leurs domaines de pratique.

Ă€ moins de communication continue, ouverte et franche entre les associĂ©s dans le cabinet ainsi fusionnĂ©, et sans l’appui ou le ralliement concernant le plan d’affaires regroupant les cabinets, tĂ´t ou tard, le cabinet se dissoudra, soit en raison du retrait d’associĂ©s individuels, soit Ă  cause d’exode en masse et de liquidation formelle. Le rĂ©sultat final est le mĂŞme. Il faut exiger que la communication se fasse de façon continue pour garantir que les intentions individuelles ne compromettent pas le plan d’ensemble.

Les réunions renforcent la communication

Une fois que les plans financiers et de marketing du cabinet nouvellement constituĂ© sont Ă©laborĂ©s, Ă  la suite de discussions et d’analyse reflĂ©tant les objectifs convenus entre associĂ©s, une rĂ©union ou une retraite de tous les membres du cabinet est le mĂ©canisme par excellence pour obtenir l’appui de tous les avocats.

 De telles retraites rassemblent les avocats du cabinet dans une mĂŞme pièce oĂą ils discutent d’idĂ©es, posent des questions et viennent Ă  accepter la nouvelle situation. Bien que ce genre de rencontre ne soit pas le seul facteur qui assure le succès du cabinet, une dĂ©monstration concrète de l’appui manifestĂ© peut tĂ©moigner de l’approbation de la nouvelle direction du cabinet. La rencontre des membres du cabinet symbolise la communication si essentielle au succès de la fusion ou de l’acquisition. Faute de communication continue, le rĂŞve initial visant la croissance harmonieuse et collĂ©giale du nouveau cabinet s’effondrera.

La fonction la plus importante de ceux qui s’occupent de la gestion du cabinet d’avocats est la facilitation de la communication continue, afin de s’assurer que les objectifs de chacun soient en harmonie l’un l’autre. Dans le champ du droit du divorce, les avocats reçoivent souvent la plainte suivante de la part de leurs clients (en parlant de leur conjoint): « nous nous sommes Ă©cartĂ©s l’un de l’autre ». VoilĂ  le rĂ©sultat d’un manque de communication ouverte et franche au fil des ans. Lorsque les cabinets d’avocats se regroupent, ils ont un besoin semblable de garder les voies de la communication ouvertes et candides. 

Les as de la vente du nouveau cabinet, soit la direction et les associés, doivent tous coopérer les uns avec les autres, et tous les autres membres du cabinet doivent leur donner leur appui. Voilà le grand défi de la direction; et la rencontre de tous les membres du cabinet est le mécanisme idéal permettant à la direction de faciliter ce genre de communication.

Les 10 Ă©tapes d’une retraite de cabinet rĂ©ussie

La retraite du cabinet d’avocats prĂ©sente une occasion unique aux associĂ©s, qui ne se connaissent peut-ĂŞtre pas l’un l’autre, de faire face aux enjeux, de changer l’orientation du cabinet, de se concentrer sur le plan stratĂ©gique et de parvenir Ă  un consensus.

Par le biais d’une retraite bien conçue pour rĂ©pondre aux besoins du cabinet, les membres peuvent accomplir plus de choses en quelques jours qu’ils le feraient en s’appuyant sur de grands efforts de communication Ă©talĂ©s sur une longue pĂ©riode. Toutefois, le succès n’apparaĂ®t pas tout simplement comme par magie. Tout est dans le dĂ©tail, du moins en ce qui a trait Ă  la planification d’une rencontre efficace. Voici la liste de contrĂ´le comportant les dix Ă©tapes de la planification d’une rĂ©union efficace :

  1. S’assurer de bien comprendre les objectifs de la rĂ©union. Lorsqu’il s’agit de la ratification d’une fusion ou de la crĂ©ation d’une expĂ©rience qui rapprochera les membres du cabinet, il faut planifier, entre autres, des activitĂ©s sociales, des sĂ©ances de groupes sur la planification stratĂ©gique et des sĂ©ances plĂ©nières. Il faut aussi accorder assez de temps pour chacune de ces activitĂ©s.
  2. Mettre sur pied un comitĂ© organisateur qui a l’autorisation de la direction du cabinet de prendre la planification de la rĂ©union entièrement en main. Le comitĂ© devrait comprendre des associĂ©s, des avocats et des membres du personnel.
  3. Élaborer une liste des sujets de discussion et des activités sociales offertes.
  4. Nommer un sous-comité composé des membres du comité qui prendra en charge chacun des sujets et préparera le matériel de discussion connexe.
  5. Choisir un chef (qui est membre du comitĂ© ou non) qui s’assurera que chacun des sujets sera couvert de façon adĂ©quate Ă  la rĂ©union.
  6. DĂ©cider de ce qu’il faut accomplir et oĂą il sera possible de le faire, ensuite, prĂ©parer un budget.
  7. S’assurer que le comitĂ© organisateur dans son ensemble a pensĂ© aux consĂ©quences de considĂ©rations « secondaires » qui pourraient contribuer au succès ou Ă  l’Ă©chec de la confĂ©rence, telles que la prĂ©sence des conjoints, la gestion de questions soulevĂ©es qui ne sont pas Ă  l’horaire et la tenue de dossiers, ainsi que le suivi, Ă  la suite de discussions et de prise de dĂ©cisions.
  8. Embaucher un consultant Ă  l’externe afin d’aider Ă  faire les arrangements, faciliter les discussions et encourager la participation des membres du cabinet. Choisir quelqu’un qui aidera le cabinet Ă  atteindre ses objectifs stratĂ©giques et qui partage la philosophie des avocats du cabinet et comprend leurs attentes.
  9. Rassembler le comité, le consultant et les dirigeants du cabinet après la retraite afin de faire le compte-rendu et évaluer ce qui a été accompli lors de la réunion; fixer des dates pour une discussion plus poussée des sujets comme ceux mentionnés au point 7.
  10. S’assurer que la direction du cabinet communique immĂ©diatement Ă  tous les membres du cabinet les dĂ©cisions prises et les consensus atteints durant la retraite.

Ce que l’on peut accomplir par le biais de rĂ©unions

Au fil de mon expĂ©rience en tant que facilitateur de rĂ©unions, j’ai remarquĂ© que les cabinets peuvent accomplir tant de choses lorsque leurs membres sont rĂ©unis afin de discuter de problèmes et de prĂ©occupations, tous visant un objectif commun. Les rĂ©sultats sont normalement aussi encourageants que le cabinet soit Ă©tabli depuis longtemps ou qu’il soit nouvellement reconstituĂ©. Les deux exemples suivants illustrent bien ce qui peut ressortir d’une telle rĂ©union :

Étude de cas 1 : 8 enjeux simples 

Deux cabinets nouvellement fusionnĂ©s ont dĂ©cidĂ© de prĂ©parer une confĂ©rence Ă  l’intention de tous les associĂ©s et, ni l’un, ni l’autre n’avait tenu de telle rĂ©union depuis plusieurs annĂ©es avant le fusionnement.

Les dirigeants du cabinet Ă©taient inquiets de pouvoir discuter des affaires de façon efficace et productive pendant 15 heures. Le prĂ©sident du cabinet m’a embauchĂ© afin de donner des conseils sur la planification avant la confĂ©rence. Au cours de plusieurs mois, nous avons travaillĂ© avec le comitĂ© planificateur en vue de choisir les sujets de discussion et de dĂ©cider comment prĂ©senter ces derniers. Nous avons aussi suggĂ©rĂ© des façons de faire participer les associĂ©s en grand nombre.

J’ai eu l’occasion d’assister Ă  la rĂ©union et de partager les diffĂ©rentes façons dont d’autres cabinets ont abordĂ© quelques-uns des enjeux difficiles qui sont ressortis des discussions. Ă€ la fin de la rĂ©union, les associĂ©s avaient dĂ©couvert les raisons pour lesquelles ils aimeraient pratiquer le droit avec leurs collègues et avaient Ă©laborĂ© des lignes directrices relatives Ă  huit enjeux auxquels le cabinet faisait face.

Étude de cas 2 : AttĂ©nuer le stress engendrĂ© par une entreprise en dĂ©marrage

Un groupe de 20 avocats a quittĂ© un cabinet juridique Ă©tabli de longue date, après y avoir travaillĂ© pendant une douzaine d’annĂ©es, afin de mettre sur pied leur propre cabinet de droit des affaires.

Au moment oĂą ces avocats m’ont embauchĂ© pour agir Ă  titre de facilitateur d’une rencontre des membres du cabinet, ils ressentaient du stress reliĂ© au dĂ©marrage de leur sociĂ©tĂ©. Pour ajouter aux multiples enjeux liĂ©s au lancement d’une nouvelle entreprise auxquels ils se heurtaient, ils Ă©taient aussi aux prises avec les complexitĂ©s engendrĂ©es par le statu quo inefficace, soit les politiques, les procĂ©dures et la mentalitĂ©, de l’ancien cabinet.

Ils m’ont demandĂ© de guider leurs discussions en ma qualitĂ© de consultant « gĂ©nĂ©raliste » pour les cabinets juridiques. Nous nous sommes appuyĂ©s sur ce que d’autres cabinets avaient fait dans des situations semblables pour nous guider afin de faire un tout cohĂ©rent des diffĂ©rentes parties Ă©parses du cabinet.

Parce que je ne faisais pas partie du cabinet, j’ai pu Ă©valuer les besoins du cabinet de façon prĂ©cise et suggĂ©rer des solutions, tout en respectant les considĂ©rations dĂ©licates, implicites et explicites, des associĂ©s. Aujourd’hui, ce cabinet est une entitĂ© cohĂ©sive et efficace et il continue de se servir des rĂ©unions du cabinet comme mode d’Ă©tablissement de consensus.

Une vision et un but communs

La tenue d’une retraite de cabinet afin de crĂ©erune vision et un but communs est un moyen utile (mais souvent nĂ©gligĂ©) de garantir la rĂ©ussite d’une fusion. Le fusionnement crĂ©e un nouvel organisme plus grand qui peut ĂŞtre rĂ©parti un peu partout au pays ou mĂŞme au monde.

C’est souvent un grand dĂ©fi de maintenir le mĂŞme degrĂ© de collĂ©gialitĂ© et de consensus qui rĂ©gnait au sein des cabinets avant la fusion. Toutefois, le manque de consensus et de communication mène Ă  de piètres rĂ©sultats sur le plan Ă©conomique et fait des avocats malheureux. Si les membres du cabinet ne sont pas tous certains quels sont les objectifs d’ensemble, ainsi que les buts et les stratĂ©gies spĂ©cifiques, le cabinet ne jouira donc pas d’une vraie direction et, en fin de compte, pourrait s’effondre. Une rĂ©union des membres du cabinet reprĂ©sente ainsi un bien petit sacrifice pour assurer l’unitĂ© si essentielle au succès d’une fusion.

Edward Poll (edpoll@lawbiz.com) est CMC et mentor de procureurs et de cabinets juridiques Ă  Los Angeles pour les aider Ă  devenir plus rentables. Il est l’auteur de Attorney and Law Firm Guide to the Business of Law : Planning and Operating for Survival and Growth, 2nd ed. (ABA, 2002), Collecting Your Fee: Getting Paid from Intake to Invoice (ABA, 2003) et, plus rĂ©cemment, de Selling Your Law Practice: The Profitable Exit Strategy (LawBiz, 2005).