Bâtir un environnement de travail plus sain

  • 01 avril 2014
  • Becky Rynor

Lisa Vogt appelle cela la « dernière frontière » de la profession juridique : le soutien aux avocats et aux membres du personnel aux prises avec des situations de stress ou une maladie mentale.

« Les handicaps constituent l’un des domaines oĂą les cabinets ont fait peu de progrès et les maladies mentales y occupent une bonne place », affirme Me Vogt, avocate en droit immobilier et associĂ©e chez McCarthy TĂ©trault.

« Le stress et la dĂ©pression sont des problèmes très frĂ©quents au sein de la profession juridique. Mais quels soutiens pouvez-vous offrir, une fois que vous avez reconnu ce fait? »

Lisa Vogt est chef de la diversitĂ© et de la mobilisation chez McCarthy TĂ©trault, un poste qu’elle qualifie d’unique parmi les cabinets juridiques au Canada, puisqu’il est occupĂ© par une associĂ©e Ă  part entière faisant partie de l’Ă©quipe dirigeante. « La direction ne fait pas qu’appuyer l’idĂ©e, elle se l’approprie ».

Selon Doron Gold, un avocat devenu psychothĂ©rapeute, le meilleur changement qu’un cabinet peut introduire est de crĂ©er un environnement de travail sain et respectueux.

« Or, il existe au sein de la profession juridique beaucoup de personnes maltraitĂ©es par leurs supĂ©rieurs, soit parce qu’on leur confie un volume de travail trop grand, soit tout simplement parce qu’on leur manque de respect. Qu’est-ce qu’il faut faire dans une telle situation? Faut-il en parler Ă  d’autres associĂ©s? » Eh bien non, affirme Me Gold, spĂ©cialiste en counseling auprès des avocats, des Ă©tudiants en droit, des juges et autres professionnels, et dont l’expertise est reconnue par le Barreau du Haut-Canada et par l'Ordre des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social de l'Ontario.

Certains cabinets essaieront de crĂ©er une ambiance collĂ©giale, en offrant des boissons le jeudi soir aux associĂ©s, ou en proposant des matches de baseball – « les choses habituelles », observe Me Vogt – mais ça ne fonctionne pas si ce n’est pas sincère.

« Si l’ambiance dans vos bureaux est pourrie, vos soirĂ©es vins et fromages ne seront pas perçues comme un geste de bonne foi. Ce n’est vraiment pas un Ă©vĂ©nement pour les employĂ©s, mais plutĂ´t pour le cabinet et vous devez y assister. »

Selon Me Vogt, McCarthy TĂ©trault offre du soutien par exemple en organisant des dĂ©jeuners-causeries sur les questions de santĂ©, offre des programmes de mieux-ĂŞtre ainsi que divers avantages sociaux. Le cabinet paie le diffĂ©rentiel pour les congĂ©s de soins de compassion, les frais d'adhĂ©sion Ă  un centre de conditionnement physique et offre au personnel trois mois sabbatiques intĂ©gralement payĂ©s Ă  la fin d’une pĂ©riode de sept ans de service. En plus, les membres du personnel de chaque bureau rĂ©gional ont accès Ă  un psychologue sous contrat qu’ils peuvent consulter en toute discrĂ©tion.

« Les gens n’aiment pas avouer Ă  leurs collègues qu’ils consultent un psychologue, car cela donne l’impression qu’ils ne sont pas intĂ©grĂ©s Ă  l’Ă©quipe ou qu’ils ne sont pas Ă  la hauteur », dĂ©clare Me Vogt.

Selon Me Gold, les grands cabinets juridiques prĂ©sentent un ensemble unique de facteurs de stress – par exemple les contraintes excessives liĂ©es Ă  la facturation Ă  l’heure imposĂ©es aux jeunes associĂ©s – dont toute initiative de changement de culture devrait tenir compte.

Pour certains avocats, cela ne prĂ©sente aucun problème. Il y en a mĂŞme qui adorent chaque minute de travail. Cependant, pour d’autres, il s’agit de quatre-vingts heures de travail chaque semaine, des week-ends occupĂ©s, des appels des clients Ă  n’importe quelle heure de la nuit et des supĂ©rieurs qui trouvent que c’est la nature du travail.

MĂŞme si les contraintes de temps constituent peut-ĂŞtre les principaux facteurs de stress dans les grands cabinets, elles ne sont pas les seules coupables. Parfois, atteindre ce qui a Ă©tĂ© vantĂ© comme le sommet d’une carrière et se rendre compte que la rĂ©alitĂ© ne ressemble pas du tout Ă  la fiction peut en soi provoquer un bouleversement personnel.

« Que se passe-t-il si l’on ne supporte pas la corvĂ©e, le domaine du droit exercĂ©, ou les collègues? », demande Me Gold. « Que se passe-t-il si l’on se sent plus comme un rouage dans la machine – pas assez libre, surtout au dĂ©but d’une carrière? Que se passe-t-il si l’on veut devenir un jour associĂ© et que rien n’est moins sĂ»r? »

Lorsqu’il a pris la relève de son père chez Gluckstein Personal Injury Lawyers, Ă  Toronto, il y a 11 ans, Charles Gluckstein voulait dĂ©velopper ce qui Ă©tait dĂ©jĂ  un « sentiment familial ». Il aime diriger par l’exemple, que ce soit en assistant Ă  la sĂ©ance de yoga hebdomadaire avec sa femme, en se rendant au travail en courant ou, Ă  l’occasion, en amenant son chien au bureau.

« Le chien fait le tour du bureau, dĂ©clenche un sourire sur les visages de tout le monde et nous rappelle que nous sommes tous des humains », dit Me Gluckstein. « Nous organisons tout au long de l’annĂ©e des sĂ©ances oĂą, avec l’aide d’un modĂ©rateur, nous procĂ©dons par exemple Ă  l’Ă©valuation de nos types de comportement, ce qui nous permet d’en apprendre davantage les uns sur les autres. Nous essayons de tirer le meilleur et de favoriser l’Ă©panouissement de chacun. »

Il fait remarquer que son cabinet essaie Ă©galement d’encourager les valeurs familiales en accommodant les obligations familiales, par exemple en permettant le dĂ©calage des horaires, et que c’est dans cette optique qu’un bureau satellite a Ă©tĂ© ouvert Ă  Niagara dans le but d’accommoder les employĂ©s qui faisaient la navette tous les jours. Le cabinet a aussi organisĂ© une confĂ©rence annuelle sur la fatigue de compassion (ce qu'on appelle en anglais la « compassion fatigue »).

« Puisque notre cabinet est spĂ©cialisĂ© dans les blessures personnelles, nous avons affaire avec des gens qui ont connu beaucoup de traumatismes et avec des travailleurs ou des familles dont des proches ont souffert de traumatisme. La fatigue de compassion est un syndrome qui se dĂ©veloppe après une longue pĂ©riode de compassion. C’est comme un accident sur le lieu de travail », affirme-t-il. « Ils doivent apprendre les stratĂ©gies d’adaptation qui leur permettent de retrouver leur Ă©nergie. »

Pour Me Gluckstein, il n’existe pas mieux qu’une journĂ©e au spa pour se dĂ©barrasser du stress accumulĂ© au travail.

« Chaque annĂ©e, nous organisons une retraite pour remercier notre personnel. Ce n’est pas une rĂ©union des associĂ©s : les 30 membres de notre personnel se rendent Ă  un spa. Au dĂ©but, nous tenions des rĂ©unions, mais aujourd’hui nous nous en tenons aux activitĂ©s plaisantes — l’esprit d’Ă©quipe, les jeux, une journĂ©e au spa et un bon repas ensemble. »

Me Gold souligne qu’une journĂ©e au spa est certainement une bonne chose, mais la gentillesse et le respect sont encore plus importants.

« J’ai vu des avocats vivre des situations de violences très graves – et j’utilise le terme “violence” Ă  bon escient, des situations de harcèlement sexuel, des situations horribles – et en ressortir convaincus qu’ils ne sont pas faits pour le mĂ©tier de juriste, car c’est cela le droit. Ce n’est pas de leur faute. Il s’agit d’un environnement de travail malsain. Les associĂ©s eux-mĂŞmes devraient veiller Ă   ĂŞtre respectueux, Ă  ne pas surcharger outre mesure les membres du personnel, Ă  surveiller la bonne santĂ© de ceux-ci et Ă  mettre en place une politique de porte ouverte. » 

Becky Rynor est journaliste Ă  Ottawa