Projet de loi C-23 : cette partie de mon pays est le vĂ´tre

  • 24 mars 2017

Que faire avec un projet de loi visant à mettre en œuvre un accord entre les gouvernements respectifs de deux pays qui ont chacun été remplacés par une administration dont les priorités et les idéologies sont complètement différentes?

S’agissant du projet de loi C-23, qui mettrait en Ĺ“uvre l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’AmĂ©rique relatif au prĂ©contrĂ´le dans les domaines du transport terrestre, ferroviaire, maritime et aĂ©rien, conclu entre le Canada dirigĂ© par les conservateurs de Stephen Harper et les États-Unis alors sous la tutelle des dĂ©mocrates de Barack Obama, un certain nombre de sections nationales de l’ABC suggèrent de prendre du recul, beaucoup de recul, et de bien rĂ©flĂ©chir aux rĂ©percussions de la lĂ©gislation si elle est promulguĂ©e.

Les diffĂ©rences entre les administrations qui sont parvenues Ă  l’accord signĂ© en mars 2015 et les gouvernements actuels respectifs des deux pays sont telles que cela « justifie un nouvel examen de la portĂ©e et du contenu de l’Accord comme de ce projet de loi qui s’en veut l’instrument », affirment les auteurs membres des sections du droit de l’immigration, du droit pĂ©nal et du droit de la taxe Ă  la consommation dans leur mĂ©moire.

Les incertitudes qui prĂ©sident actuellement au passage de la frontière ont renforcĂ© les prĂ©occupations de ces sections au sujet de la lĂ©gislation qui, mĂŞme avant l’Ă©lection amĂ©ricaine de 2016, soulevait des questions quant Ă  la souverainetĂ©.

Alors que le mandat de la nouvelle administration amĂ©ricaine n’en est qu’Ă  son commencement, certains Ă©vĂ©nements rĂ©cents ont dĂ©jĂ  « engendrĂ© de sĂ©rieuses prĂ©occupations quant Ă  l’exercice par les agents amĂ©ricains des pouvoirs en sol canadien dont on prĂ©voit la nette amplification. Par consĂ©quent, nous invitons vivement le gouvernement, compte tenu de la forte incidence de cette loi projetĂ©e sur les droits et libertĂ©s individuels, Ă  mener des consultations d’envergure et Ă  en faire un examen approfondi ».

MalgrĂ© une liste de raisons pour lesquelles l’ABC ne peut appuyer le projet de loi sous sa forme actuelle, les sections de l’ABC font remarquer que le Canada est engagĂ© envers la promotion de la libre circulation des biens et des personnes au travers de la plus longue frontière du monde non dĂ©fendue. Au nom des avantages Ă©conomiques mutuels que pourront en retirer les deux pays, ses « lacunes peuvent ĂŞtre comblĂ©es pour que soient atteints les objectifs Ă©conomiques et sociaux escomptĂ©s sans pour autant sacrifier les droits et libertĂ©s fondamentaux ni Ă©tendre la responsabilitĂ© criminelle de façon dĂ©raisonnable. Nous recommandons des changements majeurs aux objectifs de fond du projet de loi et Ă  son libellĂ© ».

Ainsi, les articles 18 et 30, qui limitent les droits d’un voyageur Ă  se soustraire au prĂ©contrĂ´le, mĂŞme en l’absence d’allĂ©gation d’actes rĂ©prĂ©hensibles modifieraient « considĂ©rablement » la lĂ©gislation actuelle.

Selon les sections de l’ABC, un voyageur qui souhaite quitter une zone de prĂ©contrĂ´le au motif d’un interrogatoire intrusif ou excessivement long devrait avoir le droit de le faire. « Une loi qui n’assujettit l’exercice d’un pouvoir de dĂ©tention discrĂ©tionnaire Ă  aucun critère implicite ou explicite est une loi arbitraire », affirme le mĂ©moire.

Dans le projet de loi sous sa forme actuelle, le seul recours d’un voyageur auquel on pose des questions « inacceptables » est de refuser d’y rĂ©pondre, ce qui a le potentiel de crĂ©er un malencontreux cercle vicieux.

« [A]uquel cas on pourrait les faire arrĂŞter et dĂ©tenir pour infraction Ă  l’article 30 (rĂ©pondre vĂ©ridiquement Ă  toute question posĂ©e par le contrĂ´leur) ou Ă  l’article 38 (entraver volontairement un contrĂ´leur), quitte Ă  ce que la force physique soit utilisĂ©e. Ils pourraient aussi faire face Ă  des consĂ©quences sur le plan de l’immigration aux États-Unis – et Ă  une Ă©ventuelle accusation en vertu de la loi analysĂ©e ici – pour s’ĂŞtre soustraits Ă  un contrĂ´le malgrĂ© l’ordre d’un contrĂ´leur. Ils n’auraient aucun recours en droit canadien, ni possiblement en droit amĂ©ricain, contre un contrĂ´leur qui aurait agi hors des pouvoirs qui lui sont confĂ©rĂ©s par le droit canadien. Les contrĂ´leurs seraient pratiquement intouchables, le projet de loi exemptant leurs dĂ©cisions de rĂ©vision judiciaire au Canada (art. 40), les immunisant contre tout recours civil (art. 39) et permettant aux États-Unis de refuser leur extradition au Canada (art. 42). »

Autoriser les contrĂ´leurs amĂ©ricains Ă  rĂ©aliser des fouilles Ă  nu en territoire canadien en l’absence d’un prĂ©posĂ© de l’Agence des services frontaliers du Canada s’Ă©loigne Ă©galement « considĂ©rablement » et de façon « inacceptable » de la lĂ©gislation actuelle, affirment les sections de l’ABC. Ne connaissant pas le droit canadien, les contrĂ´leurs amĂ©ricains risquent de l’enfreindre, sans pourtant, encore une fois, n’encourir aucune responsabilitĂ©.

Le mĂ©moire aborde l’autre enjeu qu’est le manque de politiques canadiennes rĂ©gissant les fouilles qui mettent en cause des renseignements protĂ©gĂ©s par le secret professionnel de l’avocat. Les sections de l’ABC recommandent que le ministre de la SĂ©curitĂ© publique Ă©tablisse un groupe de travail « pour l’Ă©tablissement d’une politique juste et Ă©quilibrĂ©e visant Ă  protĂ©ger le secret professionnel de l’avocat aux frontières, et en zone de prĂ©contrĂ´le, en ce qui a trait aux documents et aux appareils Ă©lectroniques ».

Autres domaines posant problème :

  • la lĂ©gislation proposĂ©e n’exige pas des agents des douanes amĂ©ricaines qu’ils rendent les biens saisis dans le cadre du prĂ©contrĂ´le, mĂŞme s’il a Ă©tĂ© conclu Ă  l’absence de toute violation;
  • le projet de loi est muet quant Ă  la saisie ou Ă  l’annulation des cartes NEXUS dans la zone de prĂ©contrĂ´le;
  • le projet de loi permettrait aux agents des douanes amĂ©ricaines de refuser l’entrĂ©e au Canada Ă  des rĂ©sidents permanents canadiens;
  • le projet de loi confère aux contrĂ´leurs canadiens le pouvoir de refuser l’entrĂ©e au Canada aux personnes qui ont l’intention d’y demander l’asile.

Les sections de l’ABC espèrent comparaĂ®tre, en avril, devant le ComitĂ© de la sĂ©curitĂ© publique et nationale pour appuyer son mĂ©moire.

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