Lois fiscales – un trop-plein de « trops » : modifications trop complexes, consultation trop brève

  • 18 octobre 2017

Le 18 juillet, le gouvernement fĂ©dĂ©ral a discrètement jetĂ© un pavĂ© dans la mare qui a produit des ondes de choc (sous la forme de très nombreux dĂ©bats et discussions et une profonde division), dont l’envergure dĂ©passait de loin ce qu’aurait pu anticiper le gouvernement en publiant, au milieu de l’Ă©tĂ©, un document de consultation qui visait l’« Ă©quitĂ© fiscale ».

Les propositions ont Ă©tĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment formulĂ©es de manière Ă  susciter une rĂ©action opposant « les gens ordinaires et les gros bonnets » – le gouvernement a fait Ă©tat  d’« Ă©chappatoires » et de « justes parts », alors que mĂ©decins, avocats et entrepreneurs, dont le travail suscite une perception d’accumulation de richesse, se sont plaints des effets que ces propositions leur occasionneraient.

Sans possĂ©der de solides connaissances en droit fiscal ou en comptabilitĂ©, il est difficile d’adopter un point de vue objectif en la matière.

C’est pourquoi il est intĂ©ressant de lire les trois mĂ©moires du ComitĂ© mixte sur la fiscalitĂ© de l’Association du Barreau canadien et de Comptables professionnels agrĂ©Ă©s du Canada (le « ComitĂ© mixte »), dont chacun traite un des trois grands sujets du document de consultation, soit la rĂ©partition du revenu, le revenu passif et les gains en capital. Ces mĂ©moires n’abordent que brièvement des considĂ©rations touchant la politique fiscale : le ComitĂ© mixte souligne que la pĂ©riode de consultation de 75 jours est « trop courte […] compte tenu de la vaste portĂ©e des propositions » et ajoute qu’il aurait Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable si le gouvernement n’avait pas indiquĂ© que les modifications proposĂ©es visaient « l’Ă©limination d’Ă©chappatoires ». En dehors de ces considĂ©rations, les trois mĂ©moires n’abordent que les aspects techniques des modifications proposĂ©es et leurs effets sur les sociĂ©tĂ©s privĂ©es sous contrĂ´le canadien, sans porter attention Ă  l’identitĂ© des contribuables Ă  titre de particuliers.

Plusieurs messages sont vĂ©hiculĂ©s par chacun des trois mĂ©moires : dans leur ensemble, les propositions rajouteraient une Ă©norme – et coĂ»teuse – complexitĂ© aux règles affectant les contribuables; pour des modifications d’une telle ampleur, une consultation publique plus longue que 75 jours s’impose; l’hypothèse de base du document de consultation (soit que les revenus d’emploi et d’entreprise devraient ĂŞtre assujettis au mĂŞme taux d’imposition) va Ă  l’encontre d’une politique publique, appliquĂ©e depuis longtemps, qui encourage dĂ©libĂ©rĂ©ment la constitution en sociĂ©tĂ© comme moyen de favoriser la prise de risques par le jeu de la rĂ©duction de l’impĂ´t dont est redevable le contribuable.

[TRADUCTION] « Le document de consultation ne fait aucune mention de choix concertĂ©s de politiques – que ce soit en droit fiscal ou dans d’autres domaines du droit, qui puissent encourager la prise de risques. Il laisse plutĂ´t entendre que la constitution en sociĂ©tĂ© est simplement un procĂ©dĂ© de planification fiscale qui, d’une façon ou d’une autre, confère un avantage aux propriĂ©taires d’entreprises, comparativement aux employĂ©s. Avec respect, nous suggĂ©rons que ce point de vue est trop Ă©troit et ne s’accorde pas avec l’orientation de longue date des politiques officielles en application au Canada et dans d’autres pays. »

Dans son mĂ©moire sur la conversion de revenus en gains en capital, le ComitĂ© mixte relève que les modifications proposĂ©es « ajouteront Ă  la complexitĂ© de la Loi en ce qui a trait aux distributions auxquelles procèdent les sociĂ©tĂ©s et Ă  l’incertitude quant Ă  l’incidence fiscale d’opĂ©rations courantes. » Le ComitĂ© mixte note aussi qu’au lieu de prĂ©server l’Ă©quitĂ© du rĂ©gime fiscal, les propositions de modifications ne font que crĂ©er une nouvelle forme d’entorse Ă  l’Ă©quitĂ©.

[TRADUCTION] « En rĂ©sumĂ©, nous sommes d’avis que les modifications proposĂ©es […] apportent un changement fondamental Ă  une politique fiscale Ă©tablie de longue date. MĂŞme si le gouvernement est habilitĂ© Ă  introduire ces modifications, le ComitĂ© mixte pense qu’il serait prudent de prendre davantage de temps afin d’examiner les effets nĂ©gatifs qu’elles pourraient causer et afin d’envisager d’autres mesures ou approches possibles qui pourraient y ĂŞtre substituĂ©es. C’est pourquoi nous recommandons que les propositions actuelles soient retirĂ©es, et qu’un groupe consultatif soit constituĂ© afin d’Ă©tudier en profondeur, en consultation avec toutes les parties prenantes concernĂ©es, le traitement fiscal de distributions aux actionnaires de sociĂ©tĂ©s privĂ©es. »

Il ressort clairement de l’ensemble des trois mĂ©moires que personne ne suggère qu’une refonte du rĂ©gime fiscal n’est pas nĂ©cessaire. Les mĂ©moires notent toutefois que ce sont des raisons politiques qui ont motivĂ© l’Ă©laboration, par les gouvernements passĂ©s (quelle qu’ait Ă©tĂ© leur allĂ©geance respective), des lois et règlements fiscaux tels qu’ils existent aujourd’hui – ces lois et règlements ont Ă©tĂ© instaurĂ©s dans un but dĂ©terminĂ©. S’il est vrai que de modifier cette lĂ©gislation relève de la compĂ©tence du gouvernement actuel, les modifications doivent ĂŞtre introduites de manière systĂ©matique, et dans le respect des consĂ©quences que produira le changement d’un rĂ©gime fiscal fort complexe pour des contribuables respectueux des lois, qui ont gĂ©rĂ© leurs affaires d’une façon prĂ©cise en raison des exigences de la lĂ©gislation existante, et dont les projets pourraient ĂŞtre mis au rancart du fait des modifications proposĂ©es.

Le mĂ©moire sur la rĂ©partition du revenu (dont la plus grande partie porte sur l’application des critères du « caractère raisonnable » Ă  la dĂ©finition de « partie fractionnĂ©e » proposĂ©e par le projet de loi) offre un parfait exemple du message vĂ©hiculĂ© par les trois soumissions du ComitĂ© mixte.

[TRADUCTION] « Les critères prĂ©vus au sous-alinĂ©a b)(iii) sont extrĂŞmement subjectifs, complexes, et difficiles Ă  interprĂ©ter et Ă  appliquer Ă  un ensemble de circonstances et faits prĂ©cis. Nous craignons que l’application des critères du caractère raisonnable ne mène Ă  d’importants coĂ»ts de conformitĂ© additionnels pour de nombreux propriĂ©taires d’entreprises privĂ©es. […] Nous sommes prĂ©occupĂ©s par le fait qu’en appliquant les critères subjectifs du caractère raisonnable, l’Agence du revenu du Canada puisse conclure au caractère dĂ©raisonnable d’un versement particulier. Les contribuables seront alors assujettis Ă  l’habituel renversement du fardeau de la preuve qui entre en jeu dans le cadre de procĂ©dures fiscales, et la constitution de la preuve du caractère raisonnable d’un paiement donnĂ© pourrait ensuite s’avĂ©rer un processus très difficile, stressant et coĂ»teux.

La suite du mĂ©moire est composĂ©e de page après page d’exemples d’absence de caractère raisonnable dans l’application des critères du caractère raisonnable, dans des cas d’impĂ´t sur le revenu fractionnĂ©, de mineurs qui reçoivent des dividendes, ou de dĂ©cès du fondateur d’une entreprise constituĂ©e en sociĂ©tĂ©. L’addition d’une nouvelle incertitude Ă  une loi dĂ©jĂ  très complexe entraĂ®ne toute une foule de consĂ©quences inattendues qui pourraient dĂ©courager les plus hardis des entrepreneurs cherchant Ă  se constituer en sociĂ©tĂ©, si bonnes en soient les raisons commerciales pour ce faire.

En lieu et place des propositions portant sur l’impĂ´t sur le revenu fractionnĂ© et les gains en capital, ce mĂ©moire suggère plusieurs options lĂ©gislatives dont l’application et l’administration seraient plus faciles.

Le ComitĂ© mixte recommande que les modifications lĂ©gislatives « ne soient pas adoptĂ©es sans qu’un groupe consultatif ou un groupe d’experts Ă©quivalent, composĂ© de reprĂ©sentants de toutes les parties prenantes, n’ait au prĂ©alable Ă©tudiĂ© en profondeur les politiques fiscales sous-jacentes, les questions d’ordre conceptuel et les consĂ©quences de ces mesures sur le plan concurrentiel et macroĂ©conomique. Nous croyons que ce sujet est trop important pour que la dĂ©marche soit prĂ©cipitĂ©e, en particulier si l’on considère […] que l’existence d’un problème n’est pas clairement dĂ©montrĂ©e. »

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